lundi 28 décembre 2009

La question de la fiabilité de l'identification de l'accusé

R. c. Peterson, 2005 CanLII 15920 (QC C.Q.)

[28] Au cœur du présent litige, se trouve la question de la fiabilité de l'identification de l'accusé.

[29] La jurisprudence rappelle constamment la mise en garde qui s'impose en matière d'identification par témoin oculaire, vu les risques d'erreur judiciaire. Le Juge McIntyre s'exprime ainsi dans l'arrêt Mezzo c. R.

"Dans l'arrêt Turnbull, (1976) 3 All E.R. 549), le juge en chef lord Widgery, s'exprimant au nom de la Cour d'appel, division criminelle (les lords juges Roskill et Lawton et les juges Cusack et May), a souligné les dangers d'injustice qui peuvent être engendrés et qui dans certains cas l'ont été par suite d'erreurs commises lors d'identifications visuelles de personnes accusées d'un crime. Mais en même temps, il a pris la peine de faire clairement entendre qu'une identification visuelle ne peut être éliminée en tant que preuve admissible dans une instance criminelle. Il s'est étendu sur la nature et la portée des directives que le juge du procès doit donner à un jury qui est appelé à examiner une preuve d'identification visuelle et il a affirmé que le défaut de donner des directives adéquates peut entraîner l'annulation de déclarations de culpabilité. Somme toute, il se référait à ce qu'il a appelé la qualité de la preuve. Il dit, à la p. 552:

(Traduction) Si cette qualité est bonne et le demeure jusqu'à la fin de la présentation de la preuve de l'accusé, le danger d'erreur d'identification est réduit; mais plus la preuve est de piètre qualité plus grand est le danger.

Il est impossible de ne pas être d'accord avec le juge en chef lord Widgery lorsqu'il parle du danger d'erreur que comporte une identification visuelle. Personne ne peut être en désaccord avec lui lorsqu'il insiste sur la nécessité de donner au jury des directives complètes et minutieuses sur la façon dont il doit traiter une telle preuve."

[30] Le danger auquel on fait référence est expliqué de la façon suivante par le Juge Lamer dans la cause Chartier c. R.:

"Lorsque "l'identification reposait sur un seul témoin, ou qu'on ait fait usage de méthodes d'identification inacceptables lors d'une parade ou encore par un usage suggestif de photos de l'accusé" ou que "l'affirmation du ou des témoins d'identification était contredite par une preuve d'impossibilité ou encore d'alibi,"

[31] Afin d'assurer une complète indépendance et liberté de jugement au témoin, les entraves possibles à une preuve oculaire fiable sont énumérées en ces termes par le Juge Proulx dans l'arrêt Proulx C.R.:

"Il est pour cette raison tout à fait irrégulier et inacceptable: 1) de faire des gestes ou de prononcer des paroles qui risquent d'influer sur l'identification, 2) d'aider le témoin à "choisir" parmi les photos, 3) de lui indiquer de quelque façon que ce soit qui est ou qui sont les suspects, s'il y en a parmi les sujets des photos, et 4) plus particulièrement de ne montrer au témoin qu'une seule photographie ou de lui exhiber une série de photos où celle du suspect est de facture différente des autres ou encore, il va de soi, une série de photos où celles du suspect sont plus nombreuses."

[32] Dans ce même arrêt, le Juge Proulx, s'apprêtant à ordonner un nouveau procès, analyse les circonstances dans lesquelles l'identification de l'accusé a été faite et conclut que celle-ci n'est pas fiable pour les motifs ci-après.

"Le juge a cru bon de ne faire au jury aucune mise en garde comme l'exigent les arrêts Turnbull, Mezzo ou Canning. Il n'a pas informé le jury "du danger que comporte une identification visuelle" ni "de la nécessité de montrer de la prudence en abordant cette preuve", et il n'a donc "pas établi le lien entre cette nécessité et les faits de l'espèce".

Le Juge n'a par conséquent ni mentionné que la preuve oculaire ici était ténue en soi ni noté de façon particulière que la rencontre entre le témoin et "son barbu" fut très brève et en soirée, que la personne aperçue était un parfait inconnu et que toute l'identification portait sur la forme des yeux de l'individu, un simple témoin, alors que le regard échangé, ce soir d'octobre 1982, avait toutes les caractéristiques d'un simple coup d'œil. Il n'a enfin pas signalé que le souvenir de M. Paquet ne s'est manifesté, ou ravivé, qu'après plus de huit ans à la vue d'une photographie qu'il avait cependant plusieurs fois eue sous les yeux, comme d'autres d'ailleurs, dans le contexte d'émissions à tout le moins suggestives et d'action en dommages.

Enfin, les directives sont muettes sur les procédures irrégulières utilisées par M. Tardif, sa suggestivité à peine voilée au moment d'exhiber la photographie de l'appelant, son intérêt personnel apparent et le fait de ne faire voir à M. Paquet que la seule photographie de la personne récemment décrite en ondes, et ce, à la connaissance de MM. Tardif et Paquet, comme l'unique suspect dans le meurtre de France Alain.

Il eût certainement été a propos de signaler aussi aux jurés les risques d'erreur découlant de la séance d'identification au bureau du ministère public, où l'on a exhibé au témoin éventuel huit photos, l'appelant figurant sur chacune."

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