Lanthier c. R., 2020 QCCS 5162
[37] Le Tribunal est d’avis que les accusés ne peuvent demander et donc obtenir la rature de renseignements figurant à la dénonciation de Boily, et prétendument obtenus en violation de la Charte, que s’ils peuvent personnellement revendiquer une telle violation, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.
[38] Deux situations peuvent entrainer la rature de renseignements figurant à une dénonciation présentée au soutien d’une demande d’autorisation judiciaire: Les renseignements sont inexacts, incomplets ou trompeurs; les renseignements ont été obtenus en contravention de la Charte.
[39] Dans les deux situations, on applique le même procédé correcteur, mais la raison d’être de son application diffère. Ce serait donc une erreur de mettre les deux situations sur le même pied, et d’affirmer qu’un seul et même régime de réparation automatique, différent de celui mis en place par l’article 24 de la Charte, s’applique alors et justifie la rature des renseignements.
[40] La rature de renseignements inexacts, incomplets ou trompeurs répond à l’obligation qu’a celui qui demande ex parte l’émission d’une autorisation judiciaire, de présenter au juge autorisateur de manière complète, simple et sincère les faits à considérer : Voir R. c. Araujo, 2000 CSC 65 (CanLII), [2000] 2 RCS 992, § 46, 47. Que les renseignements concernent l’accusé ou des tiers importe peu. La même obligation vaut pour tout renseignement incorporé à une demande d’autorisation judiciaire. Le reliquat des motifs conforme à cette obligation de candeur et de transparence sera ensuite jugé suffisant, ou non, pour justifier l’émission de l’autorisation judiciaire sous examen.
[41] La rature des renseignements obtenus en contravention de la Charte s’inscrit plutôt dans une démarche d’exclusion de la preuve dérivée d’une violation antérieure à l’émission de l’autorisation judiciaire dont l’exécution entraine la découverte. Elle constitue un des rouages du mécanisme d’exclusion de la preuve mis en place au par. 24(2) de la Charte. Elle ne peut donc entrer en jeu que si l’accusé est personnellement en mesure d’invoquer la violation survenue en amont de l’émission de l’autorisation judiciaire sous examen.
[42] Dans ce cas de figure, la rature de renseignements obtenus en contravention de la Charte ne sert pas seulement à apprécier la suffisance du reliquat des motifs présentés au soutien de la demande d’autorisation judiciaire. Elle sert aussi à vérifier si la preuve dont l’exclusion est demandée a été obtenue dans des conditions qui portent atteinte aux droits garantis par la Charte, et si l’admission de cette preuve déconsidèrerait l’administration de la justice.
[43] Si après rature, le reliquat des motifs ne suffit pas à justifier l’émission d’une autorisation, la violation survenue en amont peut en entrainer une seconde en aval, chacune d’elles pouvant conduire à l’exclusion de la preuve obtenue en exécution de l’autorisation. Et si après rature, le reliquat des motifs suffit à justifier l’émission de l’autorisation, il y a alors lieu de s’interroger sur la connexité entre la violation survenue avant l’émission de l’autorisation judiciaire et les éléments de preuve obtenus en exécution de celle-ci. Si ce lien est jugé suffisant pour que les éléments de preuve obtenus constituent une preuve dérivée de la violation antérieure à l’autorisation émise et exécutée, la possible découverte de cette preuve, indépendamment de la violation survenue antérieurement à l’émission de l’autorisation, sera pertinente lors de l’examen des trois séries de facteurs à considérer sous le régime d’exclusion de la preuve du par. 24(2) de la Charte. Voir R. v. Manchulenko, 2013 ONCA 543, § 70-73; R. c. Côté, 2011 CSC 46 (CanLII), 2011 3 RCS 215, § 64-74, 79. C’est une démarche de ce type qu’adopte la Cour suprême dans les arrêts Grant, 1993 CanLII 68 (CSC), [1993] 3 RCS 223, Plant, 1993 CanLII 70 (CSC), [1993] 3 RCS 281, Willey, 1993 CanLII 69 (CSC), [1993] 3 RCS 263, et Kokesh, 1990 CanLII 55 (CSC), [1990] 3 RCS 3.
[44] Par ailleurs, ce qu’affirmait la Cour suprême dans l’arrêt Edwards, 1996 CanLII 255 (CSC), [1996] 1 RCS 128, § 45, représente encore et toujours l’état du droit : Les droits garantis par la Charte sont des droits personnels; une demande de réparation fondée sur le par. 24(2) ne peut être présentée que par la personne dont les droits garantis par la Charte ont été violés.
[45] Ainsi, sous ce régime d’exclusion de la preuve, il n’est pas incongru que la preuve incriminant plus d’un accusé ne puisse pas être utilisée contre celui dont les droits constitutionnels ont été violés pour l’obtenir, mais qu’elle puisse servir de preuve contre ceux dont les droits constitutionnels n’ont pas été violés. L’affaire considérée par la Cour d’appel dans l’arrêt Timm en offre une illustration.
[46] Timm, le commanditaire du meurtre de ses parents adoptifs, et Gagné, un exécutant, sont tous deux condamnés pour meurtres au premier degré à l’occasion de procès séparés. Chacun de son côté interjette appel de ses condamnations. Dans le cas de Gagné, la Cour d’appel conclut que la découverte de l’arme du crime constitue une preuve dérivée d’une de ses déclarations, obtenue en violation de la protection contre l’arrestation et la détention arbitraire, et que cette preuve dérivée doit être exclue. Elle ordonne conséquemment la tenue d’un nouveau procès: R. c. Gagné, [1997] JQ no 893. En appel, Timm cherche à se prévaloir de l’exclusion de la preuve ordonnée par la Cour d’appel dans l’arrêt Gagné. La Cour d’appel rejette cet argument : Timm ne peut invoquer la violation subie par Gagné sous le régime du par. 24(2); il ne peut pas non plus invoquer la chose jugée chose sur la question de l’exclusion de preuve tranchée dans l’arrêt Gagné : R. c. Timm, 1998 CanLII 12523 (QC CA), [1998] JQ no 3168, § 43-47.
[47] De même, sous le régime du par. 24(2), il n’est pas incongru qu’un accusé n’ait pas la qualité pour contester une autorisation d’écoute ayant permis de capter les conversations d’un co-conspirateur, faites dans la poursuite d’un but commun, à moins d’être la personne dont l’interception des conversations était autorisée, ou d’être partie à la conversation interceptée. Il est donc possible que certains co-conspirateurs puissent demander l’exclusion de certaines conversations interceptées, et que d’autres n’aient pas la qualité pour réclamer un tel remède. Ceci est juridiquement dans l’ordre des choses : voir R. c. Rendon, 1999 CanLII 9511 (QC CA), [1999] JQ no 4124, § 81-89.
[48] Qu’est-ce qui justifie alors de dévier du régime de réparation spécifique du par. 24(2), ou du régime général du par. 24(1)? De court-circuiter ces régimes par l’ajout d’un mécanisme de rature automatique des renseignements obtenus en violation des droits de tiers figurant à une demande d’autorisation judiciaire?
[49] L’énoncé qui ouvrirait la porte à cette possible rature de renseignements obtenus en contravention des droits constitutionnels d’un tiers se trouverait, selon le point de vue exprimé dans certains précédents (voir les autorités citées dans Croft, § 18), à l’arrêt Grant, § 50. Dans cet arrêt, tout comme dans les arrêts Wiley, Plant, et Kokesch, l’accusé invoquait le caractère abusif de la fouille périphérique de sa résidence sans autorisation judiciaire préalable, ainsi que celui de l’émission et de l’exécution subséquente d’un mandat de perquisition obtenu sur la foi de renseignements recueillis lors d’une fouille périphérique non autorisée. Il demandait l’exclusion des éléments de preuve obtenus en violation de son droit à la vie privée. La Cour suprême conclut que la fouille périphérique sans autorisation est abusive, mais qu’après rature des éléments recueillis lors de cette fouille périphérique, et dénoncés à la demande de mandat, le reliquat des motifs est suffisant pour en justifier la délivrance. La Cour précise que le simple fait qu’une autorisation judiciaire soit émise en partie sur la foi de renseignements obtenus à l’occasion d’une fouille abusive ne rend pas nécessairement cette autorisation invalide, et la fouille subséquemment autorisée et exécutée, nécessairement abusive. La validité de l’autorisation dépendra de la suffisance des motifs dénoncés, abstraction faite des éléments obtenus en contravention de la Charte.
[50] La Cour décrit les renseignements à raturer en pareil cas comme « des faits dont la police n'a pu être au courant que par suite d'une violation de la Charte », « des faits obtenus d'une façon abusive ». Elle ajoute qu’il y a lieu de raturer ces renseignements, puis de considérer la suffisance du reliquat des motifs, parce qu’en procédant ainsi, on s’assure que « le ministère public ne peut profiter des actes illégaux des policiers, sans être forcé de renoncer à des mandats de perquisition qui auraient été décernés de toute façon »: Grant, § 50. En raison de cette dernière justification, certains considèrent qu’en pareil contexte, il n’y a pas lieu de distinguer les renseignements obtenus en violation des droits de l’accusé qui conteste la validité d’une autorisation judiciaire de ceux obtenus en violation des droits d’un tiers. Dans un cas comme dans l’autre, le ministère public ne devrait pas pouvoir profiter des actes illégaux des policiers.
[51] Le Tribunal partage les préoccupations de ceux qui, à la lumière de ce passage de l’arrêt Grant, autorisent la rature de renseignements obtenus en violation des droits constitutionnels de tiers. Il considère cependant que la solution qu’ils retiennent dénature le cadre juridique de réparation de la violation des droits constitutionnels mis en place par la Charte. Cette solution apparaît d’autant plus inopportune que d’autres voies s’ouvrent à l’accusé qui voudrait s’attaquer au comportement policier violant les droits d’un tiers et l’utilisation de ses fruits au soutien d’une demande d’autorisation judiciaire, dans la mesure à cette utilisation violerait le droit de l’accusé à un procès juste et équitable ou déconsidérerait l’administration de la justice: voir Croft, § 28-32.
[52] Enfin, même si le Tribunal suivait l’approche adoptée par la Cour d’appel de l’Ontario dans R. v. Chang, 2003 CanLII 29135 (ON CA), [2003] OJ 1076 (ONCA), § 37-42, il en arriverait à la même conclusion. Suivant la lecture faite de cet arrêt dans l’affaire Hamid, la Cour d’appel de l’Ontario ne fermerait pas complètement la porte à ce qu’un juge réviseur puisse se pencher sur certains aspects de la validité d’une autorisation obtenue et exécutée en amont de l’autorisation judiciaire sous examen. Elle ne permettrait toutefois d’ouvrir celle-ci que s’il existe des raisons de principe et logiques de ce faire. À titre d’exemples, dans Chang, la juge de première instance référait à des situations où une autorisation serait émise ou exécutée sans juridiction ou autorité. De son côté, la Cour d’appel confirmait que cette ouverture n’allait pas jusqu’à justifier l’examen de la suffisance des motifs d’une autorisation antérieure, en l’absence de preuve d’une violation des droits d’une partie à l’instance.
[53] En l’espèce, le Tribunal ne parvient pas à identifier quelque sérieuse raison de principe justifiant qu’il statue sur l’existence d’une violation au droit à la vie privée subie par un tiers, et ce dans le cadre d’une requête de type Garofoli. Les principes sous-jacents au régime d’exclusion de la preuve mis en place par la Charte militent plutôt en défaveur d’un tel examen.
[54] Par ces raisons, le Tribunal rejette donc la demande de rature des par. 13 et 16 de la dénonciation présentée par les accusés.
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