mercredi 10 novembre 2010

La notion de fonctionnaire du Code criminel est plus large que l'acception commune de ce terme et les critères correspondant à la définition législative et jurisprudentielle applicable

R. c. C.L., 2002 CanLII 35073 (QC C.A.)

Lien vers la décision

[23] Une remarque préliminaire s'impose. La notion de fonctionnaire du Code criminel est plus large que l'acception commune de ce terme, puisqu'en général, dans ce dernier cas, l'une des conditions essentielles du statut est la permanence d'emploi. C'est d'ailleurs ce qu'a fait remarquer le juge Pigeon dans Doré c. Procureur général du Canada, 1974 CanLII 153 (C.S.C.), [1975] 1 R.C.S. 756 p. 758.

[24] C'est ainsi que, dans la langue de tous les jours, on retrouve les définitions suivantes:

Le petit Robert : fonctionnaire : «personne qui remplit une fonction publique; personne qui occupe, en qualité de titulaire, un emploi permanent dans les cadres d'une administration publique».

Le Grand dictionnaire encyclopédique Larousse : fonctionnaire : «1) agent public, nommé dans un emploi permanent, a été titularisé dans un grade de la hiérarchie des administrations de l'État; 2) titulaire d'une fonction publique. ENCYCL : l'exigence de la nomination dans un emploi permanent exclut de la catégorie des fonctionnaires, les agents temporaires ou intérimaires. L'exigence de la titularisation exclut de cette catégorie les stagiaires, contractuels et auxiliaires».

The dictionary of Canadian law : official : «any person employed in, on occupying a position of responsibility, the service of Her Majesty and includes any person formerly so employed or formerly occupying such position».

[25] Il en est également ainsi en droit administratif où les employés contractuels occasionnels du gouvernement ne sont pas considérés comme des fonctionnaires. L'auteur René Dussault, dans son Traité de droit administratif, (R. DUSSAULT et L. BORGEAT, Traité de droit administratif, 2e éd., Québec, P.U.L., 1986, p. 240) écrit à cet égard:

«Il s'agit de tous ces collaborateurs de l'État qui, dans des conditions très variables, participent à l'accomplissement de tâches de service public, en vertu d'un simple contrat de louage de services régi principalement par le droit commun; on a recours à eux pour une période donnée en vue d'un travail prédéterminé avec un objectif bien défini qui ne peut être exécuté par le personnel régulier du ministère ou de l'organisme en cause ni par un employé occasionnel; de ce fait, les employés contractuels ne sont pas soumis au statut général de la fonction publique et ne sont pas considérés comme fonctionnaires.»

[26] La jurisprudence pénale sur la question n'est pas nombreuse. L'ancêtre de l'article 118 C.cr. (art. 99 C.cr. jusqu'en 1985) était rédigé, quant aux paragraphes en jeu ici, de façon rigoureusement identique, ce qui permet de nous référer donc aux précédents antérieurs à 1985.

[27] C'est ainsi que les tribunaux canadiens ont conclu que les personnes suivantes étaient des fonctionnaires: Un employé de la Société Radio-Canada; un employé sous contrat de la Société d'habitation du Québec; un ministre, [1959] R.C.S. 678); un membre du Conseil législatif; un sénateur; un fonctionnaire municipal élu; un employé de la Commission des liqueurs du Québec; un directeur d'une succursale de la Société centrale d'hypothèque et de logement; un ingénieur de Hydro-Québec; un gérant de succursale postale; un inspecteur agraire; un directeur général de la Ville de Québec; un policier (références omises).

[28] Au contraire, n'ont pas été qualifiées de fonctionnaires les personnes suivantes: Un inspecteur autorisé au sens de la Loi sur les produits agricoles, les produits marins et les aliments; un syndic; un directeur des HEC; un employé du Community Resource Services (compagnie privée sans but lucratif); un pilote d'hélicoptère dont l'employeur avait un contrat avec un ministère canadien (références omises).

[29] Pour décider donc si l'appelant correspond à la définition législative et jurisprudentielle, il convient, dans un premier temps, d'identifier précisément le rôle contractuel qu'il jouait et, dans un second temps, de déterminer, eu égard aux critères posés par la jurisprudence, le profil exact de ses fonctions.

[41] Quels sont les critères qui, appliqués en l'espèce, peuvent permettre de décider si l'appelant n'était qu'un simple consultant contractuel ou un fonctionnaire au sens élargi donné à ce terme?

[42] Le premier critère, qui n'est pas pertinent et doit donc être écarté, est la qualification juridique de la relation contractuelle. Dans Procureur général du Québec c. Cyr, [1984] C.A. 254, le juge Claire L'Heureux-Dubé, alors à la Cour d'appel, écrivait:

« La relation contractuelle, qu'il s'agisse d'un mandat ou d'un louage de service, n'affecte en rien l'issue du litige. Il n'y a rien d'incompatible en soi à ce qu'une charge ou fonction soit celle de mandataire. Par ailleurs, le contrat intervenu entre la Société et Transit Inc. est intitulé «Contrat de location de service».»

[43] Le second critère est la sujétion de la personne à l'autorité du gouvernement. La chose ne fait pas de doute ici. Le rôle du Secrétariat était clairement défini. Celui-ci devait préparer des études de façon à permettre au gouvernement du Québec de restructurer l'administration publique, le tout sous le contrôle du Secrétaire. L'appelant dépendait hiérarchiquement du Secrétaire général, lui-même fonctionnaire gouvernemental permanent.

[44] Le troisième critère qui m'apparaît le plus important est que cette personne ait des responsabilités et une autorité qui le placent dans un poste de confiance.

[45] Dans R. c. Pruss, précité, le juge Trainor écrivait:

«To become an official, the person must clearly be put in the position of trust.»

[46] En bref un fonctionnaire, au sens du Code criminel, est une personne qui œuvre pour l'État, qui remplit un emploi de confiance à titre de conseiller ou autre dans une dynamique de réalisation ou de promotion des intérêts de l'État.

[47] Je n'ai donc pas d'hésitation à conclure que l'appelant remplissait toutes et chacune des conditions. Il était, en effet, au coeur même d'un Secrétariat rattaché au ministère du Conseil exécutif jouant un rôle central au sein de l'État. Les fonctions et obligations décrites plus haut montrent qu'il occupait un poste de confiance, un poste de responsabilité, un poste d'autorité lui donnant de véritables pouvoirs dans l'attribution des contrats de recherche et dans l'identification des personnes susceptibles de remplir ces commandes. C'est l'utilisation de cette autorité et de ces fonctions qui lui a permis d'obtenir les avantages personnels.

[48] Je suis donc d'avis que le premier juge n'a pas commis d'erreur de droit en le trouvant coupable des chefs d'accusation tels que constitués.

[49] Quant à l'argument subsidiaire de l'appelant qu'il ignorait son statut de fonctionnaire, la preuve à cet égard me paraît claire. L'appelant se considérait, effet, comme faisant partie du gouvernement. Les témoins entendus au cours du procès l'ont toujours considéré comme un intermédiaire entre eux et le Secrétariat. Enfin, M… G… a témoigné que l'appelant lui-même lui a dit qu'il avait quitté son poste auprès de [la Compagnie B], parce qu'il se disait «…être au gouvernement». Il n'ignorait donc pas son statut (référence omise).

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