Céré c. Directeur des poursuites criminelles et pénales, 2024 QCCA 344
[65] Dans l’arrêt Sault Ste-Marie, le juge Dickson décrit le fardeau qui incombe au poursuivant d’établir la commission de l’actus reus hors de tout raisonnable, les raisons qui justifient l’imposition d’un fardeau au défendeur et les caractéristiques de la diligence raisonnable :
A mon avis, l’approche correcte serait de relever le ministère public de la charge de prouver la mens rea, compte tenu de l’arrêt Pierce Fisheries et de l’impossibilité virtuelle dans la plupart des cas d’infractions réglementaires de prouver l’intention coupable. Normalement, seul l’accusé sait ce qu’il a fait pour empêcher l’infraction et l’on peut à bon droit s’attendre à ce qu’il rapporte la preuve de la diligence raisonnable. Ceci est particulièrement vrai quand on allègue, par exemple, que la pollution a été causée par les activités d’une compagnie importante et complexe. De même, il n’y a aucun mal à rejeter la responsabilité absolue et à admettre la défense de diligence raisonnable.
Selon cette thèse, il n’incombe pas à la poursuite de prouver la négligence. Par contre, il est loisible au défendeur de prouver qu’il a pris toutes les précautions nécessaires. Cela incombe au défendeur, car généralement lui seul aura les moyens de preuve. Ceci ne semble pas injuste, vu que l’alternative est la responsabilité absolue qui refuse à l’accusé toute défense. Alors que la poursuite doit prouver au-delà de tout doute raisonnable que le défendeur a commis l’acte prohibé, le défendeur doit seulement établir, selon la prépondérance des probabilités, la défense de diligence raisonnable[22].
[Les soulignements et les caractères gras sont ajoutés]
[66] Le juge Dickson décrit le pourtour de la défense de diligence raisonnable de la manière qui suit :
Les infractions dans lesquelles il n’est pas nécessaire que la poursuite prouve l’existence de la mens rea; l’accomplissement de l’acte comporte une présomption d’infraction, laissant à l’accusé la possibilité d’écarter sa responsabilité en prouvant qu’il a pris toutes les précautions nécessaires. Ceci comporte l’examen de ce qu’une personne raisonnable aurait fait dans les circonstances. La défense sera recevable si l’accusé croyait pour des motifs raisonnables à un état de faits inexistant qui, s’il avait existé, aurait rendu l’acte ou l’omission innocent, ou si l’accusé a pris toutes les précautions raisonnables pour éviter l’événement en question[23].
[Le soulignement est ajouté]
[67] Depuis l’arrêt Sault Ste-Marie, il est donc acquis que le poursuivant doit établir la preuve de l’actus reus d’une infraction réglementaire hors de tout doute raisonnable[24] et que, par conséquent, il doit réfuter hors de tout doute raisonnable tout moyen de défense qui conteste l’existence de l’actus reus.
[68] À l’égard de ce dernier élément, soit l’obligation du poursuivant de réfuter hors de tout doute raisonnable tout moyen de défense concernant l’actus reus d’une infraction réglementaire, je suis pleinement conscient que la dernière phrase du paragraphe 8 de l’arrêt récent Directeur des poursuites criminelles et pénales c. Dafinei[25] peut être source de confusion.
[69] La structure de la phrase telle que rédigée peut donner l’impression erronée que, dans ce résumé[26], la Cour adopte un nouveau principe de droit qui exige que tous les moyens de défense concernant l’actus reus d’une infraction réglementaire soient établis par le défendeur selon la prépondérance de preuve. Or, une telle proposition s’avère évidemment contraire aux principes établis. Puisqu’il est acquis que le poursuivant doit établir l’actus reus d’une infraction réglementaire hors de tout doute raisonnable, notamment son caractère volontaire[27], il doit aussi réfuter hors de tout doute raisonnable tout moyen de défense qui soulève un doute quant à l’existence de l’actus reus d’une telle infraction[28].
[70] Il existe deux moyens de défense pouvant être invoqués à l’égard des infractions de responsabilité stricte : 1) l’erreur de fait qui consiste à se demander si le défendeur croyait pour des motifs raisonnables à un état de faits inexistant qui, s’il avait existé, aurait rendu l’acte ou l’omission innocent; 2) la diligence raisonnable qui requiert de se demander si le défendeur a pris toutes les précautions raisonnables pour éviter l’événement en question. Ces deux moyens n’ont jamais été remis en question[29].
[71] Au cœur de la défense de diligence raisonnable et du fardeau qui incombe au défendeur de l’établir réside la reconnaissance qu’il est le seul qui « sait ce qu’il a fait pour empêcher l’infraction et [que] l’on peut à bon droit s’attendre à ce qu’il rapporte la preuve de la diligence raisonnable »[30]. Comme l’écrit la Cour dans l’arrêt Commission de la santé et de la sécurité du travail c. Coffrages CCC ltée, le défendeur « est le mieux placé pour faire cette preuve et exposer sa prétention dans toutes ses nuances »[31].
[72] L’assujettissement d’une personne qui pratique une activité réglementée à ces obligations se justifie en raison de son acceptation des conditions afférentes à cette activité. Il est en effet raisonnable de « présumer que les personnes assujetties à la réglementation, lorsqu’elles se lancent dans un secteur assujetti à l’obtention de permis, connaissent et ont accepté les modalités pertinentes du domaine d’activité réglementé, et qu’elles doivent donc être tenues responsables de toute violation de ces modalités »[32].
[73] Dans l’arrêt Wholesale Travel Group[33], cité subséquemment par le juge La Forest dans l’arrêt Fitzpatrick de la Cour suprême[34], le juge Cory formule deux observations décisives au sujet du concept de l’acceptation des conditions, soit le choix du défendeur de se livrer à une activité réglementée et le contrôle dont il dispose pour éviter la commission d’une infraction réglementaire :
Le concept de l’acceptation des conditions repose sur la théorie que ceux qui choisissent de se livrer à des activités réglementées ont, en agissant ainsi, établi un rapport de responsabilité à l’égard du public en général et doivent assumer les conséquences de cette responsabilité. C’est pourquoi on devrait considérer, dit-on, que ceux qui se livrent à une activité réglementée ont accepté, dans le cadre de la conduite responsable qu’ils doivent assumer en raison de leur participation au domaine réglementé, certaines conditions applicables aux personnes qui agissent dans la sphère réglementée. La plus importante de ces conditions est l’engagement de la personne assujettie à la réglementation de faire preuve dans sa conduite d’un minimum de diligence.
La théorie de l’acceptation des conditions repose non seulement sur l’idée que la personne a choisi consciemment d’exercer une activité réglementée, mais aussi sur le concept du contrôle. Selon ce concept, les personnes qui se lancent dans un domaine réglementé sont les mieux placées pour contrôler le préjudice qui peut en découler et elles devraient donc en être tenues responsables.
[…]
La personne assujettie à une réglementation est autorisée à exercer une activité qui peut éventuellement causer un préjudice au public. Cette autorisation lui est accordée à condition qu’elle accepte, pour exercer ses activités dans le domaine réglementé, de faire preuve de diligence raisonnable afin d’éviter que le préjudice proscrit ne se produise. En conséquence de sa décision d’exercer une activité dans un domaine qu’elle sait être réglementé, la personne est censée savoir et avoir accepté que l’une des conditions préalables à l’autorisation d’exercer l’activité réglementée est le respect d’une certaine norme objective de conduite[35].
[Les soulignements sont ajoutés]
[74] En demandant et en obtenant la délivrance d’un permis de chasse, l’appelant devait « souscrire aux modalités qui s’y rattachent »[36] avec comme obligation corollaire de prendre toutes les précautions raisonnables pour éviter la commission de l’infraction, y compris, celle de s’assurer, qu’à cette fin, il connaisse tous les faits pertinents.
[75] L’omission de l’appelant de se conformer à cette obligation influencera d’une manière décisive l’évaluation de l’erreur de fait qu’il allègue avoir commise. Cette omission aura également une incidence sur la question de savoir s’il a fait preuve de diligence raisonnable, un aspect que j’examinerai en raison des points de convergence entre l’erreur de fait et la diligence raisonnable. Je reviendrai sur cet aspect plus loin.
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