mardi 10 décembre 2013

L'avocat ne peut, par ses avis, se faire complice, même involontaire ou à son insu, de la commission d’un crime / Le privilège s’étend aux collaborateurs immédiats de l’avocat

R. c. Garneau, 2001 CanLII 20619 (QC CA)


[14]           Le substitut a déposé au procès une déclaration donnée, sans doute aux policiers, par Me Belley, l’avocat que l’accusé avait consulté sur le règlement de la succession de Suzanne Vallières. L’appelante a jugé inutile de la reproduire au dossier. Quoi qu’il en soit, le juge en a lu quelques lignes à l’enquête. On apprend ainsi que Me Belley avait refusé le mandat qu’on voulait lui confier (sans plus de précision), référé Gilles Garneau au notaire Larocque et proposé que la rencontre se tienne à son cabinet. Dès après la production de cette déclaration, le ministère public a appelé Suzanne Charbonneau, la secrétaire de Me Belley; le substitut voulait l’interroger sur les propos tenus par l’accusé dans la salle d’attente des bureaux de son patron. Le juge a maintenu l’objection de la défense, à tort selon l’appelante.
[15]           La relation privilégiée et la confidentialité qui entourent les communications avocat-client sont des principes reconnus. Le privilège s’étend d’ailleurs aux collaborateurs immédiats de l’avocat. Il appartient donc à celui qui soulève une exception à cette règle cardinale de notre droit judiciaire civil et criminel d’en faire la démonstration.
[16]           En l’espèce, le substitut plaide deux moyens :
a>        il n’y a jamais eu de relations professionnelles ou s’il y en eut, elles étaient terminées puisque Me Belley n’a pas accepté le mandat et référé son client à un notaire;

b>        l’accusé Gilles Garneau voulait obtenir une opinion juridique en vue de la commission d’un acte criminel car, peut-on lire au mémoire : « la finalité avouée derrière la démarche (auprès de l’avocat) s’avérait l’utilisation du testament »; l’appelante ajoute que l’accusé a consulté l’avocat parce qu’« il désirait s’esquiver d’une enquête instituée autour des circonstances du décès de la défunte ».

[17]           La première proposition suivant laquelle l’avocat n’a jamais eu mandat est totalement dénuée de fondement. Que l’avocat accepte ou non d’agir est sans pertinence sur le droit à la confidentialité s’il a été consulté en sa qualité professionnelle. En l’espèce, il est incontestable que c’est à l’avocat que Gilles Garneau a demandé un avis.
[18]           Quant à la seconde prétention, celle de la consultation en vue de servir un dessein criminel, elle est aussi sans valeur. Il est reconnu que l’avocat ne peut, par ses avis, se faire complice, même involontaire ou à son insu, de la commission d’un crime.
[19]           C’est ce que la Cour suprême nous enseigne dans l’arrêt Descôteaux (précité).
Il y a des exceptions. Il ne suffit pas de parler à un avocat ou l'un de ses collaborateurs pour que dès lors tout soit confidentiel. Il faut que la communication soit faite à l'avocat ou à ses collaborateurs en leur qualité professionnelle; la relation, au moment précis de la communication, doit être de nature professionnelle. Ne seront pas non plus confidentielles les communications faites dans le but de perpétrer plus facilement un crime ou une fraude, et ce, que l'avocat soit de bonne ou mauvaise foi.

et Solosky (précité) :

Plus significatif, si un client consulte un avocat pour pouvoir perpétrer plus facilement un crime ou une fraude, alors la communication n'est pas privilégiée et il importe peu que l'avocat soit une dupe ou un participant. L'arrêt classique est R. v.Cox and Railton, (1884), où le juge Stephen s'exprime en ces termes (p. 167): [TRADUCTION] «Une communication faite en vue de servir un dessein criminel ne «relève pas de la portée ordinaire des services professionnels.»

[20]           Cela dit, le critère pour autoriser un tribunal à soulever le voile de confidentialité de la communication avocat-client est celui dégagé par le juge LeBel, alors qu’il était à notre Cour, dans l’affaire Amadzadegan Sharmirzadi c. Polak. Parlant au nom de la Cour, mon collègue d’alors avait exprimé l’avis que celui qui cherche à se prévaloir de cette exception doit au préalable faire la démonstration d’un ensemble de faits ou circonstances qui, sur la base de la balance de probabilités, permet de dégager la probabilité de l’existence d’une intention chez le client de commettre un crime ou une fraude grâce à la communication privilégiée. Cette thèse est celle exprimée par la Chambre des Lords dansO’Rourke c. Darbishire auquel le juge LeBel se rallie :
La règle de common law, telle que dégagée à partir de l'arrêt Darbishire, représente un équilibre entre des intérêts sociaux et juridiques contradictoires. Elle empêche le détournement du secret professionnel de sa finalité. Elle évite que son contenu ne soit révélé sans une vérification attentive d'une preuve circonstancielle de l'intention capable d'établir, sur une balance des probabilités, son utilisation à des fins criminelles. La modification d'une telle règle ne s'impose pas, même depuis l'entrée en vigueur de la Charte. Les garanties juridiques de celle-ci ne paraissent pas exiger la confidentialité totale de communication professionnelle à des fins criminelles.

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