vendredi 18 septembre 2009

Les degrés d’intoxication pertinents en droit

R. c. Daley, 2007 CSC 53, [2007] 3 R.C.S. 523

[40] (...) La Cour a examiné la question du degré d’intoxication pouvant soulever un doute raisonnable quant à l’absence d’intention spécifique dans R. c. Robinson, 1996 CanLII 233 (C.S.C.), [1996] 1 R.C.S. 683. (...) Dans Robinson, la Cour a statué que les règles énoncées dans Beard violaient l’art. 7 et l’al. 11d) de la Charte parce qu’elles obligeaient le jury à rendre un verdict de culpabilité même en présence d’un doute raisonnable quant à l’intention véritable de l’accusé. Pourtant, il est possible qu’un accusé dont l’intoxication n’a pas annihilé la capacité de former une intention n’ait pas exercé cette capacité et n’ait pas formé d’intention spécifique. La question fondamentale reste toujours celle de l’intention véritable de l’accusé.

[41] Notre jurisprudence établit trois degrés d’intoxication pertinents en droit. Il y a d’abord ce que nous pourrions appeler l’intoxication « légère ». C’est l’état où l’alcool provoque un relâchement des inhibitions et du comportement socialement acceptable. Cet état n’a jamais été reconnu comme facteur ou excuse lorsqu’il s’agit de déterminer si l’accusé avait la mens rea requise : voir Daviault, p. 99. Vient en deuxième lieu l’intoxication « avancée ». Il s’agit d’un état d’intoxication tel que l’accusé n’a pas d’intention spécifique, lorsque l’atteinte à sa capacité de prévoir les conséquences de ses actes est suffisante pour susciter un doute raisonnable concernant l’existence de la mens rea requise. Dans Robinson, la Cour a indiqué qu’il s’agit du degré d’intoxication avec lequel les jurys seront le plus souvent aux prises :

Dans la plupart des affaires de meurtre, le juge des faits se concentre sur le volet « prévisibilité » du sous‑al. 229a)(ii) du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46, c’est-à-dire sur la question de savoir si l’accusé a prévu que ses actes seraient de nature à causer la mort de la victime. Par exemple, prenons le cas où l’accusé et une autre personne se bagarrent à l’extérieur d’un bar. Au cours de la bagarre, l’accusé jette l’autre personne par terre et lui assène un coup de pied mortel à la tête. Dans ce type d’affaire, le jury, en supposant qu’il rejettera toute allégation de légitime défense ou de provocation, sera vraisemblablement aux prises avec la question de savoir si l’accusé a prévu que ses actes seraient de nature à causer la mort de l’autre personne. [par. 49]

On ne peut invoquer de défense fondée sur ce degré d’intoxication qu’à l’égard d’infractions d’intention spécifique.

[42] Il faut comprendre que le degré d’intoxication nécessaire pour qu’une défense d’intoxication de ce type soit retenue peut varier suivant l’infraction. C’est ce que la Cour a reconnu dans Robinson quant à certains types d’homicide, au par. 52 :

[D]ans les cas où il s’agit seulement de savoir si l’accusé a voulu tuer la victime (sous‑al. 229a)(i) du Code), bien que l’accusé ait le droit d’invoquer toute preuve d’intoxication pour faire valoir qu’il n’avait pas l’intention requise, et qu’il ait droit à ce que le juge du procès donne une directive en ce sens (en supposant bien sûr que le moyen de défense est vraisemblable), je suis d’avis que, dans la plupart des cas, l’intoxication qui n’est pas suffisante pour engendrer une incapacité fera rarement naître un doute raisonnable dans l’esprit du jury. Par exemple, dans le cas où un accusé pointe un fusil de chasse à quelques pouces de la tête de quelqu’un et appuie sur la gâchette, il est difficile de concevoir comment l’intoxication peut être invoquée avec succès comme moyen de défense, à moins que le jury ne soit convaincu que l’accusé était ivre au point d’être incapable de former l’intention de tuer.

J’hésiterais à parler de capacité de former une intention, de crainte de faire perdre de vue la question fondamentale (à savoir, celle de l’intention véritable), mais je crois que ce passage signifie qu’il se peut que l’accusé ait à établir un degré d’intoxication particulièrement avancé pour opposer une telle défense d’intoxication à certains types d’homicides où la mort est la conséquence évidente des actes commis.

[43] Le troisième et dernier degré d’intoxication pertinent en droit est celui de l’intoxication extrême s’apparentant à l’automatisme, qui exclut tout caractère volontaire et qui, de ce fait, constitue un moyen de défense exonérant totalement de toute responsabilité criminelle. Comme on l’a vu, toutefois, ce moyen ne peut être invoqué que très rarement et, aux termes de l’art. 33.1 du Code criminel, qu’à l’égard d’infractions non violentes.

[44] Puisque la preuve d’une intoxication légère n’a jamais constitué un moyen de défense, il est clair que le juge du procès n’a pas à donner de directives au jury à ce sujet; en effet, la défense ne serait pas vraisemblable. C’est au par. 48 de Robinson qu’est décrite la condition préalable pour que le juge ait l’obligation de donner au jury des directives sur l’intoxication : « pour que le juge du procès soit tenu en droit de donner au jury des directives sur l’intoxication, il doit être convaincu que l’intoxication a eu un effet qui pourrait avoir vicié la prévision des conséquences par l’accusé d’une manière suffisante pour susciter un doute raisonnable » (soulignement omis). Voilà la condition préalable pour qu’il soit nécessaire de donner des directives au jury sur l’ivresse avancée.

[101] (...) L’accusé ne subit aucune injustice si le jury reçoit seulement pour directive d’examiner l’intention véritable. C’est ce que la Cour a reconnu dans Seymour, par. 26 : « Ce n’est que si le jury est bien informé qu’il doit conclure que l’accusé avait l’intention requise, qu’il ne lui sera manifestement pas possible de statuer que l’accusé qui était incapable de former l’intention spécifique nécessaire pour commettre l’infraction a formé cette intention » (soulignement omis). Néanmoins, malgré cette affirmation et la déclaration qu’elle avait faite dans Lemky, la Cour a conclu, dans Seymour, que le juge du procès avait commis une erreur justifiant annulation pour avoir omis de faire un exposé en deux temps. Malheureusement, cette décision a créé un incitatif à interjeter appel chaque fois qu’un juge a recours à un exposé en un temps de type Canute, même s’il s’agit du modèle généralement préconisé par la Cour.

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