R. c. Douglas, [1991] 1 RCS 301, 1991 CanLII 81 (CSC)
Les arrêts de notre Cour permettent de dégager certains principes régissant les actes d'accusation dans leur ensemble. Dans R. c. Côté, 1977 CanLII 1 (CSC), [1978] 1 R.C.S. 8, l'accusé avait été inculpé de l'infraction prévue au par. 235(2) du Code criminel, pour avoir omis de fournir un échantillon de son haleine. La dénonciation ne contenait pas les mots "sans excuse raisonnable". Cette omission n'avait suscité aucune objection et le moyen de défense de l'excuse raisonnable avait été invoqué et rejeté par le juge du procès. Le juge de Grandpré, exprimant les motifs de six des huit juges présents, dit à la p. 13:
. . . la règle par excellence est que l'accusé doit être raisonnablement informé de l'infraction qu'on lui impute, pour lui donner ainsi la possibilité d'une défense complète et d'un procès équitable. Lorsque, comme en l'espèce, la dénonciation énumère tous les faits et les relie à une infraction déterminée, identifiée par l'article pertinent du Code, il est impossible que l'accusé soit induit en erreur. Admettre le contraire serait retourner au formalisme extrême de l'ancienne procédure.
Dans l'affaire R. c. Wis Development Corp., 1984 CanLII 140 (CSC), [1984] 1 R.C.S. 485, l'appelante avait refusé de fournir des détails aux intimés, qui étaient inculpés de l'infraction consistant à exploiter illégalement un service aérien commercial. Les intimés avaient donc, avant le plaidoyer, demandé l'annulation de la dénonciation. Le juge Lamer (maintenant Juge en chef), rédigeant les motifs de la Cour, a conclu que la dénonciation était incomplète parce que les mots "l'exploitation d'un "service aérien commercial"" pouvaient se rapporter à de nombreuses activités ou utilisations d'un aéronef au Canada. Il dit, à la p. 493:
Dès qu'il est inculpé, le citoyen doit alors être traité équitablement. Cela implique nécessairement qu'il doit être en mesure d'identifier clairement le méfait qu'on lui impute afin qu'il puisse préparer une défense adéquate . . .
Dans R. v. Ryan (1985), reflex, 23 C.C.C. (3d) 1, la Cour d'appel de l'Ontario a examiné la question de savoir s'il faut préciser le moment et le lieu dans le cas d'une accusation de conduite en état de facultés affaiblies ou lorsque l'alcoolémie dépasse la limite fixée. On a soutenu qu'à la lumière de l'arrêt Wis, précité, l'accusé avait droit à une description détaillée du moment et du lieu de l'infraction. La Cour d'appel a estimé que l'arrêt Wis était fondé non pas sur l'omission de mentionner le moment ou le lieu de l'infraction, mais sur l'omission d'identifier l'acte précis qui constituait l'infraction. On trouve le passage suivant à la p. 6:
[TRADUCTION] Le critère applicable est encore le même: la dénonciation contient‑elle des détails suffisants pour renseigner raisonnablement le prévenu sur l'inculpation et pour identifier l'affaire mentionnée? À notre avis, le genre de renseignements nécessaires pour satisfaire à cette exigence varie selon la nature de l'infraction imputée [. . .] Les détails requis à l'égard d'une inculpation "dépendent des circonstances" . . . [Je souligne.]
Les mêmes principes ont été examinés et appliqués dans Re Regina and R.I.C. (1986), reflex, 32 C.C.C. (3d) 399 (C.A. Ont.). Le juge Krever dit, à la p. 403:
[TRADUCTION] Cette décision [R. v. Ryan] me semble établir nettement que l'arrêt WIS n'a pas pour effet de mettre en doute la justesse de cette règle générale, qu'expose Salhany dans son ouvrage Canadian Criminal Procedure, 4e éd. (1984), à la p. 214:
La question de savoir si l'inculpation contient des détails suffisants pour renseigner raisonnablement l'accusé et pour identifier l'affaire mentionnée dépend des faits de l'espèce et de la nature de l'accusation.
Compte tenu de cette proposition, je vais maintenant examiner les faits de l'espèce et la nature de l'accusation. La nature de l'accusation revêt une importance particulière ‑‑ série d'agressions sexuelles perpétrées contre un enfant de neuf ans durant une longue période (six mois). Il s'agit donc d'un cas où il serait vraisemblablement impossible, vu l'âge de la victime, de fournir des détails complets à l'égard, par exemple, des dates, et exiger qu'ils soient fournis rendrait extrêmement difficile la prévention d'un grave problème social. [. . .] L'accusé a demandé [. . .] que des détails sur la dénonciation lui soient fournis. [. . .] Avant de demander des détails, il avait présenté son plaidoyer en réponse à l'inculpation. Il avait déjà eu à ce moment‑là la permission de lire le mémoire du ministère public. Le substitut du procureur général, en réplique, [. . .] a accepté de préciser qu'il s'appuyait sur 10 incidents distincts qui s'étaient produits entre le 31 mai 1984 et le 15 décembre 1984 . . . [Je souligne.]
Il ressort de cette jurisprudence qu'un acte d'accusation est adéquat s'il contient des détails suffisants pour renseigner raisonnablement l'accusé sur l'accusation et pour identifier l'affaire mentionnée, de sorte qu'il est en mesure de bien préparer sa défense. La question de savoir si l'acte d'accusation est suffisant dépend des faits de l'espèce et de la nature de l'accusation. Il n'est pas nécessaire de préciser le moment exact à moins qu'il ne constitue un élément essentiel de l'infraction imputée et que l'inexactitude du moment indiqué n'induise l'accusé en erreur et ne lui porte préjudice.
De même, on peut généralement affirmer que la preuve de l'infraction a été faite s'il a été établi qu'elle a été commise durant la période indiquée dans l'acte d'accusation. Voir, par exemple, Container Materials Ltd. v. The King, 1942 CanLII 1 (SCC), [1942] R.C.S. 147, à la p. 159 et R. v. Hoffmann‑La Roche Ltd. (1980), 1980 CanLII 1615 (ON SC), 53 C.C.C. (2d) 1, à la p. 52, conf. par (1981), 1981 CanLII 1690 (ON CA), 62 C.C.C. (2d) 118 (C.A. Ont.). Dans l'affaire Hoffmann, l'accusée était inculpée d'une infraction prévue par la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, la vente d'articles à des prix déraisonnablement bas. Aux pages 52 et 53, le juge Linden dit:
[TRADUCTION] Je ne pense pas que la défense ait raison d'affirmer que le ministère public doit prouver en l'espèce que l'accusée a pratiqué des prix déraisonnablement bas de manière continue, pendant toute la période du 1er janvier 1968 au 30 novembre 1974. L'acte d'accusation dit que l'infraction a été commise "entre" ces dates‑là et non qu'elle s'est poursuivie durant toute cette période. Il suffit, à mon sens, de prouver que l'infraction a été commise à un moment de la période indiquée. Je conclus que le ministère public y est parvenu en prouvant que de tels prix ont été pratiqués entre le 25 juin 1970 et le 30 juin 1971, période qui est nettement comprise entre les dates mentionnées. [Je souligne.]
Dans l'arrêt R. c. B. (G.), 1990 CanLII 114 (CSC), [1990] 2 R.C.S. 30, aux pp. 44 et 45, le juge Wilson a exposé avec beaucoup de clarté les exigences qu'une dénonciation doit respecter:
Il ressort de ces arrêts que ce qui constitue une dénonciation raisonnable ou adéquate relativement à l'acte ou à l'omission qui doit être établi contre l'accusé différera nécessairement d'une affaire à l'autre. Les faits à la base de certaines infractions se prêtent à une description plus précise que dans le cas d'autres infractions. De même, la nature et le caractère juridiques de l'infraction reprochée sont un facteur important dans toute appréciation du caractère raisonnable de la dénonciation. Toutefois, il appert également qu'en général on n'annulera pas une dénonciation ou un acte d'accusation pour la simple raison que le moment exact de l'infraction n'est pas précisé. La question sera plutôt entendue sur le fond. Bien qu'il soit de toute évidence important de fournir à l'accusé suffisamment de renseignements pour lui permettre d'identifier l'infraction reprochée et de préparer sa défense, la précision du moment exact de cette infraction n'est habituellement pas nécessaire à cette fin. Il va sans dire, évidemment, que le contraire peut être vrai dans certaines affaires.
Finalement, il faudra déterminer si l'acte d'accusation en cause respecte ces exigences.
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