Lafrance c. R., 2017 QCCA 1642
[81] Il est vrai que la défense d’erreur n’a pas à être alléguée spécifiquement par l’accusé et que le fait, pour un accusé, de soulever la question du consentement équivaut à plaider une croyance sincère au consentement[38]. L’accusé a droit à ce que la Cour examine tous les moyens de défense auxquels les faits donnent ouverture.
[82] Cela dit, la défense ne sera considérée que si elle possède un air de vraisemblance[39]. Dans l’arrêt R. c. Davis, le juge en chef Lamer écrivait à ce sujet :
[81] Avant que la défense puisse être examinée, il faut qu'il y ait suffisamment d'éléments de preuve pour pouvoir convaincre un juge des faits raisonnable (1) que le plaignant n'a pas consenti aux attouchements sexuels, et (2) que l'accusé a néanmoins cru sincèrement, mais erronément qu'il était consentant: voir R. c. Osolin, 1993 CanLII 54 (CSC), [1993] 4 R.C.S. 595, à la p. 648, le juge McLachlin. En d'autres termes, compte tenu de la preuve, il doit être possible pour un juge des faits raisonnable de conclure que l'actus reus est établi, mais que la mens rea ne l'est pas. Dans ces circonstances, on dit que la défense a une certaine «vraisemblance» et le juge des faits, qu'il s'agisse d'un juge ou d'un jury, doit l'examiner. Par contre, lorsque la défense n'a aucune vraisemblance, il ne faut pas en tenir compte puisque aucun juge des faits raisonnable ne pourrait prononcer un verdict d'acquittement sur ce fondement: voir R. c. Park, 1995 CanLII 104 (CSC), [1995] 2 R.C.S. 836, au par. 11.[40]
[Soulignement dans l’original]
[83] Dans cette même affaire, la Cour suprême a pris le soin de préciser qu’il ne suffit pas pour l’accusé d’alléguer l’erreur pour conférer à la défense un air de vraisemblance[41]. Dans Ewanchuk, le juge Major notait aussi que « les affaires qui soulèvent un véritable malentendu entre les parties à une rencontre sexuelle ne sont pas fréquentes »[42]. Dans Davis, le juge Lamer était d’ailleurs du même avis et il précisait en outre que « l’agression sexuelle n’est pas un crime qui survient généralement par accident ». Il écrivait :
[84] […] Dans la plupart des cas, la question qui se posera sera celle du «consentement ou de l'absence de consentement», et il n'y aura qu'une alternative. Soit le plaignant a consenti, auquel cas il n'y a pas d'actus reus. Soit le plaignant n'a pas consenti et l'accusé avait une connaissance subjective de ce fait. Dans ce cas, l'actus reus est établi et la mens rea s'ensuit simplement.
[85] Par exemple, supposons que le plaignant et l'accusé relatent des faits diamétralement opposés. Le plaignant allègue avoir été victime d'une agression sexuelle brutale et y avoir résisté vigoureusement tandis que l'accusé affirme qu'il s'agissait de rapports sexuels consensuels. Supposons en outre qu'il est impossible de combiner les éléments de preuve pour créer une troisième version des faits suivant laquelle l'accusé a cru sincèrement mais erronément que le plaignant avait donné son consentement. Dans de telles circonstances, il s'agit essentiellement au procès d'une simple question de crédibilité. Si on croit le plaignant, l'actus reus est établi et la mens rea s'ensuit simplement. Si on croit l'accusé, ou s'il y a un doute raisonnable quant à la version des faits du plaignant, il n'y a pas d'actus reus. Il n'y a pas de troisième possibilité, savoir une croyance sincère mais erronée au consentement, même si l'accusé affirme que le plaignant a consenti: Park, précité aux par. 25 et 26.[43]
[Soulignement ajouté]
[84] En fait, la défense de la croyance sincère mais erronée ne peut être soulevée que s’il existe une certaine ambiguïté dans le rapport entre l’accusé et la plaignante, comme le soulignait la juge McLachlin dans l’arrêt R. c. Esau :
[63] […] Non seulement il doit y avoir une preuve d'absence de consentement et de croyance au consentement, mais il doit aussi y avoir une preuve susceptible d'expliquer comment l'accusé a pu se méprendre sur l'absence de consentement du plaignant et croire sincèrement qu'il consentait. Autrement, ce moyen de défense ne peut pas être valablement soulevé. Bref, il doit y avoir une preuve d'une situation d'ambiguïté dans laquelle l'accusé aurait sincèrement pu comprendre à tort que le plaignant consentait à l'activité sexuelle en question.[44]
[85] Bien que dissidente dans cette affaire, le principe qu’elle évoquait était cité avec approbation par la Cour suprême dans Davis[45], un arrêt unanime rendu la même année. Ce principe est également repris par l’auteure Julie Desrosiers dans son ouvrage L’Agression sexuelle en droit canadien[46].
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