R. c. Lévesque, 2024 QCCA 162
[14] Au moment d’évaluer l’intérêt véritable du délinquant, un juge doit notamment se demander si le délinquant est une personne de bonne moralité (good character) qui ne mérite pas une peine dissuasive et pour qui l’enregistrement d’une condamnation ne serait pas nécessaire et entraînerait des conséquences particulièrement néfastes.
[15] La juge a erré en excluant la pertinence de la « bonne moralité » au motif qu’il s’agit d’un critère élitiste, ambigu et obsolète. Évidemment, la bonne moralité ne réfère pas à la personne « bien-pensante » ou encore, comme le souligne avec raison la juge, à ses opinions, politiques ou autres, dans la mesure où celles-ci ne transgressent pas le Code criminel. Cela serait indéniablement de nature à interpeller des préjugés. Avec égards, le bon caractère, la personnalité ou la bonne moralité d’un délinquant demeure un aspect important de l’analyse. L’avocat de Lévesque lui-même plaidait la personnalité de son client en faveur de l’absolution. Dans l’évaluation, la présence d’antécédents judiciaires est particulièrement significative, quoique non dirimante à la mesure. Toutefois, si ceux-ci sont nombreux ou récents, cela peut devenir un obstacle. L’enchaînement des condamnations reflète habituellement un besoin de dissuasion spécifique. Par conséquent, un juge doit particulièrement motiver sa décision afin d’y passer outre, ce qui exige une preuve plus solide à propos des autres dimensions de l’intérêt véritable du délinquant.
[16] À cet égard, contrairement à la conclusion de la juge, l’article 12 de Loi sur la preuve au Canada, LRC 1985, c. C-5, ne s’applique pas de la même manière au procès et lors de la détermination de la peine. Au procès, les règles régissant son application ont été élaborées par la jurisprudence afin d’en préserver le caractère équitable.
[17] Au surplus, il est établi que le juge de la peine doit disposer « des renseignements les plus complets possibles sur les antécédents de l’accusé pour déterminer la sentence en fonction de l’accusé plutôt qu’en fonction de l’infraction » : R. c. Gardiner, 1982 CanLII 30 (CSC), [1982] 2 RCS 368, p. 414; R. c. Albright, 1987 CanLII 26 (CSC), [1987] 2 RCS 383, p. 392; R. c. Jones, 1994 CanLII 85 (CSC), [1994] 2 RCS 229, p. 292; R. c. Lévesque, 2000 CSC 47 (CanLII), [2000] 2 RCS 487, par. 30; R. c. Angelillo, 2006 CSC 55 (CanLII), [2006] 2 RCS 728, par. 20; R. c. Barbeau, 1996 CanLII 6209 (C.A.Q.).
[18] En effet, il semble pertinent de connaître les faits sous-jacents à des infractions génériques d’un casier judiciaire. Pensons simplement aux circonstances de la perpétration de voies de fait passées alors que le délinquant doit recevoir une peine pour des voies de fait dans un contexte conjugal. Est-ce que le sujet est pertinent? Poser la question c’est y répondre. Ici, la juge a commis une erreur en interdisant au ministère public de questionner Lévesque sur les circonstances de la perpétration de ses nombreux antécédents, limitant ainsi la preuve sur une question fondamentale au stade de la détermination de la peine. À l’étape de la détermination de la peine, il est certain que si l’exercice est abusif ou vexatoire, un juge peut y mettre fin, mais il n’est pas nécessaire, aux fins du présent pourvoi, de définir les limites d’un tel interrogatoire.
[19] Enfin, la juge commet une erreur déterminante sur la peine en acceptant que Lévesque a démontré, de manière probante, les conséquences particulièrement néfastes d’une condamnation dans son cas. La juge conclut que l’ajout d’une condamnation peut nuire à son emploi en s’appuyant sur son témoignage. Or, Lévesque l’ignorait lui-même avant de consulter des gens qui lui auraient expliqué que l’inscription d’une condamnation à un chef d’introduction par effraction ne « passerait pas » dans l’industrie du camionnage, emploi qu’il occupe depuis cinq ans, parce qu’il s’agit d’un crime de malhonnêteté très stigmatisant. Cette proposition n’est soutenue par aucune preuve probante dans un contexte où Lévesque occupe son emploi alors qu’il a été condamné à neuf infractions découlant de sept événements distincts entre 2002 et 2015. Ses dernières condamnations lui ont valu 12 mois d’emprisonnement et une probation d’un an pour un complot et un trafic de drogues.
[20] Si la proposition voulant qu’une condamnation puisse généralement nuire à l’emploi se défend, la jurisprudence exige plus et le contexte demeure important. Une preuve devra être administrée et variera selon le contexte. Bien que le ouï-dire soit admissible, le paragraphe 723(5) C.cr. confirme ce que la Cour suprême avait décidé dans l’arrêt R. c. Gardiner, 1982 CanLII 30 (CSC), [1982] 2 R.C.S. 368, lorsqu’elle écrivait que :
Tout le monde sait que les règles strictes qui régissent le procès ne s'appliquent pas à l'audience relative à la sentence et il n'est pas souhaitable d'imposer la rigueur et le formalisme qui caractérisent normalement notre système de procédures contradictoires. La règle interdisant le ouï‑dire ne s'applique pas aux audiences relatives aux sentences. On peut recevoir des éléments de preuve par ouï‑dire s'ils sont crédibles et fiables.
R. c. Gardiner, 1982 CanLII 30 (CSC), [1982] 2 R.C.S. 368, p. 414 (soulignement ajouté) ; R. c. Lévesque, 2000 CSC 47 (CanLII), [2000] 2 RCS 487, par. 30.
[21] Avec égards, dans les circonstances, l’affirmation générale du délinquant, même sincère, qui rapporte des propos d’un tiers sur un sujet spécialisé ne peut pas avoir la portée que lui donne la juge. Il s’agit d’une erreur. Vu le fait que Lévesque occupe déjà cet emploi tout en ayant un casier judiciaire bien garni et sérieux, cela reflète, au mieux, une conséquence hypothétique sur son emploi. Bien que cette conséquence ne doive pas être certaine, il doit exister un certain fondement, qui encore une fois variera selon les circonstances : R. c. Gosselin, 2017 QCCA 244, par. 68; R. c. Denis, 2015 QCCA 300, par. 7; R. c. Naimer, 2015 QCCA 1525, par. 16; R. c. Ménard, 2013 QCCA 683, par. 8.
Aucun commentaire:
Publier un commentaire