mardi 6 août 2024

L’arrêt W.(D.) ne s’applique pas au voir-dire constitutionnel

R. c. Man, 2019 QCCS 2478

Lien vers la décision


[12]      L’utilisation des critères de l’arrêt W.(D.) dans le cadre « d’un voir-dire constitutionnel »[5] s’avère problématique.

[13]        Selon l’arrêt R. c. Collins, l’accusé « a la charge de persuader la cour de la violation ou de la négation des droits ou libertés que lui confère la Charte »[6].

[14]        Dans cette affaire, le juge Lamer décrit la norme de preuve pertinente qui encadre le voir-dire constitutionnel : « [l]a norme de persuasion à laquelle il faut satisfaire n'est que celle applicable en matière civile, c'estàdire la prépondérance des probabilités et, pour cette raison, l'attribution de la charge de persuasion signifie simplement que, dans un cas où la preuve n'établit pas s'il y a eu violation des droits de [l’accusé], la cour doit conclure qu'il n'y en a pas eu »[7].

[15]        Puisque l’application de la norme de persuasion civile s’applique au voir-dire constitutionnel, il faut considérer l’arrêt F.H. c. McDougall[8] où la Cour suprême devait déterminer si l’arrêt W.(D.) s’applique en matière civile à l’égard de l’évaluation de la crédibilité.

[16]      Le juge Rothstein formule les observations suivantes :

[85]      La démarche proposée dans l’arrêt W. (D.) a été conçue pour aider le jury aux prises avec des témoignages contradictoires dans une affaire criminelle à déterminer s’il existe un doute raisonnable.  La non‑crédibilité de l’accusé ne prouve pas sa culpabilité hors de tout doute raisonnable.

[86]      Toutefois, au civil, lorsque les témoignages sont contradictoires, le juge est appelé à se prononcer sur la véracité du fait allégué selon la prépondérance des probabilités.  S’il tient compte de tous les éléments de preuve, sa conclusion que le témoignage d’une partie est crédible peut fort bien être décisive, ce témoignage étant incompatible avec celui de l’autre partie.  Aussi, croire une partie suppose explicitement ou non que l’on ne croit pas l’autre sur le point important en litige.  C’est particulièrement le cas lorsque, comme en l’espèce, le demandeur formule des allégations que le défendeur nie en bloc.  La démarche préconisée dans l’arrêt W. (D.) ne convient pas pour évaluer la preuve au regard de la prépondérance des probabilités dans une instance civile.

[Le soulignement est ajouté]

[17]      Ce passage de l’arrêt McDougall détermine l’issue du pourvoi[9].

[18]      Dans un article intitulé Doubt about Doubt : Coping with R. v. W.(D.) and Credibility Assessment[10], l’auteur David Paciocco explique que l’arrêt W.(D.) ne s’applique pas aux situations où l’accusé doit établir par prépondérance de preuve une défense comme la non-responsabilité criminelle, l’automatisme et l’intoxication extrême :

Not all defences operate this way, however. There are three “reverse onus defences” known to law—“mental disorder,”26 “automatism,”27 and “extreme  intoxication.”28 As the name “reverse onus defences” suggests, when these defences are put in play the Crown need not disprove them beyond a reasonable doubt, as it ordinarily must when there is an air of reality in the evidence that a defence might apply. Instead, the burden is on the accused to establish “reverse onus defences” on the balance of probabilities, or the defence fails. The W. (D.) framework therefore has no application when deciding whether reverse onus defences have been made out. The suggestion that the W. (D.) framework applies to “any defence” that is in issue should therefore be approached with caution. The framework applies to most defences—“ordinary defences”—but not to “reverse onus defences.”[11]

[19]      La même règle s’applique au voir-dire constitutionnel.

[30]        Dans la présente affaire, la question de la violation des droits constitutionnels de l’accusé exigeait que la juge d’instance évalue « des éléments de preuve embrouillés et contradictoires sur une question clé »[18] en appliquant la norme juridique de la prépondérance de preuve et non celle de l’arrêt W.(D.).

[36]      À cet égard, il vaut de rappeler que la jurisprudence insiste sur la nécessité de soigneusement distinguer les différents fardeaux applicables, particulièrement dans le contexte d’un voir-dire mixte ou combiné. 

[37]      Voici les commentaires du juge Watt de la Cour d’appel de l’Ontario dans l’arrêt R. v. Sadikov à ce sujet :

[32]      The manner in which a voir dire is to be conducted is left to the discretion of the presiding judge, and is not subject to rigid or pre-fabricated rules.  Relevant factors include, but are not limited to, the nature of the issue under consideration and of the case itself, as well as the means of proof available:  R. v. Kematch2010 MBCA 18 (CanLII)252 C.C.C. (3d) 349, at para. 43.  See also Rule 34.01 of the Criminal Proceedings Rules for the Superior Court of Justice (Ontario), (Criminal Proceedings Rules).

[33]      In many instances, evidence proposed for admission may implicate more than one admissibility rule.  In prosecutions for unlawful homicide, for example, statements the deceased has allegedly made to others, expressing fear of the accused and recounting incidents of actual or threatened violence, may engage both the hearsay and bad character rules.  A police interview of the accused may be challenged on voluntariness and constitutional grounds.  It is commonplace to conduct a single voir dire to determine admissibility in these cases and a prudent use of judicial resources to do so.  That said, presiding judges must be scrupulous to ensure that their rulings respect differing burdens and standards of proof and reflect an informed understanding of the governing admissibility rules:  R. v. Voss (1989), 1989 CanLII 7167 (ON CA)50 C.C.C. (3d) 58 (Ont. C.A.), at pp. 79-80[22].

[Le soulignement est ajouté]

[38]      Le critère de W.(D.) vise à assurer le respect du doute raisonnable et non à encadrer l’évaluation de la crédibilité et de la fiabilité d’un témoin selon la norme de la prépondérance de preuve.  

[39]      Ce critère s’intègre donc mal à l’évaluation entourant la norme de prépondérance de preuve à laquelle se voit assujetti le voir-dire constitutionnel.

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