lundi 28 décembre 2009

LE DROIT RÉGISSANT UNE DEMANDE D'ABSOLUTION

R. c. Côté, 2008 QCCQ 262 (CanLII)

[28] Eu égard à la position des parties, il importe avant tout de déterminer les principes gouvernant une demande d'absolution qu'elle soit conditionnelle ou inconditionnelle.

[29] À cet égard, la Cour a eu le loisir d'aborder la question dans une affaire mettant en cause un procureur de la Couronne qui avait reconnu sa culpabilité à l'accusation d'avoir été en possession de cocaïne le 7 avril 2005.

[30] Il s'agit de l'affaire La Reine c. Michel Grenier dont la sentence a été rendue le 20 janvier 2006 district de Québec, chambre criminelle et pénale (200-73-005501-054).

[31] Dans cette cause, l'accusé Grenier a bénéficié d'une absolution inconditionnelle.

[32] Aux paragraphes 17 à 34, la Cour procède ainsi à l'analyse des principes jurisprudentiels régissant l'absolution conditionnelle ou inconditionnelle, savoir :

«17. La disposition pertinente se trouve à l'article 730 du C. cr., laquelle fait partie du chapitre du Code criminel consacré à la détermination de la peine.

18. Aux termes du paragraphe 1 de cette disposition, le Tribunal peut, s'il considère qu'il est de l'intérêt manifeste d'un accusé sans nuire à l'intérêt public, prescrire par ordonnance une absolution conditionnelle ou inconditionnelle.

19. Cette ordonnance ne peut être rendue dans les cas d'infractions comportant une peine minimale ou si l'infraction est punissable d'un emprisonnement de 14 ans ou à perpétuité.

20. L'absolution entraîne donc l'absence de casier judiciaire pouvant compromettre les projets d'avenir d'un accusé.

21. Dans une décision récente rendue le 25 novembre 2005, La Reine c. Mansour, monsieur le juge Denis Lavergne résume ainsi les principes de base établis par la jurisprudence :

« [34] Il est bien établi que cette mesure dont l'effet évite au contrevenant le stigmate d'une condamnation n'a rien d'exceptionnelle et n'exclut aucune infraction au-delà des limites mentionnées précédemment; essentiellement, elle vise à éviter qu'une condamnation ait des conséquences disproportionnées ou démesurées au regard, d'une part, de la faute commise par le contrevenant, et d'autre part, au regard de d'autres contrevenants coupables d'infractions semblables. L'intérêt de l'accusé au sens où l'entend l'article 730 du Code ne saurait donc se réduire au seul préjudice que constitue une condamnation créant un casier judiciaire.

[35] Si la condamnation seule, et partant un casier judiciaire, suffisait pour établir l'intérêt de toute personne à obtenir une absolution inconditionnelle ou conditionnelle, il n'y aurait pas été nécessaire que l'article 730 le précise expressément d'autant plus d'ailleurs que la disposition ajoute le qualificatif véritable. »

22. Tel qu'énoncé par la juge Michèle Toupin, Cour du Québec. dans l'affaire La Reine c. Gollain, « la preuve de l'intérêt véritable de l'accusé est généralement facile à prouver, particulièrement lorsque l'individu à sentencer n'a pas d'antécédent judiciaire et est de bonne moralité. Il est évident que la possession d'un casier judiciaire, quoique dans certains cas fatals, peut représenter un empêchement ou une conséquence sérieuse, à la recherche d'un emploi, au maintien de ce dernier, à l'obtention de cautionnement et au déplacement à l'étranger par affaires ou par pur plaisir. »

23. Dans le même sens, monsieur le juge Béliveau, dans Rozon c. La Reine, écrit:

« Par ailleurs, l'intérêt véritable de l'accusé suppose que ce dernier est une personne de bonne moralité, qu'il n'a pas d'antécédent judiciaire, quoique cela ne soit pas déterminant (R. c. Chevalier), qu'il n'est pas nécessaire d'enregistrer une condamnation pour le dissuader de commettre d'autre infraction ou pour qu'il se réhabilite et que cette mesure aurait à son égard des conséquences particulièrement négatives. »

24. « La perspective de complications futures suffit ».

25. Ce qui importe, c'est de déterminer si une condamnation aurait pour effet d'entraîner pour l'accusé des conséquences négatives disproportionnées par rapport à la faute commise.

26. C'est la règle d'or établir par la Cour d'appel dans Abouabdellah c. La Reine, savoir :

« La règle d'or en la matière est qu'un justiciable ne doit pas, dans les faits, subir un châtiment qui n'a aucune mesure avec sa faute. »

27. C'est en somme le critère de la juste proportionnalité qui doit prévaloir.

28. Quant au critère de l'intérêt public, monsieur le juge Béliveau définit ainsi ce concept dans l'affaire Rozon précitée :

« 41. Quant à la notion d'intérêt public, elle doit prendre en cause l'objectif de la dissuasion générale, la gravité de l'infraction, son incidence dans la communauté, l'attitude du public à son égard et la confiance de ce dernier dans le système judiciaire (R. c. Elsharawy, par. 3). Cela étant, il faut se rappeler que dans l'arrêt R. c. Meneses, (1976) 25 C.C.C. (2d) 115, la Cour d'appel de l'Ontario a précisé que l'arrestation et la comparution d'un délinquant peuvent constituer une mesure de dissuasion efficace à l'égard de personnes qui ne sont pas criminalisées, lesquelles sont justement celles qui sont candidates à une absolution.

42. Dans ce même arrêt, la Cour d'appel de l'Ontario a indiqué que l'intérêt public comporte également le fait que l'accusé ait la possibilité de devenir une personne utile dans la communauté et qu'elle puisse assurer sa subsistance et celle de sa famille. On avait accordé une libération, selon la terminologie de l'époque, à une dentiste immigrante des Philippines qui désirait être admise à la pratique de cette profession au Canada. »

29. À ce propos, monsieur le juge Narcisse Proulx mentionne ce qui suit dans La Reine c. Durocher :

« Deuxièmement, l'intérêt public exige qu'on accorde une attention particulière à la dissuasion générale, à la gravité de l'infraction, à son incidence dans la communauté, à l'attitude du public à son égard et à la confiance de ce dernier dans le système judiciaire. De plus, il est important d'examiner si la personne peut être utile pour la société, de vérifier si elle peut assurer sa subsistance et celle de sa famille. »

30. La Cour d'appel dans La Reine c. Moreau, soulignait que l'absolution de l'article 730 du Code criminel ne doit pas être appliquée de façon exceptionnelle.

31. Chaque cas est un cas d'espèce qui doit être évalué à sa juste valeur et à son mérite.

32. C'est le principe de l'individualisation des sentences reconnu en jurisprudence et doctrine.

33. À ce sujet, les commentaires de monsieur le juge René de la Sablonnière, dans l'affaire La Reine c. Caron sont particulièrement significatifs.

34. Le juge de la Sablonnière n'a pas retenu l'argument de la poursuite selon lequel accorder une peine d'emprisonnement dans la communauté ne ferait qu'encourager d'autres agresseurs à procéder de la même façon, afin d'obtenir une peine moindre. Il précise qu'en matière de sentence, chaque cas est un cas d'espèce qui doit être traité au fond. Il ajoute qu'un accusé ne peut se voir priver du bénéficie d'application d'une disposition du Code criminel, sous prétexte que d'autres pourraient s'en servir ultérieurement à mauvais escient. »*

[33] Dans l'affaire La Reine c. Vincent Bodet, monsieur le juge Richard Grenier de la Cour supérieure résume comme suit les principes de base régissant l'absolution :

« 24. La défense demande que l'accusé soit absout inconditionnellement, le ministère public propose plutôt l'imposition de travaux communautaires et, subsidiairement, dans l'hypothèse où cette Cour choisirait la voie de l'absolution, une absolution conditionnelle.

25. Chacun des deux procureurs a soumis de nombreuses décisions portant sur l'octroi ou le refus d'une absolution dans des causes impliquant des policiers. C'est un lieu commun de dire que chaque cas est un cas d'espèce et il importe de revenir aux principes de base régissant l'absolution.

26. La Cour d'appel du Québec, dans l'arrêts R. c. Sheper, [1986] J.Q. No 1806 et R. c. Moreau, 1992 CanLII 3313 (QC C.A.), (1993) 76 C.C.C. (3d) 181, a clairement établi que l'absolution ne constitue pas une mesure exceptionnelle. Elle a même, récemment, dans R. c. Landry, [2005] J.Q. no 6631, 200-10-001726-053, rétabli une deuxième absolution pour un second crime de voies de fait commis à une date différente.

27. Le législateur parle de l'intérêt véritable de l'accusé. Celui qui requiert une absolution doit démontrer qu'il est une personne de bonne moralité, qu'il n'est pas nécessaire qu'une condamnation soit prononcée pour le dissuader de commettre d'autres infractions et qu'une condamnation pourrait avoir des effets négatifs à son endroit, R.c. Chevalier, [1990] A.Q. No 415.

28. Quant au deuxième volet, celui de l'intérêt public, mon collègue le juge Béliveau dans Rozon c. R., [1999] J.Q. No 752 en traite comme suit :

Quant à la notion d'intérêt public, elle doit prendre en cause l'objectif de la dissuasion générale, la gravité de l'infraction, son incidence dans la communauté, l'attitude du public à son égard et la confiance de ce dernier dans le système judiciaire (R. c. Elsharawy, [1997] N.J. no 249, par. 3). Cela étant, il faut se rappeler que dans l'arrêt R. c. Meneses, (1976) 25 C.C.C. (2d) 115, la Cour d'appel de l'Ontario a précisé que l'arrestation d'un délinquant peut constituer une mesure de dissuasion efficace à l'égard de personnes qui ne sont pas criminalisées, lesquelles, lesquelles sont justement celles qui sont candidates à une absolution.

29. La Cour d'appel de l'Ontario reprenait ce même principe dans R. c. Cheung et Chow, [1977] 19 C.L.Q. 280 :

« Speedy apprehension, arrest and trial with the public disgrace and jeopardy which is occasioned should be sufficient deterrent. »

[34] Dans l'affaire R. c. Craig, monsieur le juge Valmont Beaulieu de la Cour du Québec énonce précisément les règles jurisprudentielles établies par les tribunaux de juridiction d'appel, savoir :

« 47. Résumons maintenant les règles qui se dégagent de l'enseignement des tribunaux de juridiction d'appel au sujet de cette disposition.

1. L'article 730 ne doit pas être considéré comme une mesure exceptionnelle, sinon il serait vidé de tout sens qu'a voulu y donner le législateur, tel que l'écrivait le regretté honorable juge Amédée Monette de la Cour d'appel du Québec, dans l'arrêt La Reine c. Cyr.

2. Il irait à l'encontre de l'administration de la justice si les tribunaux accordaient d'une manière routinière les demandes en vertu de l'article 730. Soulignons qu'il n'est pas rare qu'un agent de la paix obtienne une absolution conditionnelle ou inconditionnelle. Chaque cas est un cas d'espèce. Par contre, il ne faudrait pas en venir à ce que les agents de la paix prennent pour acquis qu'ils obtiendront automatiquement cette demande devant les tribunaux.

3. L'exemplarité est un facteur dont il faut considérer et tenir compte. Mais cela ne doit pas faire obstacle à une application judicieuse de cet article.

4. Cette disposition ne vise pas uniquement les contraventions triviales et techniques.

5. L'absolution ne constitue pas une alternative à la probation ou au sursis de sentence.

6. L'absolution est accordée lorsque son refus résulterait d'une disparité injuste entre l'acte lui-même et l'effet que la condamnation aurait sur l'avenir du délinquant. Ainsi s'exprimait la Cour d'appel du Québec dans l'affaire Abouabdellah c. La Reine, [1996] A.Q. no 1078, du 8 mai 1996 en page 5 :

"La règle d'or en la matière est qu'un justiciable ne doit pas, dans les faits, subir un châtiment qui n'a aucune mesure avec sa faute."

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