jeudi 30 septembre 2010

Les obligations du juge d'instance, lorsque l’accusé n’est pas représenté par avocat

Deneault c. R., 2010 QCCS 4234 (CanLII)

[52] Il faut souligner que « la perspective d'entreprendre ou de poursuivre un procès sans que l'accusé ne soit représenté par avocat n'est guère réjouissante tant pour le juge que pour l'avocat de la Couronne, mais c'est une perspective qui existe ».

[53] Le défi est ainsi décrit par la juge Michelle Fuerst :

Whatever the reason for his or her status, the self-represented accused is usually ill‑equipped to conduct a criminal trial. He or she comes to court with a rudimentary understanding of the trial process, often influenced by misleading depictions from television shows and the movies. His or her knowledge of substantive legal principles is limited to that derived from reading an annotated Criminal Code. He or she is unaware of procedural and evidentiary rules. Even once made aware of the rules, he or she is reluctant to comply with them, or has difficulty doing so. The limitations imposed by the concept of relevance are not understood or are ignored, and the focus of the trial is often on tangential matters. Questions, whether in examination-in-chief or cross-examination, are not framed properly. Rambling, disjointed or convoluted questions are the norm. The opportunity to make submissions is viewed as an opportunity to give evidence without entering the witness box.

[54] Toutefois, lorsqu'on examine le caractère équitable d’un procès impliquant un accusé non représenté, il est utile de garder à l'esprit les remarques de Lord Woolf dans son rapport intitulé Access to Justice même s’il est question dans ce rapport des règles qui s'appliquent lors d'un procès civil :

Only too often the litigant in person is regarded as a problem for judges and for the court system rather than the person for whom the system of civil justice exists. The true problem is the court system and its procedures, which are still too often inaccessible and incomprehensible to ordinary people.

[55] Ces remarques peuvent certainement être appliquées à la justice criminelle.

[56] Les obligations du juge d'instance, lorsque l’accusé n’est pas représenté, ont été résumées ainsi par le juge Chamberland dans R. c. Guénette:

La situation des justiciables qui se présentent seuls à leur procès, sans l'assistance d'un avocat, est toujours délicate et ce, peu importe le stade du processus judiciaire. Au stade du procès, le juge a le devoir de s'assurer que l'accusé ne soit pas privé de son droit à un procès juste et équitable en raison de son ignorance des règles de la procédure criminelle. Il expliquera donc sommairement à l'accusé le déroulement de la procédure pour que ce dernier puisse faire des choix éclairés en temps utile; il prêtera aussi à cet accusé une aide raisonnable pour qu'il puisse faire valoir toute défense qu'il peut avoir, tout en évitant d'agir comme son avocat, au risque de perdre l'impartialité essentielle à l'exercice de ses fonctions. (Pierre BÉLIVEAU et Martin VAUCLAIR, Traité général de preuve et des procédures pénales, 8e éd., Éditions Thémis, 2001, par. 389; voir également R. c. McGibbon, 1988 CanLII 149 (ON C.A.), (1988) 45 C.C.C. (3d) 334, à la page 347 (C.A. Ontario); Verdun (Ville de) c. Sureau, C.A. Montréal 500-10-001660-990, le 16 janvier 2001, les juges Proulx, Fish et Chamberland)).

Ce devoir a toutefois ses limites, le juge ne pouvant jouer à la fois le rôle de l'avocat et celui de l'arbitre impartial du débat qui se déroule devant lui. L'accusé qui se présente seul à la cour ne jouit cependant pas de privilèges particuliers (R. c. Fabrikant, 1995 CanLII 5384 (QC C.A.), (1995) 97 C.C.C. (3d) 544, à la page 574 (C.A. Québec)). Le juge n'est pas tenu de conseiller l'accusé à toutes les étapes du procès, comme un avocat l'aurait fait (R. c. Taubler, reflex, (1987) 20 O.A.C. 64, à la page 71 (C.A. Ontario) et R. c. Rain, 1998 ABCA 315 (CanLII), (1998) 130 C.C.C. (3d) 167 (C.A. Alberta)). Le juge ne peut pas prendre de décisions stratégiques en faveur, et à la place, de l'accusé; par exemple, la décision de poursuivre un contre-interrogatoire ou celle de témoigner (Pierre BÉLIVEAU et Martin VAUCLAIR, Traité général de preuve et des procédures pénales, précité, par. 1126).

Tout est donc question de mesure, d'équilibre. Il faut reconnaître au juge du procès une bonne mesure de discrétion en cette matière. Chaque cas doit être étudié à la lumière des circonstances qui lui sont propres afin de déterminer s'il y a eu atteinte au droit de l'accusé à un procès juste et équitable (R. c. Hardy, 1991 CanLII 2720 (AB C.A.), (1991) 69 C.C.C. (3d) 190 (C.A. Alberta)).

[62] La question qui se pose n’est pas de savoir si l’appelant a indiqué qu’il souhaitait se représenter seul, mais plutôt de savoir si on l’a informé d’une manière appropriée, du désavantage que cela constituait, afin qu’il prenne une décision éclairée quant à la question de savoir s’il voulait se représenter seul.

[63] Dans R. c. Torres, la Cour d’appel écrit ce qui suit :

Dans la présente affaire, le juge de première instance s'est contenté, au début du procès, d'expliquer à l'appelant comment serait effectué l'interrogatoire des témoins. Il aurait été bon de souligner aussi à l'appelant qu'il serait en situation désavantageuse en procédant sans l'aide d'un avocat et qu'il avait droit à une telle assistance. Le juge aurait dû, en outre, expliquer que c'est la Couronne qui avait le fardeau d'établir une preuve hors de tout doute raisonnable et que l'appelant pouvait en conséquence décider de ne pas produire de défense, s'il jugeait que la Couronne ne s'était pas déchargée de son fardeau. Dans le même cadre, le cas échéant, le juge aurait dû souligner à l'appelant qu'il n'était pas tenu de répondre à des questions de la Couronne (de fait, celle-ci n'a pas interrogé l'appelant). Enfin, le juge aurait dû indiquer à ce dernier que s'il décidait de faire une preuve, celle-ci devait normalement viser à fournir une excuse légitime expliquant pourquoi il ne s'était pas conformé à la promesse qu'il avait faite, d'autant plus que l'acte d'accusation ne contenait pas les mots "sans excuse légitime" que l'on trouve à l'alinéa 145 (5.1) a) du Code criminel.

[64] Dans l’arrêt McKibbon, le juge Carthy écrit ce qui suit :

The trial judge, of course, has a duty to the accused to see that he or she has a fair hearing and that duty will generally cast upon the judge an obligation to point out to the accused that he or she would be at a distinct disadvantage in proceeding without the assistance of competent counsel and that the accused is entitled to have such counsel. Where the accused expressly desires counsel, it is clear that unless the accused has deliberately failed to retain counsel, or has discharged counsel, with the intent of delaying the process of the court, the trial judge should afford the accused an opportunity to retain counsel either at his expense or through the services of Legal Aid. If Legal Aid will not fund counsel it may be necessary at least in long complicated trials to stay the proceedings until counsel is funded

[65] Bien entendu, on peut affirmer que la remarque du juge qui invite l’appelant à consulter un avocat est une manière d’informer l’appelant qu’il sera désavantagé. Le juge qui fixe la date du procès de l'appelant est certainement animé de cette préoccupation lorsqu’il formule sa suggestion à l’appelant.

[66] De l’avis du Tribunal, c’est une chose que d’inviter un accusé à faire des démarches pour parler à un avocat, cela en est une autre de lui dire qu’il sera en situation désavantageuse s’il procède sans avocat. Il n’y a pas là qu’une distinction sémantique ou un formalisme procédural sans conséquence. Il s’agit d’une simple obligation d’information qui est substantielle et qui n’est pas onéreuse pour l’administration de la justice.

[67] En l’espèce, l’appelant n’a donc jamais été informé, contrairement à une jurisprudence constante, qu’il serait dans une situation désavantageuse en procédant seul.

[68] Dans R. c. Persaud, le juge Hill énonce les éléments de procédure criminelle qui devraient être expliqués à l’accusé:

While it may not be necessary in every case, the appellant was not informed by the court, prior to the start of trial, as to some of the rudiments of criminal procedure, including:

(1) The elements of the offence charged which the Crown was required to prove beyond a reasonable doubt in order to establish guilt.

(2) The nature of the Crown's production of its case including the calling of witnesses with in-chief examination without leading questions, the accused's right to cross‑examine, and the Crown's right to re-examine.

(3) The purpose of cross-examination with the accused cautioned not to give evidence in the asking of questions.

(4) The authority of the accused to object to prosecution questions as not relevant or as inadmissible according to the laws of evidence.

(5) The mechanics of entering exhibits.

At the conclusion of the prosecution case, in asking the appellant whether he planned on testifying on his own behalf, the court quite properly informed him that he was not obliged to but could if he wished. The appellant was not informed, however, that he would be subject to cross-examination and that his evidence could be considered for or against him in the determination of guilt and innocence. Further, the appellant was not informed that a defence might be given less weight where witnesses for the defence were called to testify in advance of the appellant himself. Indeed, in this case, the appellant's alibi witness was called to testify prior to the appellant himself.

[69] La liste des éléments énoncés par le juge Hill n’est ni limitative ni obligatoire. Une jurisprudence constante confirme cependant la sagesse de fournir ces explications préliminaires.

[70] Le procès d’un accusé non représenté qui débute, sans les explications de base sur le fonctionnement d’un procès, est bien mal amorcé. Une telle omission n’est pas nécessairement fatale en soi dans l’évaluation du caractère équitable du procès mais elle doit s'apprécier dans le contexte de l'ensemble du procès.

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