41 Dans le cas des mandats complexes et à exécution prolongée, l’imposition d’une obligation de justifier de chaque cas d’application de la confidentialité, puis de l’application de l’immunité de divulgation judiciaire paraît mal adaptée à la fois à la nature des rapports professionnels et aux exigences d’une protection efficace du secret. Dans un cas comme celui que nous examinons, il faudrait obliger le client et son avocat à tenter de disséquer l’ensemble des éléments de leur relation pour réussir à les qualifier et à invoquer ensuite l’immunité de divulgation à l’égard de certains éléments et non à l’égard d’autres (Québec (Sous-ministre du Revenu) c. Legault, précité, p. 231). Une telle démarche multiplierait les risques de divulgation d’informations confidentielles et affaiblirait d’autant un secret professionnel auquel le législateur et la jurisprudence ont voulu assurer une protection forte et généreuse (Poulin c. Prat, [1994] R.D.J. 301 (C.A.), p. 307; McClure,précité, par. 33).
42 En pareil cas, une méthode différente paraît préférable. Il suffirait d’exiger de la partie désireuse d’invoquer le secret professionnel qu’elle établisse qu’un mandat général a été confié à un avocat pour rendre une gamme de services que l’on attend en général de lui, en sa qualité professionnelle. À cette étape, s’appliquerait une présomption de fait, réfragable toutefois, selon laquelle l’ensemble des communications entre le client et l’avocat et des informations seraient considérées prima facie de nature confidentielle. Bien qu’il se soit agi d’un domaine différent, soit la procédure pénale, notre Cour a d’ailleurs recommandé une méthode analogue aux étapes initiales de l’examen des difficultés causées par les conflits potentiels entre le privilège de l’avocat en common law et le souci de sauvegarder la présomption d’innocence (McClure, précité, par. 46-51). Il appartiendrait à la partie adverse de préciser la nature des informations qu’elle recherche et de justifier qu’elles ne sont soumises ni à l’obligation de confidentialité, ni à l’immunité de divulgation, ou qu’il s’agit d’un cas où la loi autoriserait la divulgation en dépit de l’existence du secret professionnel. Cette méthode aurait des conséquences procédurales. Elle obligerait la partie à poser des questions précises et limitées sur les informations recherchées. Ce type de question prendrait mieux en compte la sensibilité de tout interrogatoire sur les relations professionnelles entre un client et son avocat et la nécessité de minimiser les atteintes au secret professionnel liant ce dernier. Elle éviterait les « expéditions de pêche » qui chercheraient à utiliser l’avocat comme source d’information contre son client, à partir des dossiers qu’il tient pour lui et des rapports qu’il est appelé à lui faire. On peut aussi espérer que l’on chercherait d’abord à obtenir les informations disponibles d’autres sources que les avocats. Une bonne politique judiciaire, consciente de l’importance sociale du secret professionnel de l’avocat et de la nécessité de sa protection, ne doit certes pas chercher à faciliter ce type d’interrogatoires, mais plutôt à les restreindre autant que faire se peut.
47 Une pareille attitude s’explique sans doute par un souci de prudence tactique, qui veut éviter que le juge du procès soit influencé par le contenu de documents que l’on estime inadmissibles. Sans doutes fréquentes, ces inquiétudes ne se justifient pas. Il faut se souvenir que, quotidiennement, les juges doivent se prononcer sur la recevabilité d’éléments de preuve qu’ils doivent examiner ou entendre avant de les écarter et que cette fonction constitue une part indispensable de leur rôle dans la conduite des procès civils ou criminels. Ils savent qu’ils doivent oublier les éléments de preuve qu’ils ont jugés inadmissibles et ne rendre jugement que sur la base de la preuve reçue au dossier du tribunal. Dans cette optique, la proposition avancée par l’appelante invite le juge à ne pas exercer une de ses fonctions centrales dans l’examen de la preuve pour s’en remettre à l’affirmation invérifiée et invérifiable des avocats de l’appelante. Je veux bien croire à leur bonne foi et me fier à leur serment d’office, mais il demeure que les tribunaux n’ont même pas eu à leur disposition une déclaration assermentée qui identifierait les documents en litige et décrirait sommairement leur nature et celle de l’objection à leur production. Dans un tel contexte, la prétention de la Ville demande aux tribunaux d’abdiquer la fonction traditionnelle de décider de l’admissibilité et de la pertinence des éléments de preuve, que leur laisse toujours, sauf exceptions, le droit de la preuve applicable au Canada. Ces objections ne peuvent être tranchées sur la seule déclaration unilatérale d’une partie. Le juge doit effectuer son travail de vérification, comme l’a décidé à bon droit la Cour d’appel (voir Champagne c. Scotia McLeod Inc., [1992] R.D.J. 247 (C.A.); Lab Chrysotile Inc. c. Société Asbestos Ltée, [1993] R.D.J. 641 (C.A.)). Après cet examen, il statuera sur la recevabilité de cette demande de communication de documents. Il est d’ailleurs intéressant de noter que les règles de pratique de certaines provinces reconnaissent explicitement l’existence de cette fonction nécessaire du juge (voir par. 30.04(6)des Règles de procédure civile de l’Ontario, R.R.O. 1990, Règl. 194; règle 31.04(4) des Règles de procédure du Nouveau‑Brunswick).
Aucun commentaire:
Publier un commentaire