dimanche 15 octobre 2017

Les facultés affaiblies (et le lien de causalité)

R. c. Jetté, 2017 QCCQ 10226 (CanLII)

Lien vers la décision

[22]        Monsieur Mathieu, l’expert en toxicologie judiciaire, rappelle que :
« L’alcool est un dépresseur du système nerveux central. Il entraîne une diminution graduelle de l’ensemble des fonctions intellectuelles, sensorielles et motrices et cela à mesure que l’alcoolémie augmente.
Les fonctions intellectuelles sont les premières à être affectées par l’alcool. Ceci a pour effet d’entraîner une diminution progressive des inhibitions, de l’attention, du jugement, de la volonté, de la compréhension et du contrôle de soi. La pensée s’obscurcit. Ainsi, sous l’effet de l’alcool, le conducteur est moins présent à son environnement et voit, par le fait même, diminuer ses aptitudes à conduire de façon sécuritaire un véhicule moteur, ce qui fait augmenter les risques de fausses manœuvres.
Au niveau sensoriel, la vision est certainement celle qui joue le rôle le plus important au niveau de la conduite automobile. À mesure que l’alcoolémie augmente, il y a une diminution progressive de l’acuité visuelle dynamique, de la profondeur de champ et du champ de vison latéral balayé par le conducteur (effet tunnel).
Les fonctions motrices sont aussi affectées par l’alcoolémie. La présence d’alcool au niveau du cerveau altère la transmission de l’influx nerveux aux muscles, causant ainsi un retard de la réponse musculaire. Cet aspect physiologique se reflète par l’observation de signes comme : une démarche chancelante, un langage escamoté et indistinct, une perte de dextérité manuelle et une perte de précision dans les gestes et mouvements. Ces manifestations vont s’accentuer pour devenir plus évidentes à des concentrations supérieures à 100 mg/100 ml.
Un autre effet de la présence d’alcool au niveau du cerveau est l’augmentation du temps de réaction. Le conducteur intoxiqué mettra plus de temps à réagir aux stimulis et par le fait même prendra plus de temps à percevoir les événements, à les interpréter et à réagir.
Il est à noter qu’en consommant de l’alcool sur une base régulière, les gens en viennent à développer une tolérance face à cette drogue, ceci se manifestant particulièrement au niveau des fonctions motrices. Ceci fait en sorte que la personne devenue tolérante présentera moins de signes au niveau moteur, voire même aucun, qu’une personne n’ayant point développé cette adaptation physiologique. Cependant à une alcoolémie supérieure à 100 mg/100 ml de sang, le phénomène de tolérance ne peut généralement pas contrer les effets de l’alcool sur la qualité de la conduite automobile.
La conduite automobile est une tâche complexe qui fait en sorte que l’on doit exécuter plusieurs tâches en même temps et pour qu’elle soit sécuritaire, il faut que le conducteur soit capable de bien percevoir les événements, traiter rapidement l’information obtenue, prendre une décision appropriée entre plusieurs alternatives et appliquer rapidement la décision prise. Toutes ces choses deviennent plus difficiles à exécuter sous l’effet de l’alcool, car l’alcool diminue la netteté de la perception, la vitesse du traitement de l’information, l’aptitude à prendre une décision appropriée entre plusieurs alternatives et à appliquer cette décision dans les plus brefs délais. […]
De façon globale, l’alcool diminue l’habileté à partager l’attention, à suivre les cibles avec les yeux, à recueillir et traiter l’information, à prendre les bonnes décisions quant aux manœuvres à effectuer, à y répondre rapidement et, finalement, à maintenir des vitesses sécuritaires. Même à un taux modéré d’intoxication, un individu n’est pas capable de réagir à une situation d’urgence avec son efficacité normale. » 
[24]        La Cour suprême du Canada dans l’arrêt Stellato rappelait que les facultés affaiblies même à un moindre degré suffisaient pour entraîner une culpabilité et la Cour d’appel du Québec dans l’arrêt Blais disait que d’autres éléments comme la fatigue et le stress pouvaient influencer l’effet de la consommation d’alcool et contribuer à l’affaiblissement des facultés.
[25]        Si madame Geneviève Aubin, après avoir vu l’état de confusion de l’accusé et senti « une haleine assez forte d’alcool », a eu « un drôle de réflexe de le faire partir pour ne pas qu’il perde ses permis », c’est que même aux yeux d’une profane l’accusé donnait des signes de facultés affaiblies.
[26]        Si madame Johanne Rochon, alors l’épouse de l’accusé, trouvait qu’il était en état d’ébriété, c’est qu’aux yeux de cette femme qui le connaissait bien et depuis longtemps, il avait les facultés de conduire affaiblies par l’alcool.
[27]        Le sergent Pascal Rochon arrête l’accusé pour conduite avec les facultés affaiblies parce qu’il l’a vu se lever lentement, marcher vers lui très lentement, avoir les yeux rouges, injectés de sang, dégager une très forte odeur d’alcool et avoir un langage pâteux.
[28]        La façon dont l’accident s’est produit indique également que les facultés de conduire de l’accusé étaient affaiblies.
[30]        « L’état mécanique du véhicule de l’accusé n’est pas contributif à la collision » et « les facteurs environnementaux (condition météo, visibilité et infrastructure) n’ont pas contribué à la collision » conclut l’expert en reconstitution, monsieur Éric Sylvestre.
[31]        C’est, selon le reconstitutionniste, « le facteur humain qui est contributif à la collision ». « Ça prend », rajoute-t-il, « de la vitesse et une manœuvre du conducteur pour se retrouver dans cette situation-là. »
[35]        La vitesse est donc prouvée et le geste brusque de l’accusé, en l’absence de quelque autre explication, ne peut s’expliquer que par le fait qu’il s’est rendu compte trop tard qu’il ne suivait plus sa voie, ce qui l’a amené à donner un coup de volant brusque pour revenir s’y placer, entraînant le dérapage.
[36]        Ce manque de respect de la limite de vitesse, d’attention et de réaction appropriée continue à convaincre que les facultés de conduire de l’accusé étaient affaiblies.
[37]        En considérant tous ces éléments de preuve, le Tribunal est convaincu hors de tout doute raisonnable que les facultés de conduire de l’accusé étaient affaiblies par l’effet de l’alcool lors de l’accident.
Le lien de causalité
[38]        Le fardeau du ministère public, une fois que la preuve démontre que les facultés de l’accusé étaient même le moindrement affaiblies, est de démontrer que cet état a contribué même au moindre degré au décès, et non qu’il est la seule cause du décès, disait la Cour d’appel du Québec dans l’arrêt Boisvert.
[39]        Ce doit néanmoins être de façon appréciable que les facultés affaiblies ont contribué au décès a plus tard tenu à préciser la Cour d’appel du Québec.
[40]        Ici, la conduite de l’accusé avec les facultés affaiblies est la seule cause du décès de madame Cousineau, comme le démontre la juxtaposition du rapport d’autopsie et le rapport d’expertise « enquête et collision », de sorte que l’infraction reprochée au premier chef est prouvée hors de tout doute raisonnable.

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