dimanche 6 octobre 2024

Il n’existe pas de « règle immuable sur la façon dont se comportent les victimes de traumatismes comme une agression sexuelle »

J.F. c. R., 2018 QCCA 986

Lien vers la décision


[8]         On s’explique mal comment un délibéré de plus de huit mois peut mener à une telle confusion. Il est pour le moins difficile de comprendre ce que veut dire le juge. On peut toutefois inférer qu’il estime que la plaignante n’a pas expliqué pourquoi elle avait attendu avant de dénoncer son agresseur et est surpris par la tardiveté de sa plainte en raison, notamment, de son comportement et de sa personnalité. Voilà un stéréotype bien ancré, d’autant que la plaignante s’est expliquée.

[9]         En outre, à un autre moment, il est surpris que, tout en alléguant avoir subi des sévices aux mains de son père, la plaignante dise avoir continué de l’accompagner à des concerts ou en vacances. Il admet que ce comportement est conforme à celui de certaines victimes, mais ajoute qu’il est difficile à concilier avec la personnalité de la plaignante. Selon toute vraisemblance, cette conclusion découle, elle aussi, d’idées préconçues selon lesquelles les victimes d’agressions sexuelles devraient avoir un comportement différent. La conclusion voulant qu’il soit incohérent que la plaignante ait continué de partager de tels moments avec l’intimé, son père, s’appuie sur des idées préconçues.

[10]      Aussi, lorsqu’il déclare qu’il est contradictoire et inquiétant que la plaignante n’ait jamais mis sa sœur en garde contre le comportement de l’intimé, le juge se fonde sur une perception stéréotypée des comportements des victimes d’agressions sexuelles en contexte incestueux.

[11]      Le juge affirmera aussi qu’une « solution simple » aurait été de quitter le foyer familial puisque la plaignante avait atteint l’indépendance financière.

[12]      En somme, il a évalué la version de la plaignante en comparant son comportement à celui d’une victime d’agression sexuelle idéalisée. Or, il n’existe pas de « règle immuable sur la façon dont se comportent les victimes de traumatismes comme une agression sexuelle » : R. c. D.D., 2000 CSC 43 (CanLII), [2000] 2 R.C.S. 275, et les attentes manifestées par le juge sont fondées sur des stéréotypes ou une généralisation entachée de préjugés.

[15]      Comme les erreurs de droit décrites précédemment constituent l’essence du jugement et fondent la conclusion du juge, l’appel doit être accueilli et un nouveau procès ordonné. Dans ces circonstances, il n’est pas nécessaire de se pencher davantage sur la décision rendue à la suite du voir-dire, puisque cette question devra être débattue lors du nouveau procès.

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