samedi 30 novembre 2024

Un appel 911 peut constituer de la res gestae

Lebel c. R., 2018 QCCA 302

Lien vers la décision


[18]        Tout se passe en moins de dix minutes, la collision et le premier appel, puis le véhicule immobilisé plus loin et le second appel. S’ensuivra la troisième étape de l’événement, soit le travail des policiers venus sur les lieux. Si « les res gestae sont les actes et déclarations qui accompagnent la commission d’une infraction »[4], force est de constater que c’est ici le cas, les appels sont passés dans le feu de l’action.

[19]        Selon l’Appelant, les déclarations enregistrées du superviseur Dion sont inadmissibles parce que celui-ci n’est pas « dans un état de stress » lorsqu’il passe les appels. Il écrit dans son mémoire :

L’autre critère [outre celui d’une déclaration contemporaine à la présumée infraction] essentiel devant être rempli pour qu’une telle déclaration soit jugée admissible est que celle-ci ait été faite alors que le déclarant était dans un état psychologique tel qu’il n’avait aucun contrôle sur ses sens;

Le juge d’instance ayant statué selon sa propre évaluation que le témoin, Monsieur Christian Dion, n’était pas en panique, une des deux conditions essentielles pour admettre la déclaration à titre de res gestae n’est pas rencontrée;

[20]        Le Juge analyse ce moyen de l’Appelant.

[21]        Les conditions d’admissibilité d’une déclaration à titre de res gestae sont sa pertinence, sa nécessité et sa fiabilité.

[22]        La première, la pertinence, n’est pas remise en question.

[23]        La troisième, la fiabilité. On trouve ici la réponse au moyen de l’Appelant. Le Juge écrit :

[50]      D’abord, il n’est pas contesté qu’elles soient contemporaines aux événements.

[51]      Ensuite, concernant l’« état d’excitation » requis, le Tribunal ne croit pas que la personne doive absolument être en état de détresse psychologique ou de panique pour que ses déclarations soient admissibles à titre de res gestae.

[52]      Une personne impliquée « dans le feu de l’action » qui conserve malgré tout son calme, mais qui agit sous le coup de l’impulsion peut quand même faire des déclarations spontanées à des tiers sans possibilité réelle de fabrication (« concoction »).

[53]      Le véritable test réside dans la détermination des possibilités ou non de fabrication de la part du déclarant. Si les circonstances démontrent que les paroles prononcées ont un lien temporel avec les événements et qu’elles sont spontanées de sorte qu’on peut raisonnablement conclure qu’il y a absence de fabrication, en d’autres termes, que des indicateurs circonstanciels de fiabilité peuvent ressortir du contexte, il n’y a pas lieu de les déclarer inadmissibles.

[54]      Or, il ressort de la décision du juge d’instance qu’il était convaincu de l’absence de possibilité de fabrication de la preuve ou de possibilité qu’on veuille l’induire en erreur considérant le contexte global entourant les appels logés par Dion au SPS.

[Références omises]

[24]        Je partage son avis.

[25]        Le contenu des enregistrements me paraît fiable, ne serait-ce que du fait qu’il correspond en substance à la version de l’Appelant. Quant au premier appel, ce dernier admet l’accident et sa consommation antérieure d’alcool qui imprégnait son haleine. Quant au second, il reconnaît avoir déplacé son véhicule et il est question de son statut de policier dans la conversation avec le superviseur, pour sûr l’haleine d’alcool n’est pas disparue. Qu’en est-il des détails fournis par Dion lors de ces appels?

[26]        Ce qui me ramène à la seconde condition, la nécessité. Le Juge écrit :

[48]      Par ailleurs, le juge d’instance a considéré, à bon droit, qu’il était nécessaire d’admettre en preuve les appels logés au SPS en raison de « certains éléments supplémentaires à ceux qui ont été mentionnés par le témoin ». Il a aussi conclu que l’enregistrement des appels lui permettrait de préciser les heures de ces appels pour bien en apprécier le contexte. En effet, il est exact que le témoin Dion avait de la difficulté à distinguer le contenu de chacun des appels et à bien les situer dans le temps.

[27]        Le témoin Dion rapporte le contenu des deux appels et leur enregistrement le confirme. L’Appelant l’a d’ailleurs contre-interrogé.

[28]        La nécessité des enregistrements résulte des « éléments supplémentaires » qu’ils apportent en preuve. Il est impossible pour une personne qui passe deux appels à la police dans les minutes d’un accident dont elle est témoin, et d’un délit de fuite selon elle, de se souvenir du verbatim de ses propos. Seul un enregistrement permet de le connaître et d’entendre, en outre, le ton, les silences, l’acuité des réponses, etc.

[29]        Ici, ces éléments supplémentaires permettent au Juge d’instance de constater une subtile et importante distinction par rapport au prétendu esprit de vengeance du témoin Dion vis-à-vis l’Appelant policier. Il écrit :

[80]      Par ailleurs, toujours à ce sujet, en toute logique, c'est la découverte par Christian Dion du statut de policier d'Éric Lebel qui aurait déclenché l'opération de salissage.  Ainsi donc, avant de découvrir ce statut, Christian Dion n'a aucune raison de mentir pour nuire à Éric Lebel.

[81]      Or, [l’enregistrement du premier appel] la pièce P-4 indique ce qui suit : à 1 h 54:48 secondes, manifestement avant que Christian Dion connaisse le statut de policier d'Éric Lebel, il appelle les services d'urgence.  Il mentionne un accident alors qu'il y avait "plein de flashs", donc que les équipements affairés au déneigement étaient extrêmement visibles, que le conducteur impliqué n'a pas freiné du tout avant l'impact, qu'il a "débarqué de son véhicule", qu'il "n'a pas l'air en état", qu'il a "l'air poqué un peu" et qu'au moment de cet appel, il est stationné derrière le véhicule à l'intersection Letendre-Galt.  Si Éric Lebel dit la vérité dans son témoignage, dès ce premier appel Christian Dion ment sur le fait que:

a)         Il est descendu de son véhicule à l'endroit de l'impact;

b)         Il présentait des signes d'ébriété;

c)         Il s'est stationné à l'entrée de la rue Letendre.

Puis, quant au second appel, le Juge d’instance ajoute :

[83]      À en croire Éric Lebel, l'attitude de Christian Dion à son endroit change à l'intersection Letendre-Nantes, quand il apprend qu'il est policier. Pourtant, l'écoute attentive du deuxième appel par Christian Dion au même service, à 2 h 00:37 secondes, n'indique, à tout le moins au son de sa voix ou de son ton, aucun changement d'attitude.

[84]      Au cours de ce deuxième appel, Christian Dion réitère essentiellement ce qu'il a dit à la première occasion.  Il rajoute que: "là le monsieur est vraiment en état d'ébriété".  Fait intéressant, Christian Dion ne dit pas que la personne au volant du véhicule est un policier.  Il dit: "il dit qu'il est dans la police".

[85]      Christian Dion mentionne également qu'il ne se trouve plus à la même intersection, mais à une autre (Letendre-Nantes).  Il rajoute, "il voulait partir, mais je l'ai suivi avec les flashs pour dire d'arrêter".

[30]        L’objectif du procès est la recherche de la vérité. Les enregistrements permettent d’atteindre cet objectif à un niveau supérieur aux dépositions de témoins honnêtes et fiables, mais dont la mémoire demeure humaine et limitée. Pour moi, ce serait un non-sens de refuser en preuve la teneur exacte des propos d’un témoin qui reconnaît les avoir tenus et en rapporte la substance et qui se révèle fiable et se rend disponible pour être contre-interrogé.

[31]        C’est ainsi que je comprends l’exception de l’ « analyse raisonnée » [R. c. Khan1990 CanLII 77 (CSC), [1990] 2 R.C.S. 531] qui permet la preuve par ouï-dire si elle satisfait aux critères de nécessité et de fiabilité. Parmi les éléments qui augmentent de beaucoup la fiabilité accordée à une déclaration, on compte son enregistrement[5] et la disponibilité du déclarant pour un contre-interrogatoire[6].

[32]        La jurisprudence reconnaît une large discrétion aux juges d’instance sur l’admissibilité de la preuve par ouï-dire[7]. Et c’est ainsi que le Juge conclut :

[55]      Ainsi, ce n’est pas l’admissibilité en preuve des appels logés au SPS qui pouvait poser problème, mais plutôt leur force probante. Or, dans l’arrêt Ibanescu [2013 CSC 31 (CanLII), [2013] 2 R.C.S. 400; 2013 CSC 31], la Cour suprême rappelle que la force probante de la preuve doit être laissée à l’appréciation du juge des faits.

[56]      Il n’y a pas, dans la présente affaire, matière à intervention sur ce point.

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