vendredi 8 octobre 2010

La portée du mandat de perquisition VS le droit au silence, le droit à la présomption d'innocence, le droit de ne pas être mobilisé contre soi-même et la protection contre l'auto incrimination

R. c. Boudreau-Fontaine, 2010 QCCA 1108 (CanLII)

[38] Quant à la preuve découverte à la suite du mandat de perquisition, il faut souligner le caractère singulier de ce mandat.

[39] Je rappelle qu'il ordonne à l'intimé de divulguer son ou ses mots de passe « afin de démontrer que l'ordinateur a été connecté à Internet par M. Boudreau-Fontaine, contrevenant ainsi aux conditions de sa probation ». En d'autres termes, le juge de paix sommait l'appelant de donner une information essentielle spécifiquement en vue de l'amener à s'incriminer. Je ne peux voir comment le doit criminel pourrait permettre une telle ordonnance. Il faut rappeler que l'intimé s'est conformé à l'ordonnance, mais qu'il ne l'aurait sûrement pas fait sans cet ordre, la preuve étant qu'il a refusé de parler aux policiers des événements du 19 septembre lors de son arrestation. Comme l'écrit l'intimé dans son exposé, cette ordonnance met en cause le droit au silence, le droit à la présomption d'innocence, le droit de ne pas être mobilisé contre soi-même et la protection contre l'auto incrimination. Contraint de participer à l'enquête policière et de donner une information cruciale, contrairement à ses droits constitutionnels, l'intimé a fait une déclaration (l'identification de son mot de passe) qui est irrecevable et qui rend abusive la saisie des données qui a suivi. Bref, même si cette saisie a été précédée d'une autorisation judiciaire, la loi ne permettait pas d'y adjoindre une ordonnance forçant l'intimé à s'incriminer.

[40] Dans R. c. Hebert, 1990 CanLII 118 (C.S.C.), [1990] 2 R.C.S. 151, paragr. 47, la juge McLachlin écrit :

[…] la portée du droit de garder le silence réside dans l'idée qu'une personne dont la liberté est compromise par le processus criminel ne peut être tenue de témoigner contre elle-même mais qu'elle a plutôt le droit de choisir de s'exprimer ou de garder le silence.

[41] Sans être nécessairement détenu, l'intimé était contraint de participer à sa propre incrimination et n'avait pas le choix : il devait aider les policiers à le faire condamner. Cette façon de faire ne peut être acceptée.

[42] Je précise que, selon moi, pour les fins de l'analyse, l'information ainsi fournie était essentielle, et ce, malgré l'admission selon laquelle un policier avait obtenu l'information d'un spécialiste des crimes technologiques qu'il était possible de découvrir les données contenues dans l’ordinateur de l’intimé sans que ce dernier révèle le mot de passe en requérant les services d’une firme spécialisée. Dans R. c. Marini, [2000] O.J. No. 1363, la Cour d'appel d'Ontario fait les commentaires suivants :

11 The Crown also argues that the admission of this evidence would not render the trial unfair because it would have been discovered in the absence of the unlawful conscription of the appellant. The Crown says that it was open to the police to obtain a search warrant under s. 487 of the Criminal Code to seize the tissue or other bodily substances from the appellant while he was in custody, or to obtain a DNA warrant after the new DNA warrant provisions were enacted in 1995 (the arrest was in September 1992).

12 In order to take advantage of the discoverability principle, the Crown must establish on a balance of probabilities that the police would have availed themselves of the alternative lawful or non-conscriptive means: Stillman, supra, p. 360. There was no evidence on the application to establish that the police would have taken the steps that the Crown now urges were open to them. On the facts of this case we are not prepared to draw that inference.

[43] Il est vrai que ces commentaires ont été tenus dans le cadre de l'analyse du paragr. 24 (2) de la Charte. Ils demeurent néanmoins pertinents lorsqu'il s'agit de savoir si l'information obtenue contre le gré de l'intimé peut être qualifiée d'essentielle, autrement dit si elle peut établir une violation qui a eu un impact grave et important sur ses droits. J'estime que c'est le cas.

[44] Il est loin d'être certain, en tout cas la preuve ne le démontre pas, que la poursuite aurait, de fait, eu accès aux données contenues dans l'ordinateur sans l'information que l'intimé a été forcé de divulguer. L'admission à ce sujet n'est tout au plus que théorique et ne démontre pas, pour paraphraser l'arrêt Marini, précité, que les policiers auraient véritablement entrepris cette démarche. La preuve ne permet même pas de savoir si la moindre tentative a été faite auprès d'une firme spécialisée. Si tel est le cas, cette firme était-elle en mesure d'avoir accès à l'ordinateur spécifique de l'intimé? Qui a donné cette information au policier? D'où provient-elle? Quelles sont les chances de réussite? En somme, il s'agit tout au plus, toujours selon la preuve, d'une simple possibilité. Et si les données étaient si aisément accessibles, l'on serait en droit de s'interroger sur la raison d'être d'une telle ordonnance. Dans ces circonstances, il faut conclure que les droits de l'intimé ont été brimés et que cette entorse a eu un impact significatif en le forçant à fournir aux policiers une information essentielle à la preuve de la poursuite.

[46] Ces dispositions ne peuvent autoriser un juge de paix à ordonner à un suspect de s'incriminer de la sorte. D'une part, le paragr. 2.1 permet à la personne autorisée à faire la perquisition d'avoir accès aux données que contient l'ordinateur. Pour ce faire, cette personne doit évidemment pouvoir utiliser l'ordinateur, ce qui n'autorise pas un juge de paix à forcer un suspect à s'incriminer. D'autre part, le paragr. 2.2 oblige le responsable du lieu de la perquisition à laisser les agents accéder à l'ordinateur et procéder aux opérations permises par le paragr. 2.1. Là encore, je ne peux voir comment cette disposition pourrait autoriser l'État à contrevenir à des droits aussi fondamentaux que le droit au silence et à la présomption d'innocence. Je rappelle qu'ici le responsable du lieu était le responsable du poste de police, situation pour le moins saugrenue.

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