vendredi 24 août 2018

La communication des informations entourant la présentation d’un acte d’accusation direct

R. c. Antoine, 2017 QCCS 608 (CanLII)

Lien vers la décision

[18]        La question de la communication des informations entourant la présentation d’un acte d’accusation direct a déjà fait l’objet de décisions judiciaires.
[19]        Cependant, il incombe dorénavant de résoudre la question présentée par les accusés à la lumière des principes formulés récemment par le juge Moldaver dans l’arrêt R. c. Anderson.
[52]      Il incombe au demandeur de prouver par prépondérance des probabilités qu’il y a eu abus de procédure : Cook, par. 62; R. c. O’Connor,1995 CanLII 51 (CSC)[1995] 4 R.C.S. 411, par. 69, la juge L’Heureux-Dubé; R. c. Jolivet2000 CSC 29 (CanLII)[2000] 1 R.C.S. 751, par. 19.  Toutefois, en raison de la nature unique du pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites — notamment le fait que le ministère public sera habituellement (voire toujours) la seule partie qui saura pourquoi une décision donnée a été prise ― notre Cour a reconnu dans Nixon que lorsque le pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites est contesté, le ministère public peut être tenu de justifier sa décision lorsque le demandeur établit l’existence d’une preuve suffisante : par. 60.
[53]      Dans Nixon, notre Cour énonce les raisons suivantes pour lesquelles il doit exister « une preuve suffisante » avant que l’allégation relative à l’abus de procédure puisse être examinée :
. . . l’imposition aux tribunaux d’une exigence selon laquelle ils doivent d’abord se prononcer quant à l’utilité de la tenue d’une enquête fondée sur laCharte n’a rien de nouveau : R. c. Pires2005 CSC 66 (CanLII)[2005] 3 R.C.S. 343.  Il faut également satisfaire à des critères préliminaires semblables dans d’autres domaines du droit criminel; ils ne constituent pas une anomalie. Des conditions préliminaires peuvent être imposées uniquement pour des raisons pragmatiques. Comme la Cour l’a fait remarquer dans Pires (par. 35) :
Pour que notre système de justice fonctionne, les juges qui président les procès doivent être en mesure de veiller au bon déroulement des instances.  L’un des mécanismes leur permettant d’y arriver est le pouvoir de refuser de procéder à une audition de la preuve lorsque la partie qui en fait la demande est incapable de démontrer qu’il est raisonnablement probable que cette audience aidera à résoudre les questions soumises au tribunal.
Hormis de telles considérations pragmatiques, il existe de bonnes raisons d’imposer un fardeau initial au demandeur qui prétend qu’un acte résultant de l’exercice du pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites constitue un abus de procédure.  Comme de telles décisions échappent généralement à la compétence du tribunal, il ne suffit pas d’entreprendre un examen pour qu’un demandeur puisse faire une simple allégation d’abus de procédure.  [Je souligne; par. 61-62.]
[54]      L’arrêt Nixon portait sur la répudiation d’une entente sur le plaidoyer par le ministère public.  Notre Cour a affirmé que la répudiation d’une entente sur le plaidoyer est « un événement rare et exceptionnel » qui répond au critère préliminaire de preuve et justifie un examen du bien-fondé de la décision du ministère public : Nixon, par. 63.  En fait, il ressortait de la preuve dans Nixon que seulement deux autres ententes sur le plaidoyer avaient déjà été répudiées en Alberta.  En conséquence, la Cour a affirmé ce qui suit :
. . . dans la mesure où la Couronne est la seule partie au courant de l’information, c’est à elle qu’il incombe d’exposer au tribunal les circonstances et les motifs qui sous-tendent sa décision de répudier l’entente.  En d’autres termes, la Couronne doit expliquer au tribunal pourquoi et comment elle est parvenue à la décision de ne pas respecter l’entente qu’elle avait pourtant conclue.  En bout de ligne, c’est au demandeur qu’il revient d’établir qu’il y a eu abus de procédure et, comme il a déjà été discuté, il doit satisfaire à un critère rigoureux.  Cependant, le peu, voire l’absence d’explications de la Couronne, le cas échéant, constitue un facteur qui milite fortement en faveur de la thèse du demandeur qui cherche à établir qu’il y a eu abus de procédure.  [par. 63]
[55]      Le fait d’obliger le demandeur à établir l’existence d’une preuve suffisante avant que la cour entreprenne l’examen des motifs qui sous-tendent l’exercice du pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites respecte la présomption selon laquelle ce pouvoir est exercé de bonne foi : Demande fondée sur l’art. 83.28 du Code criminel (Re)2004 CSC 42 (CanLII)[2004] 2 R.C.S. 248, par. 95.  Notre Cour a confirmé cette approche dans Sriskandarajah, par. 27, où elle a dit que « sauf preuve de sa mauvaise foi ou du caractère inapproprié de ce qui l’a animé, le poursuivant n’est pas tenu de motiver sa décision » (je souligne).
[20]        Seule la poursuite connait les raisons qui expliquent sa décision de présenter un acte d’accusation direct.
[21]        Selon les principes formulés dans l’arrêt Anderson, la poursuite ne sera pas tenue de fournir une explication ou de faire connaître ses motifs au sujet de la présentation d’un acte d’accusation direct à moins que les accusés ne satisfassent un critère préliminaire de preuve, un fardeau initial (« threshold burden »), soit une preuve suffisante, c’est-à-dire, une preuve vraisemblable de la mauvaise foi de la poursuite ou du caractère inapproprié de ce qui l’a animée lorsque cette décision a été prise.
[22]        La preuve suffisante requise pour ordonner la communication de la preuve des raisons justifiant la présentation d’un acte d’accusation direct doit rendre vraisemblable l’abus de procédures selon une probabilité raisonnable.
[23]        Une simple allégation d’abus de procédure ne justifie pas la tenue d’un examen de cette question ni la communication d’éléments de preuve à cet égard.
[24]        Qu’en est-il dans la présente affaire?
[25]        Les accusés soutiennent avoir été privés du bénéfice de la vérification de la traduction ordonnée par le juge de l’enquête préliminaire.
[26]        Or, la position de la poursuite ne faisait l’objet d’aucun mystère et ne révèle, en soi, aucun motif oblique, si ce n’est la volonté d’accélérer les procédures après une longue enquête préliminaire.
[27]        Les échanges entre le juge présidant l’enquête préliminaire et le procureur de la poursuite le révèlent assez clairement. 
[28]        D’ailleurs, dès que le dossier se présente devant le juge coordonnateur de la chambre criminelle de la Cour supérieure, le procureur de la poursuite l’informe que la question de la traduction constitue l’une de celles qui doivent être résolues rapidement.
[29]        Le principal obstacle à la demande des accusés se trouve dans la décision de la Cour suprême dans R. c. S.J.L..
[30]        Dans cette décision, la Cour suprême confirme qu’il n’existe pas de droit constitutionnel à l’enquête préliminaire ou au respect de ses résultats.   
[31]        Lors du dépôt d’un acte d’accusation direct, la mise à l’écart du mécanisme de filtrage que prévoit l’enquête préliminaire, ne porte pas atteinte aux principes de justice fondamentale.
[32]        De plus, même si l’enquête préliminaire permet à l’accusé « de mettre à l’épreuve la crédibilité des témoins et de mieux connaître la preuve dont dispose la poursuite […], ces avantages accessoires n’érigent pas cette procédure en droit constitutionnel ».
[33]        D’une certaine manière, les accusés revendiquent les fruits de l’ordonnance prononcée par le juge lors de l’enquête préliminaire comme s’il s’agissait d’un droit autonome et acquis qui survivrait à la fin de l’enquête préliminaire qui découle de la présentation d’un acte d’accusation direct. Or, un tel droit acquis n’existe pas.
[34]        Certes, le droit à la communication de la preuve de l’accusé doit être respecté; la traduction préparée a d’ailleurs été divulguée. Mais si le droit à la communication de la preuve n’oblige pas la poursuite à produire un témoin pour un interrogatoire préalable, la préparation d’une traduction par un traducteur reconnu ne peut pas être requise.
[35]        De plus, il est reconnu que l’accusé n'a pas le droit constitutionnel de diriger la conduite de l'enquête pénale dont il est la cible.
[36]        En effet, bien que la police et la poursuite doivent examiner sérieusement les demandes d'enquête faites par un accusé, ce sont les autorités chargées des poursuites qui portent la responsabilité ultime de déterminer l'utilisation des ressources publiques et le cours de l'enquête. Le droit à la divulgation de la preuve ne s'étend pas jusqu'à exiger de la police qu'elle enquête sur les défenses possibles.
[37]        Certes, la poursuite est tenue de prendre les mesures raisonnables pour aider l'accusé à obtenir la communication de documents pertinents en possession des tiers, mais cela est très différent d'exiger que la poursuite mène des enquêtes qui peuvent aider la défense ou que la poursuite présente ou communique la preuve sous une forme dont la qualité est supérieure aux exigences formulées dans l’arrêt White Burgess Langille Inman c. Abbott and Haliburton Co. (« White Burgess »).
[38]        Si le droit à l’enquête préliminaire et ses avantages ne bénéficient pas d’une protection constitutionnelle, il est difficile de concevoir qu’un accusé possède un droit, constitutionnel ou légal, de réclamer ou revendiquer les bénéfices ou les fruits d’une ordonnance rendue par le juge durant l’enquête préliminaire, sauf possiblement en présence d’un abus de procédures.
[39]        Les accusés ne possèdent pas un droit constitutionnel ou légal à recevoir une traduction préparée par un traducteur professionnel ou reconnu, même si cela constitue une pratique éminemment souhaitable pour la poursuite et évite des débats inutiles et périlleux. 
[40]        La poursuite a communiqué la traduction préparée par le policier Décembre. Les accusés sont en mesure d’en vérifier la qualité et d’obtenir l’opinion d’un traducteur qualifié.
[41]        Selon le jugement rendu antérieurement, les accusés auront le bénéficie de contre-interroger le policier Décembre et de mettre en doute tant sa compétence que la qualité et la fidélité de sa traduction devant le jury.
[42]        Ils pourront présenter leur propre traduction s’ils le souhaitent.
[43]        Il appartiendra ensuite au jury d’évaluer le tout.
[44]        Dans les circonstances, la présomption de bonne foi de la poursuite ne s’avère pas écartée et la communication de la preuve recherchée ne doit pas être ordonnée.

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