R. c. Accurso, 2021 QCCQ 4766
[97] L’omission du ministère public de communiquer un renseignement ne constitue pas en soi une violation du droit de l’accusé à une défense pleine et entière et conséquemment, ne porte pas nécessairement toujours atteinte à l’équité du procès. C’est pour cette raison que l’accusé qui invoque que l’omission du ministère public de communiquer un renseignement met en péril l’équité de son procès, doit premièrement démontrer que l’omission a un impact sur sa possibilité de présenter une défense pleine et entière[110]. Une telle démonstration requiert notamment que le tribunal se penche sur la nature du renseignement qui n’a pas été communiqué afin d’en évaluer le caractère « substantiel » ou l’importance [111]. Autrement dit, l’omission du ministère public de communiquer un renseignement qui s’avère de très peu d’utilité pour la défense ne porte pas nécessairement atteinte au droit de l’accusé à une défense pleine et entière et donc à l’équité de son procès.
[98] La démonstration du caractère « substantiel » ou de l’importance du renseignement non communiqué est également pertinente à l’analyse de la conduite reprochée au ministère public lorsqu’il est question de l’intégrité du processus judiciaire. L’omission du ministère public de communiquer quelques renseignements peu importants a certainement un impact moindre sur l’intégrité du processus judiciaire que l’omission de communiquer plusieurs renseignements importants.
[99] Le caractère « substantiel » ou important des renseignements qui n’ont pas été communiqués a aussi un impact sur la question de savoir si des réparations autre que l’arrêt des procédures sont susceptibles de corriger l’atteinte à l’équité du procès ou à l’intégrité du processus judiciaire. À ce sujet, rappelons que lorsque que l’omission du ministère public de communiquer un renseignement est soulevée en cours de procès, la réparation juste et convenable est souvent une ordonnance de communication du renseignement et un ajournement du procès afin de permettre à la défense de prendre connaissance de la nature dudit renseignement plutôt qu’un arrêt des procédures[112].
[100] Dans le présent dossier, le Tribunal conclut notamment que le ministère public a omis se renseigner suffisamment sur la nature des documents saisis par l’ARC lors des perquisitions exécutées en 2008 et 2009 dans le cadre du « Projet Legaux » avant de décider que ces documents n’étaient pas pertinents et donc, qu’ils n’étaient pas sujets à son obligation de communication. Cela étant dit, le Tribunal en sait bien peu sur la nature des documents qui n’ont pas été communiqués et, conséquemment, sur les renseignements qu’ils contiennent. Le Tribunal ne dispose donc pas de suffisamment d’information sur ces documents pour décider si le comportement du ministère public porte atteinte à l’équité du procès ou à l’intégrité du processus judiciaire ou pour décider si des réparations autres que l’arrêt des procédures sont susceptibles de corriger la situation. Compte tenu de l’importance des enjeux soulevés, ces débats doivent se faire sur la base de faits et non en fonction d’hypothèses mises de l’avant par les parties.
[101] À ce stade des procédures, le Tribunal se voit dans l’obligation de suspendre le procès pour ordonner au ministère public de communiquer aux avocats de la défense tous les documents saisis par l’ARC lors des perquisitions exécutées en 2008 et 2009 dans le cadre du « Projet Legaux », sauf si ceux-ci n’ont manifestement pas de pertinence, sont privilégiés ou sont soumis à un régime de communication autrement prévu par la Loi[113]. Dans l’éventualité où le ministère public considère qu’un document ne devrait pas être communiqué aux avocats de la défense, il devra fournir une description du document et préciser la raison du refus. En cas de différend quant à la communication d’un document, le Tribunal tranchera.
[102] Ce n’est que lorsque les parties seront en mesure de fournir de l’information au Tribunal sur la nature de ces documents et des renseignements qu’ils contiennent que le Tribunal pourra analyser tous les effets du comportement adopté par le ministère public et ainsi évaluer adéquatement les réparations disponibles. Le Tribunal est conscient que l’omission du ministère public en lien avec son obligation de communiquer la preuve n’est pas la seule omission en jeu. Cela étant dit, il est opportun d’évaluer le comportement du ministère public comme un tout afin de bien cerner ses effets, le cas échant. C’est pourquoi le Tribunal suspend également la requête en arrêt des procédures.
[103] Par ailleurs, le Tribunal s’attend à ce que les parties conviennent entre elles des modalités de cette communication afin que le tout se fasse de façon sereine et efficace. Le Tribunal rappelle aux parties qu’elles se sont toutes déclarées prêtes pour un procès de 90 jours. Sur la foi de ces représentations, faites par des avocats d’expérience, la direction de la Cour du Québec a octroyé d’importantes ressources judiciaires à ce dossier, notamment en libérant un juge et le personnel nécessaire. Une salle a également été aménagée spécialement pour ce dossier, compte tenu du contexte de la pandémie.
[104] Le Tribunal constate que les avocats de la défense détiennent depuis maintenant plusieurs semaines, un inventaire détaillé des documents saisis par l’ARC au cours des perquisitions exécutées en 2008 et 2009 dans le cadre du « Projet Legaux »[114]. Armés de cet inventaire, il ne fait aucun doute que les avocats de la défense sont en mesure de préciser quels sont les documents qui les intéressent, afin que ceux-ci leur soient communiqués en premier. De la même façon, il semble évident que tous les documents n’ont pas la même importance. Conséquemment, si les parties travaillent ensemble, elles seront à même de déterminer des modalités d’accès permettant de limiter les délais, comme par exemple, fournir un accès à certains documents plutôt que de les numériser, si ceci est plus rapide.
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