mercredi 6 décembre 2017

Quelques indications à l’intention des juges du procès sur l’approche qu’ils devraient suivre lorsqu’une suggestion commune relative à la peine les préoccupe

R. c. Anthony‑Cook, [2016] 2 RCS 204, 2016 CSC 43 (CanLII)

Lien vers la décision

[49]                          Enfin, voici à l’intention des juges du procès quelques indications sur l’approche qu’ils devraient suivre lorsqu’une recommandation conjointe relative à la peine les préoccupe.
[50]                          Dans l’ensemble, les tribunaux de partout au pays s’entendent sur la procédure qu’un juge devrait suivre quand il est enclin à écarter une recommandation conjointe (voir, par exemple, B.O.2, par. 74‑82; R. c. Sinclair, 2004 MBCA 48 (CanLII)185 C.C.C. (3d) 569, par. 17; G.W.C., par. 26). Les parties et les intervenants insistent sur l’importance de la procédure. Elle fait en sorte que le juge tiendra compte des recommandations conjointes, et que les personnes accusées — qui ont déjà enregistré un plaidoyer de culpabilité — soient traitées avec équité. La procédure qui suit reflète la sagesse pratique que nos tribunaux de première instance et d’appel ont acquise par l’expérience. Elle n’est censée s’appliquer qu’aux affaires dans lesquelles la recommandation conjointe est controversée et soulève des préoccupations pour le juge du procès. Comme je l’ai déjà mentionné, la plupart des recommandations conjointes n’ont rien d’exceptionnel et sont facilement approuvées d’emblée par les juges du procès.
[51]                          Premièrement, les juges du procès devraient aborder la recommandation conjointe telle qu’elle leur est présentée. Autrement dit, le critère de l’intérêt public s’applique, que le juge envisage de modifier la peine recommandée ou d’y ajouter quelque chose dont les parties n’ont pas fait mention, par exemple une ordonnance de probation. Si les parties n’ont pas sollicité une ordonnance en particulier, le juge devrait supposer qu’elle a été examinée et exclue de la recommandation conjointe. Toutefois, si les avocats ont omis d’inclure une ordonnance impérative, le juge ne devrait pas hésiter à les en informer. Le besoin de certitude dans le contexte des recommandations conjointes ne peut justifier l’omission d’imposer une ordonnance impérative.
[52]                          Deuxièmement, les juges du procès doivent appliquer le critère de l’intérêt public lorsqu’ils envisagent d’infliger une peine plus lourde ou plus clémente que celle recommandée conjointement (DeSousa, le juge Doherty). Cela ne veut pas dire pour autant que l’analyse sera la même dans les deux cas. Au contraire, du point de vue de l’accusé, l’infliction d’une peine plus clémente ne suscite pas chez lui de préoccupations relativement au droit à un procès équitable, ni ne mine sa confiance envers la certitude des négociations sur le plaidoyer. De plus, quand il se demande si la sévérité d’une peine recommandée conjointement irait à l’encontre de l’intérêt public, le juge du procès doit être conscient de l’inégalité du rapport de force qu’il peut y avoir entre le ministère public et la défense, surtout lorsque l’accusé n’est pas représenté par avocat ou est détenu au moment de la détermination de la peine. Ces facteurs peuvent atténuer l’intérêt qu’a le public dans la certitude et justifier l’imposition d’une peine plus clémente dans des circonstances limitées. Par contre, lorsque le juge du procès envisage d’infliger une peine plus clémente, il doit se rappeler que la confiance de la société envers l’administration de la justice risque d’en souffrir si un accusé profite des avantages d’une recommandation conjointe sans avoir à purger la peine convenue (voir DeSousa, par. 23‑24). 
[53]                          Troisièmement, en présence d’une recommandation conjointe controversée, le juge du procès voudra sans aucun doute connaître les circonstances à l’origine de la recommandation conjointe, en particulier tous les avantages obtenus par le ministère public ou toutes les concessions faites par l’accusé. Plus les avantages obtenus par le ministère public sont grands, et plus l’accusé fait de concessions, plus il est probable que le juge du procès doive accepter la recommandation conjointe, même si celle‑ci peut paraître trop clémente. Par exemple, si la recommandation conjointe est le fruit d’une entente par laquelle l’accusé s’engage à prêter main‑forte au ministère public ou à la police, ou si elle reflète une faille dans la preuve du ministère public, une peine très clémente peut ne pas être contraire à l’intérêt public. Par contre, si la recommandation conjointe ne découlait que du constat de l’accusé qu’une déclaration de culpabilité était inévitable, la même peine pourrait faire perdre au public la confiance que lui inspire le système de justice pénale.
[54]                          Les avocats doivent évidemment donner au tribunal un compte rendu complet de la situation du contrevenant, des circonstances de l’infraction ainsi que de la recommandation conjointe sans attendre que le juge du procès le demande explicitement. Puisque les juges du procès sont tenus de ne s’écarter que rarement des recommandations conjointes, [traduction] « les avocats ont l’obligation corollaire » de s’assurer qu’ils « justifient amplement leur position en fonction des faits de la cause, tels qu’ils ont été présentés en audience publique » (rapport du comité Martin, p. 329). La détermination de la peine — y compris celle fondée sur une recommandation conjointe — ne peut se faire à l’aveuglette. Le ministère public et la défense doivent [traduction] « présenter au juge du procès non seulement la peine recommandée, mais aussi une description complète des faits pertinents à l’égard du contrevenant et de l’infraction », dans le but de donner au juge « un fondement convenable lui permettant de décider si [la recommandation conjointe] devrait être acceptée » (DeSousa, par. 15; voir aussi Sinclair, par. 14).
[55]                          Cela ne veut pas dire que les avocats doivent informer le juge du procès [traduction] « des positions qu’ils ont adoptées lors des négociations ou du contenu de leurs discussions ayant mené à l’entente » (R. c. Tkachuk2001 ABCA 243 (CanLII)293 A.R. 171, par. 34). Les avocats doivent cependant être en mesure d’expliquer au juge pourquoi la peine qu’ils recommandent n’est pas susceptible de déconsidérer l’administration de la justice ou n’est pas par ailleurs contraire à l’intérêt public. S’ils ne le font pas, ils courent le risque de voir le juge du procès rejeter la recommandation conjointe.
[56]                          Certes, dans certains cas, il ne sera pas possible de consigner au dossier les principales considérations sous‑tendant une recommandation conjointe, en raison de préoccupations quant à la sécurité ou la vie privée, ou du risque de mettre en péril des enquêtes criminelles en cours (voir le rapport du comité Martin, p. 317). Dans de tels cas, les avocats doivent trouver d’autres moyens de communiquer ces considérations au juge du procès, et ce, dans le but de s’assurer que le juge est au fait des facteurs pertinents et qu’un dossier adéquat est créé pour les besoins d’un appel éventuel.
[57]                          Une justification exhaustive de la recommandation conjointe comporte également un élément important relatif à la perception du public. À moins que les avocats consignent au dossier les considérations sous‑tendant la recommandation conjointe, [traduction] « la justice peut être rendue, mais elle peut paraître ne pas l’être; le public peut soupçonner, à tort ou à raison, qu’elle est entachée d’une irrégularité » (C. C. Ruby, G. J. Chan et N. R. Hasan, Sentencing (8e éd. 2012), p. 73).
[58]                          Quatrièmement, si le juge du procès n’est pas satisfait de la peine recommandée par les avocats, [traduction] « l’équité fondamentale exige que soit offerte aux avocats la possibilité de présenter des observations additionnelles en vue de tenter de répondre aux préoccupations du juge [. . .] avant qu’il impose la peine » (G.W.C., par. 26). Le juge devrait faire part aux avocats de ses préoccupations, et les inviter à y répondre, en leur indiquant notamment la possibilité de permettre à l’accusé de retirer son plaidoyer de culpabilité, comme l’a fait le juge du procès en l’espèce.
[59]                          Cinquièmement, si les préoccupations que le juge du procès a soulevées au sujet de la recommandation conjointe ne sont pas atténuées, le juge peut permettre à l’accusé de demander le retrait de son plaidoyer de culpabilité. Il n’est pas nécessaire d’établir, dans les présents motifs, les circonstances dans lesquelles un plaidoyer peut être retiré. Toutefois, à titre d’exemple, le retrait peut être autorisé lorsque les avocats ont commis une erreur fondamentale quant à la légalité de la recommandation conjointe, par exemple si une peine d’emprisonnement avec sursis a été recommandée mais ne peut être imposée.
[60]                          Enfin, le juge du procès qui n’est toujours pas convaincu par les observations des avocats devrait énoncer des motifs clairs et convaincants à l’appui de sa décision d’écarter la recommandation conjointe. Ces motifs permettront d’expliquer aux parties pourquoi la peine recommandée n’était pas acceptable, et pourront leur être utiles pour le règlement d’affaires ultérieures. Les motifs faciliteront aussi l’examen en appel.

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