R. c. Sadikov, 2014 ONCA 72
L’obligation de tenir un voir-dire
[30] Un voir-dire a pour but de déterminer l’admissibilité des éléments de preuve qu’une partie se propose de faire admettre dans le cadre d’une instance criminelle (R. v. Parsons (1977), 1977 CanLII 55 (ONCA), 17 O.R. (2d) 465 (C.A.), p. 469, conf. par 1980 CanLII 31 (CSC), [1980] 1 R.C.S. 785). Lors du voir‑dire, il appartient au juge du procès de déterminer si les conditions requises pour que les éléments de preuve proposés soient admis ont été respectées. Le voir-dire est une instance distincte du procès proprement dit et les éléments de preuve qui y sont recueillis ne font pas partie de la preuve au procès, à moins que les parties ne consentent expressément à leur incorporation (R. c. Erven, 1978 CanLII 19 (CSC), [1979] 1 R.C.S. 926, p. 932; R. c. Darrach, 2000 CSC 46, [2000] 2 R.C.S. 443, par. 66; R. v. Dela Cruz, 2007 MBCA 55, 220 C.C.C. (3d) 272, par. 24; et R. c. Gauthier, 1975 CanLII 193 (CSC), [1977] 1 R.C.S. 441, p. 454).
[31] Chaque question d’admissibilité justifie la tenue d’une enquête ou d’un voir-dire distinct[3]. Il semble logique de déduire de la nature même d’un voir-dire, en tant qu’instance distincte, que les éléments de preuve qui y sont recueillis ne deviennent pas en soi des éléments de preuve lors d’un autre voir-dire tenu pour trancher une question d’admissibilité différente.
La procédure à suivre lors d’un voir-dire
[32] La façon de mener un voir-dire est laissée à l’appréciation du juge qui préside et n’est assujettie à aucune règle stricte ou préconçue. Les facteurs pertinents comprennent, notamment, la nature de la question à l’étude et de l’affaire proprement dite, ainsi que les moyens de preuve disponibles (R. v. Kematch, 2010 MBCA 18, 252 C.C.C. (3d) 349, par. 43). Voir également la règle 34.01 des Règles de procédure en matière criminelle de la Cour supérieure de justice (Ontario) [les Règles de procédure en matière criminelle].
[33] Dans bien des cas, les éléments que l’on souhaite faire admettre en preuve peuvent faire intervenir plus d’une règle en matière d’admissibilité. Dans les poursuites pour homicide illégal, par exemple, les déclarations que la personne décédée aurait faites à d’autres pour leur faire part de ses craintes de l’accusé et pour leur relater des incidents de violence réelle, ou des menaces de violence, peuvent faire intervenir à la fois la règle du ouï-dire et celle de la mauvaise moralité. L’interrogatoire mené par la police auprès de l’accusé peut être contesté en invoquant comme motifs le caractère volontaire et la constitutionnalité. Il est courant de procéder à un seul voir-dire pour déterminer l’admissibilité dans les cas du genre, et cela constitue une utilisation prudente des ressources judiciaires. Cela dit, les juges qui président doivent veiller scrupuleusement à ce que leurs décisions respectent les différentes charges et normes de preuve et démontrent une compréhension éclairée des règles d’admissibilité applicables (R. v. Voss (1989), 1989 CanLII 7167 (ONCA), 50 C.C.C. (3d) 58 (C.A. Ont.), pp. 79-80).
Le voir-dire relatif à la perquisition avec mandat
[34] Il arrive souvent que l’admissibilité soit contestée lorsque les avocats du ministère public cherchent à produire une preuve matérielle d’objets trouvés et saisis lors de la fouille d’une personne ou d’une chose ou de la perquisition d’un lieu. Les preuves matérielles, comme les objets trouvés et saisis lors d’une perquisition, qui répondent à la norme de pertinence et d’appréciation de l’importance relative, sont à première vue admissibles, et ce, que l’enquête menée pour obtenir ces preuves soit légale ou non.
[35] La contestation de l’admissibilité des preuves matérielles saisies lors d’une perquisition doit faire l’objet d’une analyse en deux étapes. La première porte sur la question de la constitutionnalité, étant donné que dans une instance pénale, il importe de déterminer si les actes posés par l’État en vue d’obtenir les éléments de preuve que le ministère public se propose de produire dans le cadre de l’instance étaient conformes à la Constitution. La deuxième étape, qui n’est entreprise que si une violation de la Constitution a été démontrée, consiste à analyser l’admissibilité des éléments de preuve obtenus par la perpétration de cette violation. Au cours de ces deux étapes de l’analyse, le fardeau de la preuve revient à la personne qui soutient que les actes posés étaient inconstitutionnels et qui cherche à faire exclure les éléments de preuve que ceux-ci ont permis d’obtenir. La norme de preuve requise est celle de la prépondérance des probabilités.
[36] Un accusé traduit devant la Cour supérieure de justice, qui cherche à faire exclure des éléments de preuve qui auraient été obtenus dans des conditions portant atteinte aux droits garantis par la Constitution, est tenu de se conformer à la règle 31 des Règles de procédure en matière criminelle. Cette règle favorise l’utilisation constructive des ressources judiciaires et permet d’éviter les surprises en exigeant, notamment, le dépôt d’une demande écrite contenant une déclaration précise – pertinente au regard de la cause – du fondement et des motifs justifiant l’exclusion de ces éléments, un sommaire détaillé des éléments de preuve ou d’autres documents sur lesquels la partie se fonde et une déclaration de la manière dont le requérant se propose d’introduire la preuve. La contestation de la constitutionnalité des perquisitions avec mandat peut porter sur la validité intrinsèque du mandat d’autorisation, sur sa validité quant au fond, ou sur les deux. En principe, rien n’exige la tenue d’un voir-dire distinct pour chaque mode de contestation, bien que plusieurs préfèrent une audience séparée pour chacun.
[37] La contestation de la validité intrinsèque oblige le juge qui siège en révision à examiner la dénonciation et à déterminer si, à la lumière des renseignements qui y sont divulgués, le juge de paix pouvait délivrer le mandat (R. c. Araujo, 2000 CSC 65, [2000] 2 R.C.S. 992, par. 19). Le dossier étudié lors de l’examen de la validité intrinsèque est toujours le même, soit la dénonciation proprement dite, et non un dossier auquel des éléments ont été ajoutés (R. v. Wilson, 2011 BCCA 252, 272 C.C.C. (3d) 269, par. 39).
[38] Les contestations au fond vont au‑delà de la forme de la dénonciation et visent la fiabilité de son contenu (Araujo, par. 50; Wilson, par. 40). Elles reposent sur un dossier plus étoffé, sans pour autant élargir la portée de l’examen et permettre au juge siégeant en révision de substituer son opinion à celle de l’officier de justice qui a accordé l’autorisation (Araujo, par. 51; R. c. Garofoli, 1990 CanLII 52 (CSC), [1990] 2 R.C.S. 1421, p. 1452). La tâche du juge qui siège en révision lors d’une contestation au fond consiste à déterminer si, compte tenu du dossier dont disposait le juge ayant accordé l’autorisation et qui a été complété lors de la révision, il était justifié pour ce dernier de délivrer le mandat (Araujo, par. 51; Garofoli, p. 1452). L’analyse est de nature contextuelle (Araujo, par. 54). Le juge siégeant en révision doit déterminer, à l’issue d’un examen minutieux, s’il existait des renseignements fiables suffisants dans le dossier étoffé, c’est‑à‑dire des renseignements auxquels on pouvait raisonnablement ajouter foi pour délivrer le mandat (Araujo, par. 52).
[39] Une façon de contester la fiabilité du contenu de la dénonciation consiste à contre-interroger son auteur, à savoir le déposant. L’accusé ne dispose pas du droit absolu de contre-interroger le déposant. Il doit pour ce faire obtenir une autorisation. Et ce n’est pas parce qu’il en fait la demande que cette autorisation lui est accordée (Garofoli, p. 1465; et R. c. Pires; R. c. Lising, 2005 CSC 66, [2005] 3 R.C.S. 343, par. 3 et 31). Pour obtenir l’autorisation de contre-interroger le déposant, l’accusé doit démontrer que le contre-interrogatoire projeté apportera un témoignage tendant à réfuter la présence d’une des conditions préalables à la délivrance du mandat, dont par exemple l’existence de motifs raisonnables et probables (Garofoli, p. 1465; Pires; Lising, par. 40).
[40] Le contre‑interrogatoire projeté peut porter sur la crédibilité ou la fiabilité du déposant. Toutefois, un contre‑interrogatoire qui ne fait que démontrer la fausseté de certains des renseignements sur lesquels se fonde le déposant est peu susceptible d’être utile à moins qu’il ne permette également d’étayer l’inférence que le déposant savait ou aurait dû savoir que ces renseignements étaient faux (Pires; Lising, par. 41).
[41] Le refus d’accorder l’autorisation de contre-interroger le déposant écarte toute preuve qui aurait pu être obtenue lors du contre-interrogatoire et sur laquelle le requérant aurait pu s’appuyer pour contester la fiabilité du contenu de la dénonciation lors d’un examen sur le fond. Toutefois, le requérant demeure libre de présenter d’autres preuves matérielles et pertinentes, admissibles lors de l’examen de la validité quant au fond, pour tenter de démontrer qu’il n’existe pas de renseignements fiables suffisants dans le dossier étoffé pour justifier la délivrance du mandat (Pires; Lising, par. 32).
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