jeudi 30 octobre 2014

Les fouilles et perquisitions qui sont effectuées dans un domicile ou près de celui-ci

Daoust c. R., 2014 QCCS 4876 (CanLII)


[21]        Les fouilles et perquisitions qui sont effectuées dans un domicile ou près de celui-ci ont généré une jurisprudence abondante, riche et nuancée.
[22]        Les auteurs de l'ouvrage Criminal Procedure in Canada en tracent le panorama suivant :
§3.56 Police may also have implicit permission to enter into private buildings when they suspect that a crime has been or is occurring there.144This permission is only effective if they believe that the owner of the property is not the perpetrator.145 Similarly, as discussed below, in limited circumstances police may enter into a home to ensure the safety of its occupants.146 In neither situation, however, may police actively search for evidence against the occupants. They may intrude only to the extent necessary to achieve the purpose of the entry; but in so doing, they may seize any evidence in plain view.147
§3.57 The zone of privacy attaching to the home extends to observations of its exterior and the areas surrounding it,148 at least when police enter onto private property to make close observations of buildings and other structures.149 The Supreme Court ruled in R. v. Patrick,150 however, that police did not invade the accused’s reasonable expectation of privacy by reaching over his property line to obtain garbage left for collection.151
§3.58 Courts have also held that naked-eye observations of private property from conventional vantage points (such as public roads) do not invade a reasonable expectation of privacy.152 It is not as clear, however, whether police may observe private land from unconventional vantage points. A number of courts have considered, for example, whether police need warrants to make observations from overflying aircraft. In R. v. Kelly,153 the Court held that the naked-eye aerial surveillance of a residential garden from any altitude invades a reasonable expectation of privacy.154 But more recently, courts have held that aerial surveillance will only engage section 8 if it enables close-range observations of a kind normally unavailable to the flying public.155
§3.59 Police may also use remote sensors to obtain information about activity occurring inside an enclosed structure. In R. v. Tessling,156 the Supreme Court held that the use of an infrared camera to detect the high intensity lamps used for Hydroponic marijuana cultivation did not invade a reasonable expectation of privacy.157 Because the camera was only able to discern crude patterns of heat distribution, the Court held, it revealed nothing of the occupant’s “biographical core of personal information.”158 Though he could not prevent heat from escaping,159 and though the camera revealed more information than was apparent to the naked eye, it nonetheless “record[ed] only information exposed to the public”.160
§3.60 The key questions left unresolved by Tessling are whether and to what extent police may use tools to: (i) gain a better vantage point (such as cranes, ladders, or aircraft) to make unaided sensual observations; (ii) enhance sensual observations (for example with telescopic lenses); or (iii) accomplish both (i) and (ii). Following Tesslingcourts considering these questions are likely to focus on the nature of the information that the investigative technique reveals. In doing so, they should also carefully consider the consequential effects of either applying or not applying section 8 to an investigative technique. The camera used in Tessling was not troubling because it did not reveal information that might cause law abiding people to either avoid beneficial activities or spend wastefully on defensive privacy measures; nor did it seem likely to encourage discriminatory profiling.161
§3.61 However, if an area of private, real property is typically used for intimate, lawful activity, and occupants have taken reasonable measures to shield it from public view, police should not be free to use technological means to defeat those measures. Warrants should accordingly be required for intrusive surveillance of the fenced-in, private land immediately surrounding a residence.162 People do not expect as much privacy in their backyards, pools and gardens as in the interiors of their homes, but they do use these areas for sensitive activities. Police would thus require warrants to observe these areas using either telescopic enhancement or continuous video recording. Warrants would not be required, however, to make naked-eye observations or take non-telescopic still photographs from either high altitudes or conventionally accessible vantage points, such as adjoining buildings.163
[Le soulignement est ajouté]
[23]        Ce résumé de la jurisprudence décrit le contexte du débat qui est l'enjeu central de ce pourvoi.
[24]        L'appelant reconnaît que, selon l'arrêt R. c. Edwards, l'existence d'une attente raisonnable de vie privée doit être déterminée eu égard à l'ensemble des circonstances.
[25]        Le critère de l'ensemble des circonstances formulé dans l'arrêt Edwards a ensuite été appliqué et adapté par le juge Binnie dans l'arrêt R. c. Tessling qui mettait en cause l'utilisation d'un système infrarouge à vision frontale et l'arrêt R. c. Patrick au sujet de la fouille des ordures d'un citoyen.
[26]        Les principes énoncés dans ces décisions ont été résumés récemment par le juge Cromwell dans l'arrêt R. c. Spencer.
[27]        Dans cette affaire, la Cour suprême examine la question de l’obtention par la police, auprès d'un fournisseur de services Internet, des renseignements sur un abonné à qui appartenait une adresse IP. Le juge Cromwell écrit :
[15]      Suivant l’article 8 de la Charte, « [c]hacun a droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives ». La Cour insiste depuis longtemps sur la nécessité d’adopter, à l’égard de l’art. 8, une approche téléologique axée principalement sur la protection de la vie privée considérée comme une condition préalable à la sécurité individuelle, à l’épanouissement personnel et à l’autonomie ainsi qu’au maintien d’une société démocratique prospère : Hunter c. Southam Inc.1984 CanLII 33 (CSC), [1984] 2 R.C.S. 145, p. 156 et 157; R. c. Dyment1988 CanLII 10 (CSC), [1988] 2 R.C.S. 417, p. 427 et 428; R. c. Plant1993 CanLII 70 (CSC), [1993] 3 R.C.S. 281, p. 292 et 293; R.c.Tessling2004 CSC 67 (CanLII), [2004] 3 R.C.S. 432, par. 12 à 16; Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Travailleurs et travailleuses unis de l’alimentation et du commerce, section 4012013 CSC 62 (CanLII), [2013] 3 R.C.S. 733, par. 22.
[16]      En premier lieu, il s’agit de savoir si cette protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives s’applique en l’espèce. Pour le savoir, il faut déterminer si les mesures prises par la police en vue d’obtenir les renseignements sur l’abonnée à qui appartenait l’adresse IP constituaient une fouille, une perquisition ou une saisie au sens de l’art. 8 de la Charte. Pour répondre à cette question, il faut déterminer si, compte tenu de l’ensemble des circonstances, M. Spencer s’attendait raisonnablement au respect du caractère privé des renseignements fournis par Shaw à la police. Si tel était le cas, l’obtention de ces renseignements constituait une fouille ou une perquisition.
[17]      On détermine s’il existe une attente raisonnable en matière de respect de la vie privée, compte tenu de l’ensemble des circonstances, en examinant et en soupesant un grand nombre de facteurs interreliés qui comprennent à la fois des facteurs relatifs à la nature des droits en matière de vie privée visés par l’action de l’État et des facteurs qui ont trait plus directement à l’attente en matière de respect de la vie privée, considérée tant subjectivement qu’objectivement, par rapport à ces droits : voir, par ex., Tessling, par. 38; Ward, par. 65. La nécessité d’examiner ces éléments compte tenu de « l’ensemble des circonstances » fait ressortir le fait qu’ils sont souvent interdépendants, qu’ils doivent être adaptés aux circonstances de chaque cas, et qu’ils doivent être considérés dans leur ensemble.
[18]      La grande variété et le nombre important de facteurs pouvant être pris en considération pour évaluer les attentes raisonnables en matière de respect de la vie privée peuvent être regroupés, par souci de commodité, en quatre grandes catégories : (1) l’objet de la fouille ou de la perquisition contestée; (2) le droit du demandeur à l’égard de l’objet; (3) l’attente subjective du demandeur en matière de respect de sa vie privée relativement à l’objet; et (4) la question de savoir si cette attente subjective en matière de respect de la vie privée était objectivement raisonnable, eu égard à l’ensemble des circonstances : Tessling, par. 32, R. c. Patrick2009 CSC 17 (CanLII), [2009] 1 R.C.S. 579, par. 27; R. c. Cole2012 CSC 53 (CanLII), [2012] 3 R.C.S. 34, par. 40. Il ne s’agit toutefois pas d’un examen purement factuel. L’attente raisonnable en matière de vie privée est de nature normative et non simplement descriptive : Tessling, par. 42. Ainsi, même si l’analyse du droit au respect de la vie privée tient compte du contexte factuel, elle « abonde [inévitablement] en jugements de valeur énoncés du point de vue indépendant de la personne raisonnable et bien informée, qui se soucie des conséquences à long terme des actions gouvernementales sur la protection du droit au respect de la vie privée » :Patrick, par. 14; voir aussi R. c. Gomboc2010 CSC 55 (CanLII), [2010] 3 R.C.S. 211, par. 34, et Ward, par. 81 à 85.
[28]        Dans la présente affaire, il s'agit de déterminer si les policiers ont violé l'attente raisonnable de vie privée de l'appelant en observant sa conduite à partir du terrain de son voisin et à l'invitation de celui-ci. On se rappelle que le voisin de l'appelant avait communiqué avec la police pour signaler la commission d'une infraction criminelle.
[29]        Il est nécessaire de préciser que le juge d'instance conclut que les policiers ont fait leurs observations à partir du terrain du voisin. L'appelant n'a présenté aucun argument convaincant justifiant l'intervention du Tribunal à l'égard de cette conclusion factuelle.
[30]        Le cadre d'analyse est ainsi formulé par le juge Binnie dans l'arrêt Patrick :
1.    Quel est l’objet ou la nature des éléments de preuve recueillis par la police?
2.     L’intimé possédait-il un droit direct à l’égard du contenu?
3.     L’intimé avait-il une attente subjective en matière de respect de sa vie privée relativement au contenu informationnel des ordures?
4.     Dans l’affirmative, cette attente était-elle objectivement raisonnable? À cet égard, il faut se poser les questions suivantes :
a.         De façon plus particulière, en ce qui concerne l’endroit où la « fouille ou perquisition » contestée a eu lieu, la police a-t-elle commis une intrusion sur la propriété de l’appelant et, dans l’affirmative, quelle est l’incidence de cette conclusion sur l’analyse relative au droit au respect de la vie privée?
b.         Le contenu informationnel de l’objet était-il à la vue du public?
c.         Le contenu informationnel de l’objet avait-il été abandonné?
d.         Ces renseignements étaient-ils déjà entre les mains de tiers et, dans l’affirmative, ces renseignements étaient-ils visés par une obligation de confidentialité?
e.         La technique policière avait-elle un caractère envahissant par rapport au droit à la vie privée en cause?
f.         Le recours à cette technique d’obtention d’éléments de preuve était-il lui-même objectivement déraisonnable?
g.         Le contenu informationnel révélait-il des détails intimes sur le mode de vie de l’intimé ou des renseignements d’ordre biographique le concernant?
[31]        Ces facteurs ont été appliqués récemment par la Cour d'appel dans R. c. Gignac.
[32]        Cette analyse n'est donc pas purement mécanique, car elle a un contenu normatif qui va au-delà du contexte factuel de l'affaire. L'analyse comporte inévitablement un jugement de valeurs à l'égard de la conduite de l'État susceptible de conduire à l'érosion de la protection de la vie privée des citoyens.

lundi 27 octobre 2014

La partialité en regard de l'abus de confiance

R. c. Boulanger, [2006] 2 RCS 49, 2006 CSC 32 (CanLII)


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65                              À titre de vérification, on peut se demander si l’intention de M. Boulanger atteint le degré de culpabilité habituellement requis en common law pour qu’il y ait abus de confiance — par exemple s’il a agi dans un dessein de malhonnêteté, de partialité, de corruption ou d’abus.  La malhonnêteté, la corruption et l’abus n’ont pas été clairement prouvés.  On peut dire la même chose de la partialité.  La partialité s’entend de la « disposition à accorder une préférence injustifiée » : Trésor de la langue française, t. 12, 1986, p. 1053.  L’intention de M. Boulanger est de faire rédiger un rapport complet par l’agent Stephens, et non de dévier dans un sens ou dans l’autre.

vendredi 24 octobre 2014

SEMANTIC SEARCHES (digital searches)

ATHUL K. ACHARYA
Duke University School of Law, J.D. expected 2014; Purdue University, M.S. 2008; 
University of Rochester, B.S. 2006

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http://scholarship.law.duke.edu/cgi/viewcontent.cgi?article=3402&context=dlj

jeudi 23 octobre 2014

COMPUTER SEIZURES AND SEARCHES: RETHINKING THE APPLICABILITY OF THE PLAIN VIEW DOCTRINE

James T. Stinsman, J.D., Temple University Beasley School of Law, 2011

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http://sites.temple.edu/lawreview/files/2012/02/83.4_Stinsman.pdf

Computers as Castles: Preventing the Plain View Doctrine from Becoming a Vehicle for Overbroad Digital Searches

James Saylor, Computers as Castles: Preventing the Plain View Doctrine from Becoming a Vehicle for Overbroad Digital Searches , 79
Fordham L. Rev. 2809 (2011).
Available at: http://ir.lawnet.fordham.edu/flr/vol79/iss6/11

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http://ir.lawnet.fordham.edu/cgi/viewcontent.cgi?article=4725&context=flr

Looking For Trouble: An Exploration of How to Regulate Digital Searches

Eric Yeager · Mar-28-2013 · 66 VAND. L. REV. 685 (2013)

Vanderbilt Law Review 


http://www.vanderbiltlawreview.org/content/articles/2013/03/Yeager_66_Vand_L_Rev_6851.pdf

vendredi 17 octobre 2014

Certains facteurs susceptibles de fonder une attente raisonnable en matière de vie privée

R. c. Gomboc, [2010] 3 RCS 211, 2010 CSC 55 (CanLII)

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[27]                          La Charte garantit le caractère privé des renseignements personnels en protégeant le droit de soustraire certains renseignements personnels à la connaissance de l’État.  La portée de cette protection constitutionnelle dépend de la nature des renseignements et du but dans lequel ils sont communiqués (R. c. Colarusso1994 CanLII 134 (CSC), [1994] 1 R.C.S. 20, p. 53; Patrick, par. 38).
[28]                          Dans l’arrêt Plant, le juge Sopinka a écarté toute approche catégorique de la protection du caractère privé des renseignements personnels, ne reconnaissant que la protection des renseignements de nature « personnelle et confidentielle » (p. 293). Il a adopté une approche téléologique pour décrire la protection constitutionnelle du droit au respect du caractère privé des renseignements personnels :
Étant donné les valeurs sous‑jacentes de dignité, d’intégrité et d’autonomie qu’il consacre, il est normal que l’art. 8 de la Charte protège un ensemble de renseignements biographiques d’ordre personnel que les particuliers pourraient, dans une société libre et démocratique, vouloir constituer et soustraire à la connaissance de l’État.  Il pourrait notamment s’agir de renseignements tendant à révéler des détails intimes sur le mode de vie et les choix personnels de l’individu. [p. 293]
Le juge Sopinka a également énuméré certains facteurs susceptibles de fonder une attente raisonnable en matière de vie privée, notamment, « la nature des renseignements, celle des relations entre la partie divulguant les renseignements et la partie en réclamant la confidentialité, l’endroit où ils ont été recueillis, les conditions dans lesquelles ils ont été obtenus et la gravité du crime faisant l’objet de l’enquête » (p. 293).

mercredi 15 octobre 2014

SEARCHES AND SEIZURES IN A DIGITAL WORLD

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THE GEORGE WASHINGTON UNIVERSITY LAW SCHOOL PUBLIC LAW AND LEGAL THEORY WORKING PAPER NO. 135 
SEARCHES AND SEIZURES IN A DIGITAL WORLD 
Orin S. Kerr
Accepted Paper Series 
119 HARVARD LAW REVIEW 
(forthcoming 2006)

http://isites.harvard.edu/fs/docs/icb.topic1020905.files/SearchandSeizureDigital.pdf

EX ANTE REGULATION OF COMPUTER SEARCH AND SEIZURE

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VIRGINIA LAW REVIEW 
VOLUME 96 OCTOBER 2010 NUMBER 6 
http://www.virginialawreview.org/sites/virginialawreview.org/files/1241.pdf

mardi 14 octobre 2014

Les exigences de particularités du mandat de perquisition

R. c. Bâtiments Fafard inc., 1991 CanLII 3174 (QC CA)

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D'autre part, notre Cour dans Lefebvre c. Morin, souligne Fafard, s'adressait aux mêmes questions et, sous la plume du juge LeBel, précisait ce qui suit, quant aux exigences de particularités du mandat de perquisition: (m.a. pp. 42-43)

Ces exigences signifient que la personne à qui la demande de mandat de perquisition est présentée doit posséder tous les éléments d'information nécessaires.  A défaut, elle est incapable de remplir sa fonction. De même, la demande doit-elle préciser l'objet de la perquisition sans quoi celle-ci se transforme en une procédure d'enquête policière purement discrétionnaire dont les limites sont fixées par le policier lui-même et non par l'autorisation.

Pour respecter les exigences de l'article 443 C.cr. et celles de la Charte, le juge de paix émettant le mandat doit lui-même préciser suffisamment l'objet de la perquisition de façon à ne pas laisser l'officier ou le policier qui en est chargé la définir lui-même.  Il fallait qu'il soit suffisamment informé de l'objet de la saisie.  S'il ne l'était pas, il réduisait sa fonction à celle d'un tampon encreur.  S'il l'était, une saisie analogue à celle qu'il a autorisée n'avait pas sa raison d'être.
                                                                                                                                                                                                        
L'examen de cette dernière décision amène à conclure que les circonstances étaient substantiellement différentes de celle qui nous occupe.  Toutes les parties admettaient, et cela ressortait du jugement, que les objets du mandat étaient des décodeurs. La façon de rédiger le mandat était telle qu'il permettait de saisir «des instruments visés par l'article 287.1 du C.cr. et tout ce qui s'y rapporte...».  Cette façon de rédiger permettait, comme le mentionne le juge LeBel, de «vider une manufacture d'équipement électronique de son contenu ou encore saisir la totalité de l'équipement d'un studio de radio-télévision,...».



Je ne trouve pas, dans cette dernière décision, d'appui aux prétentions de Fafard, puisqu'il s'agissait de saisir des objets identifiés ou identifiables, qui auraient pu et du être décrits précisément, étant donné que tous savaient ce qu'ils cherchaient.  Ce n'est pas du tout la situation dans le cas qui nous occupe.


Celle qui prévaut ici se rapproche singulièrement de celle qui existait dans Church of Scientology.  Je ne referai pas la démonstration faite par la cour d'appel de l'Ontario et me contenterai, en résumé, de dire que je trouve les propos que je viens de citer tout à fait applicables à l'affaire qui nous occupe.

Lorsque, précisément, l'on soupçonne évasion fiscale, profits cachés, comptabilité erronée, écritures comptables fausses  entre diverses compagnies, il est fort difficile de s'en tenir à une description précise.

Comme dans Church of Scientology, les appelants ont fait grand état du fait que le quart des documents leur ont été retournés et qu'il s'agit là de la preuve par A + B que ceux-ci n'étaient pas nécessaires.  Encore là, sans reprendre et sans traduire les propos de la cour d'appel de l'Ontario, je fais miens ceux que je viens de citer.

De tout cela, je conclus que l'argument de Fafard, à l'effet que le mandat n'était pas suffisamment précis, ne tient pas et que ce moyen d'appel doit être écarté.

vendredi 10 octobre 2014

La différence entre l'agent civil d’infiltration (state agent) et l’informateur (confidential informant)

Brind'Amour c. R., 2014 QCCA 33 (CanLII)
[63]        L’appelante ne remet pas en cause le critère juridique appliqué par la juge, plus particulièrement la définition d’un agent civil d’infiltration (« state agent »), telle que circonscrite par la Cour d’appel d’Ontario dans  R. v. N.Y., 2012 ONCA 745 (CanLII), ainsi que la distinction qu’elle fait avec la situation de l’informateur (« confidential informant ») :
[122] A confidential informant is a voluntary source of information to police or security authorities and is often paid for that information, but does not act at the direction of the state to go to certain places or to do certain things. A state agent does act at the direction of the police or security authorities and, too, is often paid. The state agent knows that if charges are laid, his or her identity may be disclosed to the defence and that he or she may be required to testify. A major distinction is that a confidential informant is entitled to confidentiality (subject to innocence at stake considerations) and may not be compelled to testify — protections that are vital to the individuals who provide such information, as they often put their lives on the line to provide information that may be vital to state security. A state agent is not afforded such a shield.
[64]        La Cour d’appel de l’Ontario avait retenu une définition analogue dans R. vG.B. (2000), 2000 CanLII 16820 (ON CA), 146 C.C.C. (3d) 465, paragr. 10 :
In general terms, the distinction between an informer and an agent is that an informer merely furnishes information to the police and an agent acts on the direction of the police and goes « into the field » to participate in the illegal transaction in some way. The identity of an informer is protected by a strong privilege and, accordingly, is not disclosable, subject to the innocence at stake exception. The identity of an agent is disclosable.

Le droit applicable à l’arrêt des procédures

Brind'Amour c. R., 2014 QCCA 33 (CanLII)


[53]        Les tribunaux reconnaissent l’existence de deux grandes catégories d’abus de procédure. Ceux qui contreviennent à l’équité du procès et ceux, plus rares, qui portent atteinte à l’intégrité du système de justice. Dans la première catégorie, c’est surtout le droit de l’accusé à un procès équitable qui est en cause, alors que dans la seconde (on parle alors de la « catégorie résiduelle »), il est plutôt question d’une conduite si inéquitable ou vexatoire qu’elle contrevient aux règles fondamentales de justice et mine ainsi l’intégrité du système judiciaire : R. c. O’Connor, 1995 CanLII 51 (CSC), [1995] 4 R.C.S. 411, paragr. 73. Si, dans la première catégorie, le préjudice personnel subi par l’accusé, notamment sa gravité et son ampleur, est le critère premier pour déterminer si l’arrêt des procédures doit être prononcé, dans la seconde, même si le préjudice personnel éprouvé par l’accusé demeure pertinent, ce n’est pas la considération principale. La juge Charron le rappelle dans R. c. Nixon2011 CSC 34 (CanLII), [2011] 2 R.C.S. 566 :
41 Dans la catégorie résiduelle de cas, l'atteinte aux droits de l'accusé est pertinente, mais non déterminante. Bien entendu, dans la plupart des cas, l'accusé n'établira le bien-fondé de son allégation d'abus de procédure que s'il parvient à démontrer que la conduite du poursuivant lui a causé un certain préjudice. Cependant, en ce qui concerne cette catégorie de cas, il est préférable de concevoir le préjudice subi comme un acte tendant à miner les attentes de la société sur le plan de l'équité en matière d'administration de la justice. Les propos suivants de la juge L'Heureux-Dubé dans R. c. Conway1989 CanLII 66 (CSC), [1989] 1 R.C.S. 1659, expriment bien le caractère essentiel de l'équilibre à atteindre en matière d'abus de procédure en ce qui concerne la catégorie résiduelle de cas :
     Suivant la doctrine de l'abus de procédure, le traitement injuste ou oppressif d'un accusé prive le ministère public du droit de continuer les poursuites relatives à l'accusation. Les poursuites sont suspendues, non à la suite d'une décision sur le fond (voir Jewitt, précité, à la p. 148), mais parce qu'elles sont à ce point viciées que leur permettre de suivre leur cours compromettrait l'intégrité du tribunal. Cette doctrine est l'une des garanties destinées à assurer "que la répression du crime par la condamnation du coupable se fait d'une façon qui reflète nos valeurs fondamentales en tant que société" (Rothman c. La Reine, [1981] 1 R .C.S. 640, à la p. 689, le juge Lamer). C'est là reconnaître que les tribunaux doivent avoir le respect et le soutien de la collectivité pour que l'administration de la justice criminelle puisse adéquatement remplir sa fonction. Par conséquent, lorsque l'atteinte au franc-jeu et à la décence est disproportionnée à l'intérêt de la société [de veiller à ce] que les infractions criminelles soient efficacement poursuivies, l'administration de la justice est mieux servie par l'arrêt des procédures.
[Souligné dans l’arrêt.]
[54]        Dans Canada c. Tobiass1997 CanLII 322 (CSC), [1997] 3 R.C.S. 391, paragr. 96, la Cour suprême écrit que certaines situations sont tellement graves, que le simple fait de continuer les procédures serait outrageant :
[…] De l'aveu général, s'il était suffisamment grave, un abus commis dans le passé pourrait ébranler la confiance du public dans l'administration de la justice au point où le simple fait de poursuivre l'instance constituerait un nouvel abus persistant justifiant la suspension des procédures. […]
[55]        Dans le présent dossier, il va de soi qu’il s’agit d’une situation qui relève de la catégorie résiduelle.
[56]        Quoi qu’il en soit, qu’il s’agisse d’un abus de la première ou de la deuxième catégorie, l’arrêt des procédures n’est  approprié que si deux critères sont satisfaits : 1) le préjudice causé par l’abus sera révélé, perpétué ou aggravé par le déroulement du procès ou par son issue; 2) aucune autre réparation ne peut raisonnablement faire disparaître ce préjudice.
[57]        Toujours dans Tobiass, la Cour suprême rappelle l’importance du premier critère, qui indique que la réparation qu’est l’arrêt des procédures a un caractère prospectif et non rétrospectif :
91 Le premier critère est d'une importance capitale. Il reflète le caractère prospectif de cette réparation. La suspension des procédures ne corrige pas le préjudice causé, elle vise à empêcher que ne se perpétue une atteinte qui, faute d'intervention, continuera à perturber les parties et la société dans son ensemble à l'avenir. Voir l'arrêt O'Connor, au par. 82. Pour cette raison, il faut satisfaire au premier critère même s'il s'agit d'un cas visé par la catégorie résiduelle. Voir l'arrêt O'Connor, au par. 75. Le simple fait que l'État se soit mal conduit à l'égard d'un individu par le passé ne suffit pas à justifier la suspension des procédures. Pour que la suspension des procédures soit appropriée dans un cas visé par la catégorie résiduelle, il doit ressortir que la conduite répréhensible de l'État risque de continuer à l'avenir ou que la poursuite des procédures choquera le sens de la justice de la société. Ordinairement, la dernière condition ne sera pas remplie à moins que la première ne le soit aussi — la société ne s'offusquera pas de la poursuite des procédures à moins qu'une forme de conduite répréhensible soit susceptible de persister. Il peut y avoir des cas exceptionnels où la conduite reprochée est si grave que le simple fait de poursuivre le procès serait choquant. Mais de tels cas devraient être relativement très rares.
[58]        En d’autres mots, même pour la catégorie résiduelle, ordinairement, la poursuite des procédures pourra choquer le sens de la justice seulement si la conduite répréhensible ou l’abus est susceptible de se perpétuer. Par contre, il peut se produire des cas, « relativement très rares » et « exceptionnels », qui ne laissent place à aucune alternative : la simple poursuite du procès serait tellement choquante, en raison de la gravité de l’inconduite, qu’il faut arrêter les procédures.
[59]        Par ailleurs, en toutes circonstances, l’ordonnance d’arrêt des procédures constitue une forme de réparation draconienne et il faut la réserver aux cas les plus graves ou les plus manifestes, alors qu’aucune autre mesure ne pourrait corriger le préjudice : R. c. Regan2002 CSC 12 (CanLII), [2002] 1 R.C.S. 297, paragr. 53.
[60]        Enfin, s’il reste un degré d’incertitude quant à la possibilité de faire disparaître le préjudice, on peut alors appliquer un troisième critère, celui d’un examen comparatif entre les intérêts que servirait l’arrêt des procédures et l’intérêt que représente pour la société un jugement définitif au fond.

L'évaluation de la crédibilité d'un témoin « ne relève pas de la science exacte », elle « tient souvent à de petits détails »

Ouellet c. R., 2014 QCCA 135 (CanLII)


[48]        Ceci étant, l'évaluation de la crédibilité d'un témoin « ne relève pas de la science exacte », elle « tient souvent à de petits détails » qu'il n'est pas toujours facile pour le juge de première instance, malgré sa position avantageuse par rapport à celle d'un juge d'appel, de décrire dans le jugement :
[20]      Apprécier la crédibilité ne relève pas de la science exacte. Il est très difficile pour le juge de première instance de décrire avec précision l'enchevêtrement complexe des impressions qui se dégagent de l'observation et de l'audition des témoins, ainsi que des efforts de conciliation des différentes versions des faits. C'est pourquoi notre Cour a statué – la dernière fois dans l'arrêt H.L. – qu'il fallait respecter les perceptions du juge de première instance, sauf erreur manifeste et dominante.
[69]      L'évaluation de la crédibilité d'un témoin tient souvent à de petits détails relevant tantôt du discours (contradictions, invraisemblances, trous de mémoire), tantôt du comportement non verbal (ton de la voix, mouvements du corps, visage) du témoin. Il n'est pas facile de savoir si une personne ment ou dit la vérité.

Le délicat équilibre existant entre la protection du droit au contre-interrogatoire et la protection du témoin soumis à un contre-interrogatoire abusif

Ouellet c. R., 2014 QCCA 135 (CanLII)


[31]        Dans l'arrêt Lyttle, la Cour suprême souligne le délicat équilibre entre la protection du droit au contre-interrogatoire et la protection du témoin soumis à un contre-interrogatoire abusif :
[44] Le droit de contre-interroger doit donc être protégé jalousement et être interprété généreusement. Il ne doit cependant pas être exercé de manière abusive. Les avocats sont liés par les règles de la pertinence et il leur est interdit de harceler le témoin, de faire des déclarations inexactes, de se répéter inutilement ou, de façon plus générale, de poser des questions dont l'effet préjudiciable excède la valeur probante. Voir R. c. Meddoui1991 CanLII 42 (CSC), [1991] 3 R.C.S. 320; R. c. Logiacco (1984), reflex, 11 C.C.C. (3d) 374 (C.A. Ont.); R. c.McLaughlin (1974), 1974 CanLII 748 (ON CA), 15 C.C.C. (2d) 562 (C.A. Ont.);  Osolin, précité.

L’infraction de harcèlement criminel comporte quatre éléments essentiels

Bédard c. R., 2014 QCCA 184 (CanLII)

Lien vers la décision

62]        Comme l’a rappelé la Cour dans Bertrand c. R., l’infraction de harcèlement criminel comporte quatre éléments essentiels :
1.         L’existence d’un comportement menaçant;
2.         L’effet du comportement menaçant;
3.         L’existence du harcèlement;
4.         La connaissance de l’effet du harcèlement.

Les actes d'accusation -- généralités

R. c. Douglas, [1991] 1 RCS 301, 1991 CanLII 81 (CSC)


Les arrêts de notre Cour permettent de dégager certains principes régissant les actes d'accusation dans leur ensemble.  Dans R. c. Côté1977 CanLII 1 (CSC), [1978] 1 R.C.S. 8, l'accusé avait été inculpé de l'infraction prévue au par. 235(2) du Code criminel, pour avoir omis de fournir un échantillon de son haleine.  La dénonciation ne contenait pas les mots "sans excuse raisonnable".  Cette omission n'avait suscité aucune objection et le moyen de défense de l'excuse raisonnable avait été invoqué et rejeté par le juge du procès.  Le juge de Grandpré, exprimant les motifs de six des huit juges présents, dit à la p. 13:

. . . la règle par excellence est que l'accusé doit être raisonnablement informé de l'infraction qu'on lui impute, pour lui donner ainsi la possibilité d'une défense complète et d'un procès équitable.  Lorsque, comme en l'espèce, la dénonciation énumère tous les faits et les relie à une infraction déterminée, identifiée par l'article pertinent du Code, il est impossible que l'accusé soit induit en erreur.  Admettre le contraire serait retourner au formalisme extrême de l'ancienne procédure.

               Dans l'affaire R. c. Wis Development Corp.1984 CanLII 140 (CSC), [1984] 1 R.C.S. 485, l'appelante avait refusé de fournir des détails aux intimés, qui étaient inculpés de l'infraction consistant à exploiter illégalement un service aérien commercial.  Les intimés avaient donc, avant le plaidoyer, demandé l'annulation de la dénonciation.  Le juge Lamer (maintenant Juge en chef), rédigeant les motifs de la Cour, a conclu que la dénonciation était incomplète parce que les mots "l'exploitation d'un "service aérien commercial"" pouvaient se rapporter à de nombreuses activités ou utilisations d'un aéronef au Canada.  Il dit, à la p. 493:

Dès qu'il est inculpé, le citoyen doit alors être traité équitablement.  Cela implique nécessairement qu'il doit être en mesure d'identifier clairement le méfait qu'on lui impute afin qu'il puisse préparer une défense adéquate . . .

               Dans R. v. Ryan (1985), reflex, 23 C.C.C. (3d) 1, la Cour d'appel de l'Ontario a examiné la question de savoir s'il faut préciser le moment et le lieu dans le cas d'une accusation de conduite en état de facultés affaiblies ou lorsque l'alcoolémie dépasse la limite fixée.  On a soutenu qu'à la lumière de l'arrêt Wis, précité, l'accusé avait droit à une description détaillée du moment et du lieu de l'infraction.  La Cour d'appel a estimé que l'arrêt Wis était fondé non pas sur l'omission de mentionner le moment ou le lieu de l'infraction, mais sur l'omission d'identifier l'acte précis qui constituait l'infraction.  On trouve le passage suivant à la p. 6:

               [TRADUCTION]  Le critère applicable est encore le même:  la dénonciation contient‑elle des détails suffisants pour renseigner raisonnablement le prévenu sur l'inculpation et pour identifier l'affaire mentionnée?  À notre avis, le genre de renseignements nécessaires pour satisfaire à cette exigence varie selon la nature de l'infraction imputée [. . .] Les détails requis à l'égard d'une inculpation "dépendent des circonstances" . . . [Je souligne.]

Les mêmes principes ont été examinés et appliqués dans Re Regina and R.I.C. (1986), reflex, 32 C.C.C. (3d) 399 (C.A. Ont.).  Le juge Krever dit, à la p. 403:

               [TRADUCTION]  Cette décision [R. v. Ryan] me semble établir nettement que l'arrêt WIS n'a pas pour effet de mettre en doute la justesse de cette règle générale, qu'expose Salhany dans son ouvrage Canadian Criminal Procedure, 4e éd. (1984), à la p. 214:

               La question de savoir si l'inculpation contient des détails suffisants pour renseigner raisonnablement l'accusé et pour identifier l'affaire mentionnée dépend des faits de l'espèce et de la nature de l'accusation.

               Compte tenu de cette proposition, je vais maintenant examiner les faits de l'espèce et la nature de l'accusation.  La nature de l'accusation revêt une importance particulière ‑‑ série d'agressions sexuelles perpétrées contre un enfant de neuf ans durant une longue période (six mois).  Il s'agit donc d'un cas où il serait vraisemblablement impossible, vu l'âge de la victime, de fournir des détails complets à l'égard, par exemple, des dates, et exiger qu'ils soient fournis rendrait extrêmement difficile la prévention d'un grave problème social.  [. . .] L'accusé a demandé [. . .] que des détails sur la dénonciation lui soient fournis. [. . .] Avant de demander des détails, il avait présenté son plaidoyer en réponse à l'inculpation.  Il avait déjà eu à ce moment‑là la permission de lire le mémoire du ministère public.  Le substitut du procureur général, en réplique, [. . .] a accepté de préciser qu'il s'appuyait sur 10 incidents distincts qui s'étaient produits entre le 31 mai 1984 et le 15 décembre 1984 . . . [Je souligne.]

               Il ressort de cette jurisprudence qu'un acte d'accusation est adéquat s'il contient des détails suffisants pour renseigner raisonnablement l'accusé sur l'accusation et pour identifier l'affaire mentionnée, de sorte qu'il est en mesure de bien préparer sa défense.  La question de savoir si l'acte d'accusation est suffisant dépend des faits de l'espèce et de la nature de l'accusation.  Il n'est pas nécessaire de préciser le moment exact à moins qu'il ne constitue un élément essentiel de l'infraction imputée et que l'inexactitude du moment indiqué n'induise l'accusé en erreur et ne lui porte préjudice.

               De même, on peut généralement affirmer que la preuve de l'infraction a été faite s'il a été établi qu'elle a été commise durant la période indiquée dans l'acte d'accusation.  Voir, par exemple, Container Materials Ltd. v. The King1942 CanLII 1 (SCC), [1942] R.C.S. 147, à la p. 159 et R. v. Hoffmann‑La Roche Ltd. (1980), 1980 CanLII 1615 (ON SC), 53 C.C.C. (2d) 1, à la p. 52, conf. par (1981), 1981 CanLII 1690 (ON CA), 62 C.C.C. (2d) 118 (C.A. Ont.).  Dans l'affaire Hoffmann, l'accusée était inculpée d'une infraction prévue par la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, la vente d'articles à des prix déraisonnablement bas.  Aux pages 52 et 53, le juge Linden dit:

[TRADUCTION]  Je ne pense pas que la défense ait raison d'affirmer que le ministère public doit prouver en l'espèce que l'accusée a pratiqué des prix déraisonnablement bas de manière continue, pendant toute la période du 1er janvier 1968 au 30 novembre 1974.  L'acte d'accusation dit que l'infraction a été commise "entre" ces dates‑là et non qu'elle s'est poursuivie durant toute cette période.  Il suffit, à mon sens, de prouver que l'infraction a été commise à un moment de la période indiquée.  Je conclus que le ministère public y est parvenu en prouvant que de tels prix ont été pratiqués entre le 25 juin 1970 et le 30 juin 1971, période qui est nettement comprise entre les dates mentionnées.  [Je souligne.]

               Dans l'arrêt R. c. B. (G.)1990 CanLII 114 (CSC), [1990] 2 R.C.S. 30, aux pp. 44 et 45, le juge Wilson a exposé avec beaucoup de clarté les exigences qu'une dénonciation doit respecter:

               Il ressort de ces arrêts que ce qui constitue une dénonciation raisonnable ou adéquate relativement à l'acte ou à l'omission qui doit être établi contre l'accusé différera nécessairement d'une affaire à l'autre.  Les faits à la base de certaines infractions se prêtent à une description plus précise que dans le cas d'autres infractions.  De même, la nature et le caractère juridiques de l'infraction reprochée sont un facteur important dans toute appréciation du caractère raisonnable de la dénonciation.  Toutefois, il appert également qu'en général on n'annulera pas une dénonciation ou un acte d'accusation pour la simple raison que le moment exact de l'infraction n'est pas précisé.  La question sera plutôt entendue sur le fond.  Bien qu'il soit de toute évidence important de fournir à l'accusé suffisamment de renseignements pour lui permettre d'identifier l'infraction reprochée et de préparer sa défense, la précision du moment exact de cette infraction n'est habituellement pas nécessaire à cette fin.  Il va sans dire, évidemment, que le contraire peut être vrai dans certaines affaires.

Finalement, il faudra déterminer si l'acte d'accusation en cause respecte ces exigences.

Le principe applicable à l’examen d’un exposé au jury

Latortue c. R., 2014 QCCA 198 (CanLII)


[38]        La Cour suprême du Canada précise le principe applicable à l’examen d’un exposé au jury dans l’arrêt Hay :
[47]      Lors de l’examen d’un exposé fait au jury, « [u]ne cour d’appel doit examiner l’erreur alléguée dans le contexte de l’ensemble de l’exposé au jury et du déroulement général du procès »; R. c. Jaw2009 CSC 42 (CanLII), [2009] 3 R.C.S. 26, par. 32. Si, dans un exposé au jury, un passage contesté pris isolément peut amener à conclure qu’il renferme une erreur de droit, une cour d’appel n’interviendra pas s’il est évident, compte tenu de l’exposé complet, que le jury a reçu les directives appropriées; ibid., par. 3 et 24.
[48]      En outre, bien que des directives au jury inadéquates entraînent l’intervention des cours d’appel, le juge du procès doit jouir d’une certaine latitude sur la façon de donner ses directives; voir R. c. Avetysan2000 CSC 56 (CanLII), [2000] 2 R.C.S. 745, par. 9. Ainsi, le juge du procès n’est pas tenu de recourir à [traduction] « une formulation particulière » pour attirer l’attention du jury sur les faiblesses de la preuve par témoin oculaire; il faut, au contraire, lui accorder une latitude considérable dans le choix de la meilleure façon d’informer les jurés de ces faiblesses; Turnbull, p. 552; R. c. Candir2009 ONCA 915 (CanLII), 257 O.A.C. 119, par. 110.
[39]        La Cour a rappelé, récemment, d’autres principes relatifs à l’examen des directives données par le juge présidant un procès devant jury :
[35]      Il est acquis que ces directives doivent être évaluées d'un point de vue fonctionnel plutôt que littéral, c'est-à-dire que le tribunal d'appel doit procéder à « une analyse fonctionnelle des directives qui ont été données, et non pas [à] une analyse idéalisée des directives qui auraient pu être données ». Une cour d'appel doit aborder l'exposé dans son ensemble et dans le contexte du procès en vue de déterminer si les directives sont appropriées, et non pas parfaites, en ce qu'elles ont permis au jury de juger des faits conformément aux principes de droit applicables. La Cour suprême récapitule ces principes dans R. c. Daley :
[30]   En déterminant si le juge du procès a donné des directives adéquates sur ces éléments dans son exposé au jury, le tribunal d'appel ne doit pas oublier ce qui suit. La règle cardinale veut que ce qui importe soit le message général que les termes utilisés ont transmis au jury, selon toutes probabilités, et non de savoir si le juge a employé une formule particulière. Le choix des mots et l'ordre des différents éléments relèvent du pouvoir discrétionnaire du juge et dépendront des circonstances.
[31]   Pour établir le message général qui a vraisemblablement été transmis au jury par les termes utilisés, le tribunal d'appel considérera l'exposé dans son ensemble. Le juge du procès n'est pas tenu à la perfection dans la formulation de ses directives. L'accusé a droit à un jury qui a reçu des directives appropriées, et non des directives parfaites: voir Jacquard, par. 2. C'est l'effet global de l'exposé qui compte.
[36]      De plus, l'omission du procureur de la défense de soulever auprès du juge de première instance les passages des directives qu'il estime problématiques doit être prise en compte. Sans être déterminante, une telle omission est certes significative en ce qu'elle suggère que l'irrégularité reprochée n'est pas aussi grave que le prétend la défense.

L'approche que doit préconiser le juge envers le jury dans ses directives

Latortue c. R., 2014 QCCA 198 (CanLII)

Lien vers la décision

[34]        L’une des fonctions premières du juge qui préside un procès par jury est de donner des directives appropriées. Les directives sont appropriées lorsque le juge qui préside le procès remplit l’obligation qui est la sienne d’aider les jurés à comprendre les enjeux et à leur faire comprendre, le plus simplement, mais aussi le plus efficacement possible, les principes de droit qui doivent être appliqués aux faits qu’ils ont choisi d’accepter ou d’écarter.
[35]        C’est ainsi que le juge David Watt, maintenant juge à la Cour d’appel de l’Ontario, écrit ce qui suit :
      Jurors must understand the factual issues that require decision, the legal principles that apply to those issues, and the evidence introduced at trial on those issues. Some of those legal principles relate to the essential elements of the offence charged and other offences that may be included in it.
[36]        Il suggère l’approche suivante :
      The developmental approach can be applied to final instructions by taking advantage of the basic structure of any crime charged.
      Every criminal offence consists of at least two essential elements. Each essential element requires a factual determination by the jury about whether that essential element has been proven beyond a reasonable doubt. The jury’s decision about each essential element has implications for further decisions and, in time, the final verdict.
      Applying the developmental approach in organizing and composing final jury instructions involves several steps.
      The first step is to divide the crime charged into its essential elements, then to reduce those essential elements into point-form statements that reflect their substance. After that, these point-form statements of the essential elements should be converted into a series of factual questions for the jurors to consider.
      The next step involves the composition of the relevant legal instructions that govern the jurors’ response to each question. These instructions should include directions on what is required in law to establish the essential element to which the question relates, and explanations of any defence, justification or excuse relating to that essential element that has an air of reality to it.
      After composition of the relevant legal principles that control the jurors’ response to a question, the trial judge should proceed to a fair, balanced and accurate review of the significant parts of the evidence relevant to the issues framed by the question, and relate that evidence to the issue and the positions of the parties, so that the jurors can appreciate the value and effect of the evidence.
      Once the evidentiary review has been completed and the relationship of the evidence to the issue framed by the question made clear, the trial judge should move to instructions about the findings available to jurors in response to the question and the consequences of those findings for further deliberations and final verdicts. The jurors’ response to each question determines their next step in the deliberation process.
      The questions, along with the available responses and their verdict consequences can be incorporated into a decision tree for jurors to use during their deliberations. A decision tree is a deliberation aid, a forensic flow chart that repeats each question posed in final instructions, shows the available responses, and displays the consequences of the available answers for further deliberations and final verdict.
[37]        Cette approche relative aux directives finales, sans être la seule qui puisse remplir le rôle fonctionnel dévolu aux directives au jury, est parfaitement adéquate et tout autant efficace puisqu’elle aide les jurés à bien comprendre l’ensemble des aspects de la situation qui leur est soumise et des décisions qu’il faut rendre. Les modèles de directives préparés par le Conseil canadien de la magistrature sont aussi souvent utilisés par les juges qui président les procès par jury.