R. c. Briscoe, 2010 CSC 13 (CanLII)
Lien vers la décision
[21] L’ignorance volontaire ne définit pas la mens rea requise d’infractions particulières. Au contraire, elle peut remplacer la connaissance réelle chaque fois que la connaissance est un élément de la mens rea. La doctrine de l’ignorance volontaire impute une connaissance à l’accusé qui a des doutes au point de vouloir se renseigner davantage, mais qui choisit délibérément de ne pas le faire. Voir Sansregret c. La Reine, 1985 CanLII 79 (CSC), [1985] 1 R.C.S. 570, et R. c. Jorgensen, 1995 CanLII 85 (CSC), [1995] 4 R.C.S. 55. Comme l’a dit succinctement le juge Sopinka dans Jorgensen (par. 103), « [p]our conclure à l’ignorance volontaire, il faut répondre par l’affirmative à la question suivante : L’accusé a‑t‑il fermé les yeux parce qu’il savait ou soupçonnait fortement que s’il regardait, il saurait? »
[22] Les tribunaux et les auteurs ont, je tiens à le rappeler, toujours insisté sur le fait que l’ignorance volontaire se distingue de l’insouciance. Comme l’a expliqué la Cour dans Sansregret (p. 584) :
. . . alors que l’insouciance comporte la connaissance d’un danger ou d’un risque et la persistance dans une conduite qui engendre le risque que le résultat prohibé se produise, l’ignorance volontaire se produit lorsqu’une personne qui a ressenti le besoin de se renseigner refuse de le faire parce qu’elle ne veut pas connaître la vérité. Elle préfère rester dans l’ignorance. La culpabilité dans le cas d’insouciance se justifie par la prise de conscience du risque et par le fait d’agir malgré celui‑ci, alors que dans le cas de l’ignorance volontaire elle se justifie par la faute que commet l’accusé en omettant délibérément de se renseigner lorsqu’il sait qu’il y a des motifs de le faire. [Je souligne.]
[23] Il est important de distinguer les concepts d’insouciance et d’ignorance volontaire. Glanville Williams explique comme suit la principale restriction à la doctrine :
[traduction] La règle selon laquelle l’ignorance volontaire équivaut à la connaissance est essentielle et se rencontre partout dans le droit criminel. En même temps, c’est une règle instable parce que les juges sont susceptibles d’en oublier la portée très limitée. Une cour peut valablement conclure à l’ignorance volontaire seulement lorsqu’on peut presque dire que le défendeur connaissait réellement le fait. Il le soupçonnait; il se rendait compte de sa probabilité; mais il s’est abstenu d’en obtenir confirmation définitive parce qu’il voulait, le cas échéant, être capable de nier qu’il savait. Cela, et cela seulement, constitue de l’ignorance volontaire. Il faut en effet qu’il y ait conclusion que le défendeur a voulu tromper l’administration de la justice. Toute définition plus générale aurait pour effet d’empêcher la distinction entre la doctrine de l’ignorance volontaire et la doctrine civile de la négligence de se renseigner. [Je souligne.]
(Criminal Law : The General Part (2e éd. 1961), p. 159 (cité dans Sansregret, p. 586).)
[24] Le professeur Don Stuart fait utilement remarquer que l’expression [traduction] « ignorance délibérée » semble plus descriptive que l’expression « aveuglement volontaire », étant donné qu’elle suggère l’idée d’[traduction] « un processus réel de suppression des soupçons ». Considéré, comme il se doit, dans cette optique, [traduction] « le concept d’ignorance volontaire a une portée restreinte et ne s’écarte pas de l’analyse subjective du fonctionnement de l’esprit de l’accusé » (Canadian Criminal Law : A Treatise (5e éd. 2007), p. 241). Si le défaut de se renseigner peut être une preuve d’insouciance ou de négligence criminelle, par exemple lorsque le défaut de se renseigner constitue un écart marqué par rapport à la conduite d’une personne raisonnable, l’ignorance volontaire n’est pas un simple défaut de se renseigner, mais, pour reprendre les termes du professeur Stuart, une « ignorance délibérée ».
Aucun commentaire:
Publier un commentaire