Boivin c. R., 2020 QCCA 1219
[15] Le droit de garder le silence est un droit protégé par l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés[7] et se fonde sur les doctrines de la règle des confessions et du privilège de ne pas s’incriminer[8]. L’exercice du droit au silence par un accusé ne doit pas lui être préjudiciable[9].
[16] Il en découle que le silence d’une personne détenue ou arrêtée, comme le souligne la Cour dans l’arrêt R. c. Lagacé, « ne peut lui être reproché pour servir de base à une déclaration de culpabilité ou plus simplement pour rejeter sa version, sauf en matière d’alibi, où le défaut de l’annoncer en temps utile peut en affecter la crédibilité »[10].
[17] La preuve du silence d’un accusé avant son procès est uniquement admissible dans des circonstances particulières, c’est-à-dire lorsque la poursuite établit « une pertinence réelle et une justification légitime »[11], « lorsque la défense soulève une question qui démontre la pertinence du silence de l’accusé »[12] ou encore lorsque ce silence devient un fait en litige[13].
[18] Le droit au silence continue de s’appliquer même si l’accusé accepte de communiquer certains renseignements à la police. Comme l’énonce la Cour suprême dans R. c. Turcotte :
Une personne peut fournir certains, aucun ou la totalité des renseignements qu’elle possède. L’interaction volontaire avec la police, même si elle est engagée par l’intéressé, ne constitue pas une renonciation au droit de garder le silence. Le droit de choisir de parler ou de garder le silence demeure entier tout au long de l’interaction.[14]
[19] L’accusé a le droit de ne pas fournir certains renseignements lorsqu’il est interrogé par la police. À titre d’exemple, dans l’arrêt Lagacé[15], l’accusé fait une déclaration aux policiers et clame son innocence. Dans son témoignage rendu au procès, il identifie un tiers qui est, selon lui, l’auteur des coups de couteau assénés à la victime. L’avocate du ministère public le contre-interroge sur le fait qu’il n’a jamais fourni ces renseignements à la police. En plaidoirie, elle laisse entendre au jury que « les gens qui ne donnent pas leur version quand ils parlent aux policiers, habituellement, ce sont des gens peut-être un peu moins fiables » et s’interroge, toujours en s’adressant au jury, sur l’honnêteté et la transparence de l’accusé. Mon collègue, le juge Doyon, précise qu’une telle façon de faire, jumelée à l’absence de directive spécifique pour atténuer la portée des arguments du ministère public, « attaque de plein front le droit de l’appelant au silence » en laissant entendre « que de ne pas collaborer avec la police affecte la crédibilité de l’appelant et peut être un indice de sa culpabilité »[16].
[20] Ainsi, le fait d’omettre de déclarer des renseignements à la police, pour ensuite les divulguer pour la première fois au moment du procès, ne peut être utilisé pour rejeter la version de l’accusé et ultimement conclure à sa culpabilité[17]. Autrement, l’exercice du droit au silence par un accusé interrogé par la police se retournerait contre lui au moment du procès, rendant ainsi le droit au silence complètement illusoire[18].
[21] Dans la même veine, les questions d’un contre-interrogatoire ne doivent pas suggérer que la version des faits de l’accusé, présentée pour la première fois au procès, n’est pas crédible pour la raison qu’elle n’a pas été livrée antérieurement[19].
[22] En revanche, l’accusé qui choisit de témoigner peut être contre-interrogé sur les incohérences existant entre sa déclaration faite à la police et son témoignage rendu au procès. Si le contre-interrogatoire a comme dessein de miner la crédibilité de l’accusé en mettant l’accent sur ces incohérences, il ne compromet pas le droit au silence[20].
[23] L’avocat du ministère public peut ainsi suggérer, dans le cadre du contre-interrogatoire de l’accusé, que la version des événements pertinents exposée dans son témoignage est significativement différente de la version initiale donnée à la police[21].
[24] Le juge des faits peut alors se fonder sur cette incohérence pour tirer une conclusion défavorable à l’égard de la crédibilité de l’accusé ou de la vraisemblance de la version offerte[22]. Cette conclusion ne repose pas sur l’exercice du droit au silence, mais sur l’incohérence des récits racontés par l’accusé. La déduction admissible ne se fonde pas sur le silence de l’accusé avant le procès, mais sur les différences matérielles entre les versions racontées[23].
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