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lundi 17 mars 2025

Les conséquences indirectes doivent être prises en compte lors de la détermination de la peine

Morin c. R., 2025 QCCA 252

Lien vers la décision


[54]      Il appert du jugement sur la peine que le juge ne traite pas des conséquences des longs délais judiciaires dans son analyse, comme le reconnaît d’ailleurs l’intimé. Au paragraphe 55, il explique que les conséquences indirectes que sont la médiatisation des événements et la perte d’emploi probable étaient inévitables et ne peuvent donc être retenues comme des facteurs atténuants. Il ne mentionne rien sur les longs délais judiciaires et il est impossible de conclure qu’il les a considérés.

[55]      Comme mentionné précédemment, à la quatrième étape de l’analyse pour l’octroi d’une peine d’emprisonnement avec sursis, le juge doit appliquer les principes de détermination de la peine, ce qui inclut de tenir compte tant des facteurs atténuants et aggravants que des conséquences indirectes. La détermination de la peine est « une opération éminemment individualisée », comme le rappelle la Cour suprême dans l’arrêt R. c. Suter[47] (« Suter »). Ainsi, il faut tenir compte de toutes les circonstances, tant celles liées à l’infraction qu’au contrevenant, et ce, pour adapter les peines. Dans Suter, le juge Moldaver, pour la majorité, s’exprime ainsi :

[46]      Comme je l’ai fait remarquer, la détermination de la peine est une opération éminemment individualisée (voir Lacasse, par. 54R. c. Proulx2000 CSC 5, [2000] 1 R.C.S. 61, par. 82Nasogaluak, par. 43). Dans l’arrêt R. c. Ipeelee2012 CSC 13, [2012] 1 R.C.S. 433, notre Cour a déclaré que le juge de la peine doit disposer « d’une latitude suffisante pour [...] adapter [les peines] aux circonstances de l’infraction et à la situation du contrevenant en cause » (par. 38). Adapter les peines aux circonstances de l’infraction et à la situation du contrevenant peut exiger du juge de la peine qu’il procède à un examen des conséquences indirectes. Pareil examen permet au juge d’établir une peine proportionnée en tenant compte de toutes les circonstances pertinentes liées à l’infraction et au contrevenant dans une affaire donnée.[48]

[Soulignement ajouté]

[56]      Dans Suter, la Cour suprême examine quelle pertinence peuvent avoir les conséquences indirectes pour adapter la peine aux circonstances de l’infraction et à la situation du délinquant. Le juge Moldaver, explique que la pertinence découle en partie du principe de l’individualisation des peines et de la parité :

[48]      […] Leur pertinence découle, en partie, de l’application des principes d’individualisation et de parité en matière de détermination de la peine (ibid.; al. 718.2b) du Code criminel). La question n’est pas de savoir si les conséquences indirectes diminuent la culpabilité morale du délinquant ou la gravité de l’infraction, mais si, du fait de telles conséquences, une peine donnée aurait une incidence plus importante sur le délinquant en raison de sa situation. Les délinquants semblables devraient recevoir un traitement semblable et il est possible qu’en raison de conséquences indirectes, un délinquant ne soit plus « semblable » aux autres et qu’une peine donnée devienne non indiquée.[49]

[57]      En l’espèce, l’appelante a témoigné sur les conséquences indirectes découlant de sa condamnation. En outre, tant le rapport de sa psychologue que le rapport présentenciel en font mention. Son avocat, lors des observations sur la peine, a invoqué les longs délais judiciaires en plaidoirie. Le juge devait donc en analyser la pertinence, comme il l’a fait pour la médiatisation et la perte d’emploi. Comme déjà mentionné, il ressort de son jugement qu’il n’a pas procédé à cet exercice.

[58]      Les conséquences indirectes n’ont toutefois pas toutes le même impact et il faut donc déterminer si le défaut de tenir compte des longs délais judiciaires a eu une influence sur la peine imposée par le juge.

[59]      Dans R. c. Amato, la Cour conclut qu’un long délai judiciaire, qui n’est pas pour autant inconstitutionnel au regard de l’alinéa 11b) de la Charte, peut, en de rares occasions, être pris en considération à titre de facteur extrinsèque pertinent dans la détermination de la peine[50]. Il en va de « la détermination ultime d’une peine juste, appropriée et indiquée »[51]. La durée des procédures doit toutefois avoir causé un préjudice ou avoir eu un effet pertinent sur le délinquant[52]. Comme le mentionne la Cour, « une réduction de peine en raison de facteur extrinsèque doit être limitée aux cas les plus rares »[53].

[60]      En l’espèce, les longs délais judiciaires ne peuvent être imputés à l’appelante. Ils résultent principalement du fait qu’après un premier procès, à l’issue duquel elle a été acquittée, la Cour d’appel a annulé le verdict et ordonné un nouveau procès. À la suite du rejet de la demande de permission d’appeler à la Cour suprême, le nouveau procès a eu lieu et le verdict de culpabilité a été prononcé le 19 décembre 2022, soit six ans et demi après son inculpation, le 12 avril 2016.

[61]      L’appelante plaide le préjudice psychologique subi, lequel va au‑delà du simple stress inhérent au processus judiciaire. En effet, elle a souffert d’une dépression majeure et elle souffre d’insomnie chronique depuis les événements. Elle doit toujours prendre une médication pour stabiliser son état et rencontre sa psychologue chaque semaine. L’appelante vit un stress continu, car elle est dans l’attente et l’incertitude depuis plusieurs années. Elle a peu de contrôle sur ce qui se passe et il est difficile pour elle de se projeter dans l’avenir[54].

[62]      Il ressort du dossier que dès la survenance des événements, le 10 septembre 2015, l’appelante a subi des conséquences psychologiques importantes et a fait une dépression majeure. Depuis ce temps, elle est suivie par des psychologues et n’a pu reprendre un travail. Selon la preuve, la longue durée des procédures judiciaires a maintenu un niveau de stress élevé et de l’anxiété chez l’appelante. Or, le juge ne traite pas de ces conséquences indirectes pour l’appelante.

[63]      En outre, le juge aurait dû considérer l’impact de ce long processus judiciaire dans l’atteinte des objectifs pénologiques énoncés à l’article 718 C.cr. Comme mentionné au rapport présentenciel du 23 juin 2023, « l’ensemble des procédures judiciaires ont un impact significatif sur la principale concernée et bien qu’elle n’ait pas admis sa culpabilité devant la Cour, elle reconnait à ce jour qu’elle a commis des erreurs lors de sa prise de décision le soir du 10 septembre 2015 ».

[64]      Je suis d’accord que les conséquences indirectes résultant des longs délais judiciaires, et dont un juge doit tenir compte pour respecter le principe de la proportionnalité (leur pertinence découlant des principes d’individualisation et d’harmonisation), doivent être limitées au cas les plus rares. En l’espèce, toutefois, le juge aurait dû analyser tant l’impact des délais sur la santé psychologique de l’appelante que celui du long processus judiciaire qui a contribué à l’atteinte d’objectifs de la peine[55], puisque cela avait également un impact sur la peine imposée.

[65]      À mon avis, puisque les erreurs commises par le juge ont eu une incidence sur la détermination de la peine. Il y a donc lieu de déterminer la peine appropriée.

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