vendredi 3 novembre 2023

Rappel de quelques principes juridiques encadrant l’infraction d’agression sexuelle

Mentor c. R., 2022 QCCA 1270

Lien vers la décision


[50]      Avant d’examiner au fond les erreurs invoquées par l’appelant, il convient de rappeler quelques principes juridiques afférents à l’actus reus et à la mens rea de l’agression sexuelle.

[51]      L’actus reus de l’agression sexuelle est établi par la preuve cumulative de trois éléments, à savoir : « i) les attouchements; ii) d’une nature objectivement sexuelle; iii) auxquels la plaignante n’a pas consenti »[36].

[52]      Puisque les deux premiers éléments ne sont pas remis en cause en l’espèce, je propose de mettre l’accent sur l’élément relatif à l’absence de consentement.

[53]      Le législateur définit le consentement au paragraphe 273.1(1) C.cr. de la façon suivante :

 (1) Sous réserve du paragraphe (2) et du paragraphe 265(3), le consentement consiste, pour l’application des articles 271, 272 et 273, en l’accord volontaire du plaignant à l’activité sexuelle.

 (1) Subject to subsection (2) and subsection 265(3), consent means, for the purposes of sections 271, 272 and 273, the voluntary agreement of the complainant to engage in the sexual activity in question.

[54]      Dans l’arrêt de la Cour suprême R. c. Barton, le juge Moldaver écrit à propos de la notion de consentement pour les besoins de l’actus reus :

[89]      La notion de « consentement » diffère selon l’étape de l’analyse. Pour les besoins de l’actus reus, la notion de « consentement » signifie que « dans son esprit, la plaignante souhaitait que les attouchements sexuels aient lieu » (Ewanchuk, par. 48). Donc, à ce stade, l’accent est mis sans détour sur l’état d’esprit de la plaignante, alors que la perception que l’accusé avait de cet état d’esprit n’entre pas en jeu. Par conséquent, si la plaignante témoigne qu’elle n’a pas consenti et que le juge des faits accepte son témoignage, il n’y a tout simplement pas eu consentement (voir Ewanchuk, par. 31). À cette étape, l’analyse de l’actus reus est terminée. Pour que l’actus reus soit établi, point n’est besoin que la plaignante ait manifesté l’absence de consentement ou la révocation de son consentement (voir J.A., par. 37).[37]

[55]      L’absence de consentement est ainsi déterminée par rapport à l’état d’esprit de la plaignante dans son for intérieur[38]. Dit autrement, dans son for intérieur, la plaignante a-t-elle donné son accord volontaire à l’activité sexuelle? A-t-elle souhaité que les attouchements sexuels aient lieu? Il s’agit d’une question purement subjective liée à l’état d’esprit de la plaignante uniquement et non à la perception qu’a pu en avoir le délinquant[39].

[56]      Mais, comme le précise la juge Karakatsanis dans l’arrêt R. c. G.F., avant de donner son accord volontaire à l’activité sexuelle, la plaignante doit avoir la capacité de former un tel accord. Si elle est incapable de consentir, elle ne peut par conséquent avoir donné son accord volontaire à l’activité sexuelle[40]. Cette capacité de consentir est donc une condition préalable au consentement subjectif de la plaignante :

[53]      Bref, pour conclure à l’existence d’un consentement subjectif, il faut que la plaignante ait été capable de consentir et qu’elle ait donné son accord à l’activité sexuelle. Une conclusion selon laquelle la plaignante était incapable de consentir ou n’a pas donné son accord à l’activité sexuelle établira l’absence de consentement subjectif. Il n’est pas nécessaire que ces deux aspects du consentement subjectif soient examinés dans un ordre strict.[41]

[57]      La juge Karakatsanis relève quatre exigences pour établir que la plaignante est capable de donner un consentement subjectif à l’activité sexuelle. Elle doit être capable de comprendre quatre choses, soit : « 1. l’acte physique; 2. le fait que l’acte est de nature sexuelle; 3. l’identité précise de son ou ses partenaires; et 4. le fait qu’elle peut refuser de participer à l’activité sexuelle »[42]. Lorsque la poursuivante établit l’absence de l’une de ces exigences, la plaignante est incapable de consentir et l’absence de consentement est établie à l’étape de l’actus reus[43].

[58]      Quant à la mens rea de l’infraction d’agression sexuelle, la Cour suprême du Canada écrit dans R. c. Ewanchuck qu’elle comporte « l’intention de se livrer à des attouchements sur une personne et la connaissance de son absence de consentement ou l’insouciance ou l’aveuglement volontaire à cet égard »[44].

[59]      Le délinquant peut défier la preuve de la mens rea en alléguant qu’il avait une croyance sincère, mais erronée au consentement communiqué. Dans l’arrêt Barton, le juge Moldaver écrit ce qui suit au sujet du consentement pour les besoins de la mens rea lorsque le délinquant invoque le moyen de défense de la croyance sincère, mais erronée au consentement communiqué :

[90]      Pour les besoins de la mens rea, particulièrement pour l’application de la défense de la croyance sincère, mais erronée au consentement communiqué, la notion de « consentement » signifie « que la plaignante avait, par ses paroles ou son comportement, manifesté son accord à l’activité sexuelle avec l’accusé » (Ewanchuk, par. 49). Par conséquent, l’analyse porte à cette étape sur l’état d’esprit de l’accusé; la question est alors de savoir si l’accusé croyait sincèrement « que le plaignant avait vraiment dit “oui” par ses paroles, par ses actes, ou les deux » (ibid., par. 47).[45]

[60]      Dans le cadre de ce moyen de défense, le délinquant reconnaît avoir commis l’actus reus de l’infraction d’agression sexuelle tout en croyant de façon erronée en un état de fait qui écarte l’élément de faute de l’infraction ou qui suscite un doute raisonnable à cet égard.

[61]      Ce moyen de défense fondé sur la croyance sincère, mais erronée au consentement communiqué à l’activité sexuelle, comporte des exclusions qui sont précisées à l’article 273.2 C.cr.

[62]      Ainsi, il ne peut être invoqué par le délinquant si cette croyance provient de son insouciance ou de son aveuglement volontaire. Il ne pourra davantage être soulevé si le délinquant a fait défaut de prendre les mesures raisonnables, dans les circonstances dont il avait connaissance, pour s’assurer du consentement.

[63]      Dans l’arrêt Barton, le juge Moldaver précise que le dénominateur commun aux descriptions de l’obligation relative aux mesures raisonnables est qu’elle « rejette l’idée périmée selon laquelle les femmes sont réputées consentir à moins qu’elles disent “non” »[46]. Il écrit également que : « l’accusé ne saurait prétendre que le fait de se fier au silence, à la passivité ou au comportement ambigu de la plaignante est une mesure raisonnable pour s’assurer du consentement, car le fait de croire que l’un ou l’autre de ces facteurs emporte consentement constitue une erreur de droit (voir Ewanchuk, par. 51, citant M. (M.L.)) »[47].

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