lundi 11 avril 2016

Le simple écoulement du temps, en l'absence d'une preuve concrète de préjudice engendré par ce délai, conduira rarement à un arrêt des procédures

R. c. Dagenais, 2014 QCCQ 1504 (CanLII)


[32]      Il n'est aucunement question ici de minimiser ce préjudice, ni le fait que la longueur des procédures doit nécessairement aggraver son niveau de stress et d'anxiété. Cependant, un regard sur les arrêts récents de la Cour d'appel du Québec  appliquant les principes dégagés de Morin et de Godin permet de constater qu'à moins de circonstances exceptionnelles, ou de délais ahurissants, le simple écoulement du temps, en l'absence d'une preuve concrète de préjudice engendré par ce délai, conduira rarement à un arrêt des procédures. Ainsi, dans quatre arrêts récents, la Cour d'appel infirme l'ordonnance d'arrêt des procédures et ordonne la tenue du procès.

         R. c. Jean-Jacques : les délais institutionnels de 21 mois quoique longs, ne méritaient pas l'arrêt des procédures ordonné en première instance. La Cour dit :
[14] Quant à la question du préjudice subi par l'intimé, un examen de la preuve permet de conclure que la longueur du délai n'est pas ici une source d'un préjudice sérieux. La perte de l'emploi lucratif résulte de l'accusation et non des délais. Quant aux restrictions imposées lors de la remise en liberté, certes elles imposaient des contraintes sur la vie sociale de l'intimé, mais il demeure qu'il pouvait en demander la modification si elles l'empêchaient d'occuper un emploi, ce qu'il n'a fait que deux ans après leur imposition. Quant à la présomption qu'un délai excessif est susceptible d'entraîner un préjudice, rien ne démontre en l'espèce une possibilité d'une quelconque atteinte au droit à une défense pleine et entière. Il faut aussi souligner qu'en aucun moment l'intimé n'a manifesté un empressement quant à la tenue de son procès.
         R. c. Lebel, la Cour d’appel explique que malgré un délai déraisonnable de 19 mois, la question du préjudice qui en résulte doit être examinée à la lumière des principes énoncés dans Morin aux paragraphes 61 à 64. Elle conlcut :
[128] In weighing the applicable factors, and taking account of the undoubted stress visited upon the respondents, I conclude that they have failed to establish a sufficiently serious prejudice to warrant the stay of proceedings the trial judge ordered. Unlike the accused in R. v. Godin, for example, they have not been subjected to "fairly strict" bail conditions. The respondents' rights have not been impaired in any such respect. Nor will the destruction of the evidence they would have wanted to introduce, or the effect of the lapse of time on witnesses, unduly impair their right to make a full answer and defence. Rather, their prejudice is essentially that which occurs in the case of anyone charged with a criminal offence who has yet to be tried. Moreover, the fact that they were police officers whose careers have been directly impacted is not the result of unreasonable delay, but rather of the charges themselves.
         R. c. Camiran : les délais en cause (en soustrayant ceux attribuables à l'accusé) sont de 23 mois, dont un peu plus de 16 mois de délais institutionnels ou attribuables à la poursuite. La Cour d’appel mentionne :
[75] Il est indéniable que la situation a été et continue d'être une source importante de stress pour l'intimée puisque sous le coup d'accusations graves. Il était, selon moi, raisonnable d'inférer, comme l'a fait le juge de première instance, que l'exposition prolongée aux poursuites criminelles avait causé un préjudice à l'intimée. Par contre, là encore, ce constat est tempéré par l'analyse de l'impact réel des délais. À cet égard, je note que l'intimée n'a jamais insisté pour procéder rapidement et qu'on doit lui attribuer environ 17 mois de délais dans la progression du dossier. En pareil contexte, on doit sérieusement s'interroger sur la gravité suffisante de ce préjudice pour justifier un arrêt des procédures.
         R. c. Boisvert : en raison d'un deuxième procès ordonné par la Cour d'appel, des délais de plus de cinq ans s'accumulent depuis l'inculpation de l'accusé. Or, selon le calcul fait par la Cour d'appel, les délais institutionnels à être considérés pour évaluer leur caractère raisonnable sont de 21 ¾ mois. Tenant compte de l'absence d'empressement de l'accusé à faire avancer son dossier et de l'absence de preuve de préjudice, la Cour d'appel infirme l'arrêt des procédures en soulignant ce qui suit :
[38] Les faits du présent dossier n'autorisent pas la déduction d'un préjudice autre que celui qui découle du fait d'être sous le coup d'accusations criminelles.
[39] Force est de constater que le ministère public a raison lorsqu'il plaide l'absence de préjudice spécifique autre que celui-là.
[40] L'intimé n'a pas été détenu. Il a occupé un emploi rémunérateur et fondé une famille (il est le père de trois enfants). Très peu de contraintes lui ont été imposées et les restrictions de conduite automobile fixées au fil des ans, par ailleurs fort peu contraignantes, l'ont été en raison d'un deuxième incident en matière d'alcool au volant, objet d'un autre dossier de l'intimé dans le district judiciaire de Terrebonne.
[41] Rien dans cette preuve n'indique que l'intimé ait été préoccupé par la vitesse à laquelle se déroulait le dossier et rien ne laisse voir que les délais courus à ce jour lui causent ou risquent de lui causer des difficultés d'administration de preuve lors du procès à venir.
[33]      En l'espèce, on ne saurait prétendre que l'accusé ne se préoccupait pas des délais. Au contraire, il a toujours manifesté un intérêt à procéder avec célérité. Mais le préjudice dont il se plaint n'est pas attribuable aux délais.
[34]      Depuis l'inculpation, il n'est soumis à aucune condition de mise en liberté provisoire et il a pu continuer son travail de chauffeur d'autobus à temps plein malgré les accusations. Aucune preuve spécifique n'établit que le délai ait affecté sa capacité de présenter une défense pleine et entière. Sans minimiser l'effet du stress et le climat de suspicion que suscite toute accusation criminelle (tel que souligné dans Godin), il s'agit ici d'une illustration du préjudice inhérent à toute accusation criminelle. Or, tel que l'énonce le juge Cournoyer, dans R. c. Chantal, « le préjudice que l'article 11b) vise à éviter est celui qui résulte du délai et non celui d'avoir été l'objet d'accusations ». Les arrêts récents de la Cour d'appel en matière de délais déraisonnables soulignent l'importance d'une preuve d'un préjudice qui dépasse celui qui découle du fait d'avoir été accusé.

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