samedi 19 octobre 2024

L’admissibilité de la preuve d’identification oculaire antérieure

Belleville c. R., 2018 QCCA 960

Lien vers la décision


[49]        L’analyse de la première proposition de ce moyen, soit l’admissibilité de la preuve d’identification antérieure, commence et, je crois, se termine avec notre arrêt LSJPA — 10372010 QCCA 1627. Dans cette affaire qui se penche sensiblement sur la même preuve, mais produite dans le cadre du procès d’un autre coaccusé, la Cour écrit ce qui suit :

[119]   Il faut distinguer l’admissibilité de la preuve d'identification antérieure selon trois cas de figure, comme le souligne l’auteur Hamish Stewart dans Prior Identification and Hersay : A Note on R. v. Tat (1998), 3 Rev. Can. D.P. 61 :

Situation (1) : “That’s him; I recognize the accused as the offender, and I remember identifying him in the line-up”;

Situation (2): “I am not sure; the accused may or may not be the offender. I know I identified someone in a line-up, and at that time I was sure that the person I identified was the offender”.

Situation (3): “That’s not him; the accused is definitely not the offender. I may have identified him in a line-up, but I was mistaken [or lying].

[120]   En l’espèce, les témoins Lamoureux et Bergeron se trouvent dans la deuxième situation. Or, comme le rappelle la Cour d'appel d'Ontario dans R. v. Tat, (1997), 1997 CanLII 2234 (ON CA), 117 C.C.C. (3d) 481, la preuve de l'identification antérieure est recevable pour établir l’ensemble des circonstances de l’identification, qu'il s'agisse de la première ou de la deuxième situation. Les témoins, de même que la policière, pouvaient donc témoigner des circonstances de l'identification antérieure. Ainsi, la juge de première instance a eu raison d'indiquer au jury que les pièces P-9b et P-12b pouvaient faire preuve de la véracité de ce qu'elles rapportaient.

[Références omises.]

[50]        À mon avis, le niveau de certitude du témoin quant à l’identification, une distinction que cherche à faire Belleville, n’écarte pas la règle dans la mesure où celle-ci est probable. Elle n’a pas à être certaine. Dans l’arrêt R. c. Fliss2002 CSC 16 (CanLII), [2002] 1 R.C.S. 535, la Cour rappelle que l’exception de l’enregistrement du souvenir doit satisfaire les conditions suivantes : (1) que l’enregistrement du souvenir soit fiable; (2) que le souvenir ait été suffisamment frais et vif pour présenter une précision probable; (3) que le témoin soit en mesure d’affirmer que l’enregistrement représente exactement sa connaissance et son souvenir de l’époque, c’est-à-dire qu’il le tenait alors pour véridique; et (4) qu’on utilise l’enregistrement original s’il est possible de l’obtenir.

[51]        L’enregistrement du souvenir est une exception traditionnelle au ouï-dire : R. c. Louangrath2016 ONCA 550. Lorsqu’une preuve satisfait les exigences d’une exception traditionnelle, elle est présumée avoir une fiabilité suffisante et il appartient à la partie qui la conteste de faire valoir le contraire : R. c. Starr2000 CSC 40 (CanLII), [2000] 2 R.C.S. 144, par. 212-214.

[55]        Ce n’est pas le cas en l’espèce. La preuve d’identification était directe, par les témoins oculaires, et circonstancielle avec la preuve matérielle, chacun des éléments pouvant venir appuyer l’évaluation de l’autre. Ainsi, la valeur probante de la preuve directe d’identification devait être évaluée en fonction de l’ensemble de la preuve. Ce travail, comme l’indique le juge, appartient en principe au jury, même pour l’identification : R. c. Hay, 2013 CSC 61 (CanLII), [2013] 3 R.C.S. 694, par. 40; R. c. Charbonneau, 2005 QCCA 1054, par. 68.

[56]        Comme l’a réitéré la Cour suprême dans l’arrêt R. c. Hay2013 CSC 61 (CanLII), [2013] 3 R.C.S. 694, la faiblesse de l’identification par le témoin oculaire doit néanmoins être évaluée par le jury dans l’ensemble de la preuve :

[40]        Les questions relatives à la crédibilité des témoins oculaires et au poids à accorder à leur témoignage relèvent du juge des faits — en l’espèce, le jury : R. c. Mezzo1986 CanLII 16 (CSC), [1986] 1 R.C.S. 802, p. 844‑845. Il est bien établi que lorsque le ministère public a recours à l’identification par témoin oculaire, le juge du procès a l’obligation de mettre le jury en garde au sujet des faiblesses reconnues de la preuve d’identification; voir Mezzo, p. 845, citant R. c. Turnbull[1976] 3 All E.R. 549 (C.A.); R. c. Hibbert2002 CSC 39, [2002] 2 R.C.S. 445, par. 78‑79 (le juge Bastarache, dissident, mais non sur ce point); R. c. Canning1986 CanLII 20 (CSC), [1986] 1 R.C.S. 991. Toutefois, un jury ayant reçu les directives appropriées peut, en dépit des faiblesses de l’identification par témoin oculaire, conclure à la fiabilité de la déposition du témoin oculaire et rendre un verdict de culpabilité sur ce fondement, et ce, même si le ministère public n’a cité qu’un seul témoin oculaire; voir Mezzo, p. 844; R. c. Nikolovski1996 CanLII 158 (CSC), [1996] 3 R.C.S. 1197, par. 23.

[41]        Bien que l’appréciation de la crédibilité et du poids de la déposition d’un témoin oculaire relève du jury et que, dans certaines circonstances, la déposition d’un seul témoin oculaire puisse fonder une déclaration de culpabilité, un jury ne devrait pas être autorisé à rendre un verdict de culpabilité en s’appuyant sur une déposition d’un témoin oculaire qui ne pourrait étayer une inférence de culpabilité hors de tout doute raisonnable. Autrement dit, il ne faudrait pas expliquer au jury qu’il peut déclarer un accusé coupable en se basant uniquement sur la déposition d’un témoin oculaire lorsque la déposition, même si l’on y accorde foi, laisserait nécessairement subsister un doute raisonnable dans l’esprit d’un juré raisonnable; voir R. c. Arcuri2001 CSC 54, [2001] 2 R.C.S. 828, par. 21‑25; R. c. Reitsma1998 CanLII 825 (CSC), [1998] 1 R.C.S. 769, inf. (1997), 1997 CanLII 3607 (BC CA), 97 B.C.A.C. 303; R. c. Zurowski2004 CSC 72, [2004] 3 R.C.S. 509; États‑Unis d’Amérique c. Shephard1976 CanLII 8 (CSC), [1977] 2 R.C.S. 1067, p. 1080. En fait, si la preuve du ministère public consiste uniquement en la déposition d’un témoin oculaire qui soulèverait nécessairement un doute raisonnable dans l’esprit d’un juré raisonnable, le juge du procès saisi d’une demande de verdict imposé doit ordonner un acquittement (Arcuri, par. 21).

[42]        À mon avis, le jury aurait rendu un verdict déraisonnable s’il avait déclaré M. Hay coupable sur la seule foi de la déposition de Mme Maillard, le témoin oculaire. En effet, outre la faiblesse habituellement associée à l’identification par témoin oculaire et aux séances d’identification photographique, la preuve présentée au procès a révélé plusieurs autres problèmes touchant la capacité de Mme Maillard d’identifier M. Hay au tireur. Comme je l’ai déjà indiqué, lorsqu’elle a désigné la photo de M. Hay lors de la première séance d’identification, Mme Maillard a déclaré qu’elle ne l’identifiait pas au tireur, mais plutôt à une personne ressemblant à 80 p. 100 au tireur. De plus, quelques jours après la fusillade, Mme Maillard a téléphoné à la police pour savoir si l’identification qu’elle avait faite [traduction] « correspondait assez bien à la bonne personne » : d.a., vol. II, p. 893‑894. Également, la preuve a démontré que, trois semaines après la fusillade, Mme Maillard a été incapable de désigner M. Hay comme étant le tireur à partir de la photo de celui‑ci prise lors de son arrestation le jour même du crime et que, lors de l’enquête préliminaire, elle a plusieurs fois désigné M. Eunick, et non M. Hay, comme étant le tireur à la chemise bleue/verte. Chacun de ces incidents a jeté un certain doute sur la capacité de Mme Maillard d’identifier M. Hay au deuxième tireur.


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