Beaulieu c. R., 2011 QCCS 639 (CanLII)
[31] L'obligation de divulgation de la preuve comporte la nécessité de la communiquer dans une forme qui permette à la défense de l'analyser et de l'utiliser adéquatement. Bien sûr, la perfection ne peut pas être exigée. Dans R. c. Mercier, la Cour d'appel du Québec a écrit :
[41] Quant à la manière de satisfaire à l'obligation de communication, elle se rapportera à l'examen subjectif de chaque cas. Il s'agira toujours de déterminer si l'accusé a pu, matériellement, se servir adéquatement des renseignements ayant fait l'objet d'une communicationpour repousser la preuve et les arguments du ministère public et prendre toutes les décisions qui s'imposent dans la mise en œuvre de son droit à une défense pleine et entière.
[42] Suivant les circonstances de chaque affaire, la consultation de la preuve et, le cas échéant, la transmission de copies représenteront la manière formelle de satisfaire à l'obligation de divulgation. Il arrivera, toutefois, que l'ampleur et la sophistication du matériel formant l'objet de la communication de la preuve ne pourront raisonnablement permettre une transmission, par reproduction, à la défense. En ces cas, des moyens raisonnables, s'insérant dans une obligation d'accommodement, devront permettre à la défense la consultation et l'utilisation optimale du matériel assujetti à l'obligation de communication du ministère public.
(soulignements du soussigné)
[32] Dans ce dossier, « l'utilisation optimale du matériel », compte tenu du volume sans précédent de la divulgation, est une préoccupation primordiale. Dans toute analyse, on doit également garder à l'esprit que les requérants font face à des accusations qui, si elles sont prouvées, résulteront, pour la plupart, en leur incarcération pour le restant de leur vie. La quantité de preuve communiquée à ce jour est difficile à décrire car tellement volumineuse.
[33] Un coaccusé des requérants, M. Bonomo, a effectué un travail sur les divulgations 1 à 13. Il a noté la présence de 4 018 800 fichiers dans ces divulgations occupant presque deux terraoctets. Le projet RUSH, connu du public sous le nom d'Opération Printemps 2001, représente à peine 17% du matériel communiqué. Pourtant, à l'époque, le projet RUSH représentait la naissance des mégaprocès modernes. Les parties et les médias parlaient d'une communication de preuve sans précédent.
[34] Il y a trois sujets qui sont à l'origine des plaintes d'absence de facilité d'accès – un moteur de recherche inadéquat; l'inhabilité réelle de télécharger des fichiers; l'inhabilité d'organiser le travail à sa guise, selon ses méthodes sur son ordinateur personnel.
[35] Dans l'opinion de la Cour, les requérants ont établi chacun de ces reproches.
[36] Au moment où les divulgations ont commencé sur le site internet en mai 2009, aucun moteur de recherche n'était prévu. La Cour tire l'inférence que c'est la présentation de la présente requête qui a incité l'intimée à conclure un contrat en avril 2010 qui prévoyait la création d'un outil de recherche (pièce R-14). De l'avis de la Cour, l'outil de recherche devrait à tout le moins être aussi efficace que ceux qu'on retrouve dans des programmes standard sur les ordinateurs personnels.
[37] Les nombreux exemples de recherche qui ont été accomplis durant l'audition de la requête ont démontré qu'une recherche standard utilisant un disque dur était plus fiable que l'outil de recherche fourni par l'intimée. En outre, l'outil fourni ne permet pas, en une seule opération, une recherche par nom de fichier simultanément au contenu du fichier.
[38] Le téléchargement du contenu des divulgations fut problématique depuis le début du projet. Premièrement, il n'y avait aucune possibilité de télécharger l'ensemble des parties téléchargeables des divulgations en une seule opération. Autrement dit, si on voulait télécharger l'ensemble du dossier, il faudrait procéder à au-delà de quatre millions d'opérations, soit un par fichier.
[39] Les fichiers audiovisuels n'étaient pas téléchargeables. C'est le résultat d'un choix délibéré de la S.Q. On a opté pour rendre les fichiers vidéo « streamables », ce qui permettait de débuter le visionnement d'une vidéo en ligne aussitôt choisie mais par le téléchargement.
[40] Deuxièmement, lors de la réouverture de la preuve dans le présent dossier, la Cour a appris que tous les fichiers, incluant les fichiers vidéo, sont maintenant téléchargeables. Cela est peut-être vrai en théorie mais pas en pratique. Le téléchargement est toujours assujetti à une opération dossier à dossier. Dans certains cas, il faut noter l'arborescence et la joindre aux documents téléchargés, ce qui s'avère une manipulation informatique complexe. Finalement, un téléchargement du dossier complet nécessiterait plusieurs jours (de 15 à 30) sans interruption.
[41] L'inhabilité, en termes pratiques et réels, de télécharger la preuve communiquée limite le procureur de la défense à l'organiser et à la travailler selon les limites du programme internet. Alors, le témoignage de M. Létourneau, qui fut reconnu, sans opposition réelle, témoin expert en informatique ainsi qu'en gestion de preuve électronique, convainc la Cour que la preuve pourrait être mieux organisée et pourrait être travaillée d'une façon plus efficace et plus rapide si elle était communiquée sur disque dur. La Cour réfère à la page 40 du rapport de M. Létourneau (pièce R-21) qui résume le témoignage de l'expert sur la façon de gérer la preuve.
[42] Il est vrai, comme l'intimée l'a démontré en contre-interrogatoire, que cette façon de gérer la preuve ne serait pas nécessairement accessible à un utilisateur possédant des connaissances moyennes en matière d'informatique. M. Létourneau était d'accord. Il envisageait par contre que les procureurs engageraient les services de spécialistes :
R. Oui, c'est-à-dire que vous devez payer une entreprise qui va toute traiter les données une fois. Après ça, vous les distribuez aux cinquante (50) personnes qui eux vont juste prendre leur petit sept cents dollars (700 $) de logiciel pour travailler dessus.
[43] L'analyse des facteurs du moteur de recherche, la capacité de téléchargement et les limites de gestion de la preuve convainquent la Cour que le remède recherché – la communication par disque dur – devrait être accordé dans ce dossier. La Cour est consciente que cette décision engendrera des dépenses importantes pour l'État. La Cour accepte l'estimé avancé par l'intimée d'un coût d'environ 325 000 $. La Cour reconnaît qu'il s'agit d'une somme qui n'est pas négligeable, mais dans le contexte de l'étendue du projet SHARQC, elle croit qu'il s'agit d'une somme qui est justifiable.
[44] La Cour va convoquer les parties pour permettre à l'intimée de suggérer un échéancier pour répondre à l'ordonnance de la Cour.
[45] En terminant sur ce sujet, ce jugement ne devrait pas être interprété comme une déclaration que l'internet ne pourra jamais être utilisé à l'avenir pour communiquer la preuve. Il ne serait pas surprenant qu'on puisse améliorer certains aspects pour répondre aux considérants de ce jugement. La Cour reconnaît qu'il est ironique de constater, alors que la voie internet a été choisie vu la quantité importante de preuve à communiquer, que ce soit la nécessité de gérer, d'organiser et de préparer une telle quantité qui fasse pencher la balance en faveur des vœux des procureurs des requérants. Tout doit être mis en place pour permettre à chaque requérant et à chaque accusé de se préparer adéquatement et dans un délai raisonnable.
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