Rechercher sur ce blogue

lundi 17 mars 2025

La confiscation de biens liés à des activités illégales : généralités

Ayotte c. R., 2025 QCCS 546

Lien vers la décision


[27]        Avec égards pour la juge d’instance, je suis d’avis que la norme permettant de confisquer un bien exige davantage qu’un lien avec une activité dite « suffisamment antisociale ».  S’il est vrai qu’il n’est pas nécessaire de prouver que le bien découle, est associé, ou est destiné à être utilisé dans le cadre d’un « crime précis », le libellé du paragraphe 490(9) du Code criminel et la jurisprudence en la matière exigent davantage qu’un lien avec une activité « suffisamment antisociale ».  La norme appliquée en l’espèce est donc erronée en droit.

a)   La confiscation : généralités

[28]        La confiscation de biens liés à des activités illégales fait partie intégrante du paysage législatif canadien depuis très longtemps.  Bien que ce type de mesure ait initialement été adopté dans le cadre de lois relatives à certaines activités illégales bien définies, comme les premières versions[5] de la Loi sur les stupéfiants[6], des mesures plus générales ont depuis été adoptées pour permettre la confiscation de certains biens lorsque certaines conditions et circonstances sont réunies.

[29]        En 1989, le législateur fédéral a adopté des mesures prévoyant la confiscation des produits de la criminalité[7].  En 1997, il a adopté des mesures visant à confisquer des biens infractionnels[8].  Au cours des deux dernières décennies, plusieurs législatures provinciales ont adopté des mesures permettant la confiscation civile du produit d’activités illégales[9].  Toutes ces mesures, qui s’appliquent dans des situations variées, comportent des conditions d’application qui leur sont propres.

[30]        Parallèlement à ces différentes mesures, la confiscation d’un bien peut également être ordonnée en vertu du paragraphe 490(9) du Code criminel.  La jurisprudence qui s’est développée dans le contexte de telles demandes fait parfois référence à l’expression « teintés par la criminalité » pour désigner les biens qui doivent être confisqués en vertu de cette disposition législative.  C’est cette voie procédurale qui a été utilisée par le ministère public dans la présente affaire.

b)   La confiscation en vertu du paragraphe 490(9) du Code criminel

[31]        L’analyse débute par le paragraphe 490(9) du Code criminel, qui stipule que :

490(9) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi ou de toute autre loi fédérale :

a) le juge visé au paragraphe (7), lorsqu’un juge a ordonné la détention d’une chose saisie en application du paragraphe (3);

b) le juge de paix, dans tout autre cas,

qui est convaincu que les périodes de détention prévues aux paragraphes (1) à (3) ou ordonnées en application de ceux-ci sont terminées et que des procédures à l’occasion desquelles la chose détenue peut être requise n’ont pas été engagées ou, si ces périodes ne sont pas terminées, que la détention de la chose saisie ne sera pas requise pour quelque fin mentionnée au paragraphe (1) ou (4), doit :

c) en cas de légalité de la possession de cette chose par la personne entre les mains de qui elle a été saisie, ordonner qu’elle soit retournée à cette personne;

d) en cas d’illégalité de la possession de cette chose par la personne entre les mains de qui elle a été saisie, ordonner qu’elle soit retournée au propriétaire légitime ou à la personne ayant droit à la possession de cette chose, lorsqu’ils sont connus;

en cas d’illégalité de la possession de cette chose par la personne entre les mains de qui elle a été saisie, ou si nul n’en avait la possession au moment de la saisie, et lorsque ne sont pas connus le propriétaire légitime ni la personne ayant droit à la possession de cette chose, le juge peut en outre ordonner qu’elle soit confisquée au profit de Sa Majesté; il en est alors disposé selon les instructions du procureur général ou autrement en conformité avec le droit applicable. (Nos soulignés)

[32]        En vertu de cette disposition, un juge doit ordonner qu’une chose saisie soit restituée à la personne de qui elle a été saisie si la possession est légale.  Toutefois, « en cas d’illégalité de la possession de cette chose », ou si le « propriétaire légitime » est inconnu, le juge peut la confisquer au profit de l’État.

[34]        L’arrêt R. v. Mac de la Cour d’appel de l’Ontario constitue l’une des premières affaires où un tribunal d’appel devait se pencher sur le fardeau applicable.  La Cour devait déterminer le niveau de preuve requis et sur qui reposait la charge de la preuve.  À la page 125, la Cour mentionne ce qui suit à ce sujet :

As a matter of policy, an applicant for restoration of moneys seized from his possession should stand in the same position in proceedings under ss.490(1) or (9) as would be the case if he applied under the relevant section of the NCA.  The onus on him should be the same in either case. Accordingly, in my opinion, to establish that he is a person who is lawfully entitled to possession the applicant need only prove that he was in possession at the time the money was seized. Upon such proof, the applicant's right to possession is presumed.  The applicant need not disprove taint or criminality by proof of source or otherwise.  Rather the onus is on the Crown to prove these things.  In the case at bar the Crown simply had no such evidence, the presumption stands and was not rebutted.[11] (Nos soulignés)

[35]        Quelques années plus tard, dans R. v. West, la Cour d’appel de l’Ontario examine de nouveau l’étendue du pouvoir de confiscation découlant du paragraphe 490(9) du Code criminel dans le contexte de l’analyse des règles de preuve applicables à ce type de procédure.  Au paragraphe 19, la Cour mentionne :

[19] The Crown concedes that the appellants' possession of the money is presumed to be lawful. The Crown also concedes that it bears the onus of proof of unlawfulness and that the standard of proof it must meet in proving that the appellants' possession is unlawful is the criminal standard of proof beyond a reasonable doubt: see R. v. Mac1995 CanLII 2071 (ON CA), at paras. 15-17. (Nos soulignés)

[36]        Dans Guimont c. R., au paragraphe 20, la Cour d’appel du Québec mentionne pour sa part ce qui suit à ce sujet :

[20] Selon l’article 490 du Code criminel, la personne qui souhaite conserver la possession de biens saisis qui ne sont plus nécessaires aux fins d’enquête, doit établir qu’elle est soit le propriétaire légitime ou encore qu’elle a droit à la possession des biens. Si la personne parvient à établir qu’elle était en possession de la chose au moment de la saisie, la légitimité de cette possession est présuméeLe fardeau de preuve revient alors au ministère public de démontrer hors de tout doute raisonnable le caractère illégitime ou illégal de la possession.[12] (Nos soulignés)

[37]        Dans R. c. Desjardins, au paragraphe 28, la Cour d’appel du Québec détermine qu’il y a « illégalité de la possession » au sens du paragraphe 490(9) du Code criminel lorsque le bien constitue un produit de la criminalité :

[28] Pour ce qui est de la présomption d'innocence qui empêcherait la confiscation avant la condamnation, rappelons une fois encore que les admissions de l'appelante déposées devant la Cour du Québec n'ont pas été remises en cause.  L'appelante a admis que les 530 130 $ sont des produits de la criminalité et qu'ils lui appartiennent.  Elle consent à la confiscation de l'argent par Sa Majesté.  Dans les circonstances, il va de soi qu'il n'existe pas de propriétaire légitime de cet argent.  À la lecture des admissions de l'appelante, cautionnées par son avocat, « l'illégalité de la possession » par l'appelante au sens de l'article 490(9) C.cr. est établie.  Les admissions faites par l'appelante offrent, dès la comparution, une preuve convaincante que les choses confisquées sont « tainted by criminality ».[13] (Nos soulignés) (Références omises)

[38]        De la même manière, dans R. c. Goikhberg, la juge Lori Renée Weitzman, alors à la Cour du Québec, conclut qu’il y a « illégalité de la possession » au sens du paragraphe 490(9) du Code criminel lorsque le bien constitue un bien infractionnel :

[11] Finally, according to section 490 (9) (d), if possession by the person from whom the item was seized is unlawful, or if it was seized when it was not in the possession of any person, and the lawful owner or person lawfully entitled to its possession is not known, the judge may order the item to be forfeited to his Majesty, to be disposed of as the Attorney General directs.

[12] As Kasirer, J.C.A. (as he then was) explained in Desjardins c. R., section 490 of the Criminal code provides a regime for the management of seized and detained things. It provides that things seized shall be returned to their lawful owner unless they are required for the purposes of an investigation, preliminary inquiry, trial or other proceeding (490 (1) Cr. C.) and it sets out the period during which things seized may be held (490 (2) and (3) Cr. C.). It provides for the return of things to their lawful possessor or, under certain conditions, for forfeiture to His Majesty where there is no lawful owner (490 (9) Cr. C.).

[13] One situation where there is no lawful owner - thus requiring forfeiture - is where the thing seized is “offense–related property”, which is defined in section 2 of the Criminal Code:

“offense-related property” includes any property that is used in any manner in connection with the commission of an offense under the Criminal Code, or that is intended for such use.[14] (Nos soulignés) (Références omises)

[39]        S’il est vrai qu’une confiscation au titre du paragraphe 490(9) peut découler d’un éventail de situations, il faut conclure que le libellé de cette disposition, son objet et l’interprétation jurisprudentielle qui en a été faite ne permettent pas la confiscation de biens du seul fait qu’ils sont liés à une activité « suffisamment antisociale ».

[40]        Notons d’abord que le législateur a utilisé un langage clair pour définir l’étendue du pouvoir de confiscation découlant du par. 490(9).  Pour qu’un bien puisse être ainsi confisqué, il est nécessaire de démontrer « l’illégalité de sa possession » ou que son « propriétaire légitime est inconnu ».  La version anglaise stipule qu’il est nécessaire de démontrer que la « possession is unlawful » ou que « the lawful owner or person who is lawfully entitled to its possession is unknown ».

[41]        S’il avait voulu permettre la confiscation d’un bien lié à une activité antisociale, le législateur aurait utilisé un langage en ce sens.  À défaut de ce faire, il faut interpréter les termes qu’il a utilisés selon leur sens ordinaire.  À mon avis, l’interprétation préconisée par la juge d’instance et le ministère public a pour effet de vider de leur sens les termes « illégalité » et « unlawful » figurant au par. 490(9).  Or, un tel effet doit être évité lors de l’interprétation d’une loi[15].

[42]        D’un point de vue terminologique, les termes « illégal » et « antisocial » ne peuvent être considérés comme étant synonymes.  Le premier implique une contravention à une norme juridique objective, tandis que le second implique un jugement de valeurs sociales et morales subjectif.  À mon avis, le fait de se satisfaire de la preuve d’un lien avec un comportement « suffisamment antisocial » abaisse indûment le degré de preuve requis et crée une norme imprécise pouvant potentiellement mener à la confiscation de biens pour simple cause de non‑conformisme.  Or, une telle interprétation est incompatible avec le langage utilisé par le législateur et l’intention qui sous-tend ses choix terminologiques.

[43]        L’on ne saurait par ailleurs retenir la proposition de la juge d’instance et de l’intimé selon laquelle l’arrêt Fleming[16] de la Cour suprême du Canada appuie la conclusion voulant que les biens liés à une activité « suffisamment antisociale » peuvent être confisqués en vertu du par. 490(9).  Bien que la juge Wilson utilise le terme « antisocial » à la p. 447 de ses motifs, il est très clair que ce n’est pas dans le contexte de la détermination du seuil applicable aux fins d’une confiscation en vertu du par. 490(9) :

La seconde question a trait au cas où la poursuite met en preuve une déclaration antérieure de culpabilité d'une infraction non reliée à des stupéfiants et le lien des choses saisies avec la perpétration de cette infraction. La règle d'interprétation expressio unius est exclusio alterius indique que le par. 10(8) exclut l'application de la règle ex turpi dans ce cas. Cependant, une telle interprétation multiplierait les procédures et discréditerait aussi le système de justice aux yeux du public. En conséquence, je ne crois pas que la règle expressio unius doive empêcher de considérer le droit à la possession visé à l'al. 10(6)a) comme un "droit légitime à la possession" dans ce contexte très restreint. La question plus fondamentale demeure cependant de savoir si la règle ex turpi a été correctement appliquée, savoir si les faits relatifs à l'existence d'un lien entre la chose et la perpétration d'une infraction, que ce soit une infraction définie au Code ou une infraction relative à des stupéfiants, ont été adéquatement prouvés. En résumé, l'interprétation fondée sur l'ordre public ne doit être considérée comme inadéquate que dans les cas où ce fondement est absent dans les faits nécessaires à son application. En outre, lorsque la règle fondée sur l'ordre public s'applique légitimement, le statut d'un requérant, en tant que représentant innocent d'un propriétaire condamné mais décédé, ne lui accorderait pas de droit à la restitution. En général, je suis d'accord avec la qualification suivante de la règle ex turpi donnée par lord Diplock dans l'arrêt Hardy v. Motor Insurers’ Bureau[1964] 2 All E.R. 742, aux pp. 750 et 751, et avec sa présomption que le successeur prend la place du requérant original:

[TRADUCTION] Tout ce que la règle signifie, c'est que les tribunaux ne donneront pas effet à un droit qui serait autrement exécutoire s'il découle d'un acte commis par la personne qui le revendique (ou par quelqu'un considéré en droit comme son successeur) qui est considéré par le tribunal comme suffisamment antisocial pour justifier le refus du tribunal de lui donner effet.

Il n'est pas nécessaire de décider en l'espèce si des considérations équivalentes s'appliquent lorsque, comme dans cette affairelà, le bénéfice en question est réclamé en vertu d'une police d'assurance.  (Nos soulignés)

[44]        Il faut souligner que le contexte factuel de cet arrêt se distingue de celui qui nous occupe puisqu’il porte sur l’interprétation et l’application d’une disposition de la Loi sur les stupéfiants aux successeurs d’une personne arrêtée pour des crimes de stupéfiants qui avait initié, avant son décès, une demande de restitution d’une somme d’argent saisie par la police.  Il s’agissait de savoir si la succession avait droit, selon les termes et le libellé de l’article 10 de la Loi sur les stupéfiants de l’époque, à la restitution de l’argent saisi par la police.

[45]        À mon avis, les propos de la juge Wilson ne peuvent en aucun cas être compris comme appuyant la conclusion selon laquelle les biens liés à une activité « suffisamment antisociale » peuvent être confisqués en vertu du par. 490(9).  Aucun tribunal d’appel n’a interprété ainsi cet arrêt et, à mon humble avis, il serait erroné de le faire.

[46]        Cela dit, il est intéressant de noter, comme l’a souligné la juge d’instance, que le législateur a choisi de ne pas criminaliser la possession de signes liés à une organisation criminelle et de ne pas prévoir leur confiscation obligatoire.  Il convient également de noter que, contrairement à la croyance populaire, l’appartenance à une organisation criminelle ne constitue pas en soi une infraction ou une illégalité en vertu du droit canadien[17].

[47]        Malgré toutes ces observations, il est entendu qu’en l’état actuel du droit, les objets à l’effigie d’une organisation criminelle peuvent être confisqués si les conditions d’application de l’un ou l’autre des mécanismes de confiscation sont réunies.  La jurisprudence contient des exemples de situations où des objets à l’effigie des Hells Angels ont été confisqués en vertu du par. 490(9) du Code criminel, et ce, à juste titre[18]

[48]        En vertu de cette disposition, il incombe au ministère public de prouver hors de tout doute raisonnable l’illégalité de la possession ou que son propriétaire légitime est inconnu.  La délivrance ou non d’une ordonnance de confiscation dépendra toujours des preuves produites lors de l’audience sur la confiscation au regard du bien spécifiquement en litige et du fardeau applicable. 

c)   Le seuil applicable au titre du par 490(9) : résumé

[49]        En résumé, lorsqu’une personne parvient à établir qu’elle était en possession d’un bien au moment de sa saisie, la légitimité de cette possession est présumée.  Il revient alors au ministère public de démontrer hors de tout doute raisonnable que ce bien ne doit pas lui être rendu.  Pour ce faire, le ministère public peut faire la preuve de l’illégalité de la possession de ce bien ou démontrer que son propriétaire légitime est inconnu.

[50]        Au terme du par. 490(9), l’illégalité de la possession d’un bien découlera généralement, sur le plan pratique, de l’une ou l’autre des situations suivantes :

  Sa possession est en soi illégale;

  Il constitue un produit de la criminalité[19];

  Il constitue un bien infractionnel[20]; ou

  Il est autrement lié à la commission d’une infraction au point d’être teinté par la criminalité. 

[51]        Si la plupart des cas de confiscation seront couverts par les trois premières situations, il n’est pas exclu qu’un bien autrement lié à la commission d’une infraction puisse être confisqué parce qu’il est « teinté par la criminalité ».  Cette conclusion est étayée par l’analyse de la jurisprudence présentée ci-dessus.

[52]        En revanche, il est clair qu’une preuve d’un lien entre un bien saisi et une activité « suffisamment antisociale » est insuffisante pour que ce bien soit confisqué en vertu du par. 490(9), même si cette preuve est faite hors de tout doute raisonnable.  Ceci ressort également de l’analyse présentée ci-dessus.

Aucun commentaire:

Publier un commentaire

Le dédommagement à la victime doit toujours être envisagé lors de la détermination de la peine

La légitime défense

Robitaille Drouin c. R., 2022 QCCA 233  Lien vers la décision [ 16 ]        En application de cette nouvelle disposition unifiée, simplifiée...