Morin c. R., 2025 QCCA 252
[42] Un des aspects importants à considérer pour déterminer la peine appropriée est le risque de récidive. L’absence de remords, l’absence de conscientisation ou encore la négation de la culpabilité peuvent donc être des facteurs pertinents à cet égard en ce qui concerne les objectifs de dissuasion spécifique et de réadaptation. Toutefois, le droit à une défense pleine et entière fait en sorte que la prudence s’impose lorsqu’un accusé nie sa culpabilité et porte le verdict en appel.
[43] Dans l’arrêt R.L. c. R., la Cour, sous la plume de la juge Côté, explique bien qu’un accusé ne peut se voir imposer une peine plus sévère en raison du fait qu’il a exercé son droit d’avoir un procès. Il a le droit de maintenir son innocence et de se pourvoir en appel. Toutefois, la situation est différente s’il continue de minimiser sa participation aux gestes commis lors de la préparation du rapport présentenciel :
[38] Quant au reproche relatif à l'absence de remords, il est vrai qu'un accusé ne saurait se voir imposer une peine plus sévère parce qu'il a exercé son droit d'avoir un procès […] L'on ne saurait non plus lui reprocher de maintenir son innocence ou de se pourvoir en appel.
[39] Toutefois, la juge du procès retient que l'appelant, selon le rapport présentenciel, minimise sa participation aux gestes commis et tente de reporter le blâme sur le plaignant. Dans ce contexte, elle conclut que le risque de récidive est faible, mais qu'il demeure présent. L'on ne saurait qualifier cette conclusion de reproche pour avoir tenu un procès. Il s'agit plutôt d'évaluer un facteur pertinent pour la détermination d'une peine, soit les risques de récidive chez le délinquant.[43]
[Soulignements ajoutés; renvois omis]
[44] En l’espèce, les motifs qui amènent le juge à conclure que l’emprisonnement avec sursis ne constitue pas la peine appropriée se trouvent aux paragraphes 73 à 78 de la décision :
[73] En l’espèce, Isabelle Morin témoigne qu’elle ne désire pas causer d’accident et encore moins causer la mort de quelqu’un lorsqu’elle entreprend sa manœuvre. Tous en conviennent.
[74] Par ailleurs, le Tribunal note que l’accusée était visiblement contrariée par l’idée de devoir effectuer un détour, et ce, depuis la sortie d’autoroute précédente, elle aussi inaccessible en raison de la déviation de la circulation. Isabelle Morin ne répond à aucun appel d’urgence. Elle ne participe à aucune opération policière ou opération de filature comme c’est le cas dans certaines décisions précitées. Elle n’est pas davantage confrontée à la présence d’animaux sur la chaussée, comme relaté dans d’autres décisions.
[75] Dans les faits, l’accusée ne cherche qu’à regagner le poste de police auquel elle est rattachée, alors qu’elle se trouve pourtant qu’à quelques kilomètres et que son quart de travail se termine dans plus d’une heure. L’accusée tente d’expliquer l’importance de se trouver sur le territoire desservi par le poste de la Haute‑Saint‑Charles. Or, son collègue et elle reviennent tout juste d’un aller-retour à Beauport pour y reconduire un adolescent dans un centre jeunesse. Il s’agit là d’une situation non urgente en dehors du territoire desservi.
[76] Dans les faits, Isabelle Morin s’est servie de son statut de policière et du véhicule de patrouille qu’elle conduisait pour pallier une impatience et une contrariété purement personnelles. Une situation futile; un geste inutile; un résultat funeste.
[77] Lors de son témoignage au procès, Isabelle Morin mentionne, de façon étonnante, qu’elle aurait effectué la même manœuvre au volant de sa voiture personnelle puisque, dit‑elle, la situation était sécuritaire. D’ailleurs, elle mentionne que, comme policière, elle n’aurait pas procédé à l’interception d’un automobiliste qui aurait, le cas échéant, effectué la même manœuvre au motif que celle‑ci était non seulement sécuritaire, mais aussi tout à fait légale, écartant du coup certaines dispositions du Code de la sécurité routière.
[78] Compte tenu de ce qui précède et des conséquences dramatiques, le Tribunal en vient à la conclusion que la peine doit inclure un effet dissuasif important et que l’objectif de dénonciation doit lui aussi être priorisé.
[45] Il ressort de ces passages que le juge priorise l’effet dissuasif de la peine et l’objectif de dénonciation. Pour ce faire, il s’appuie en partie sur le témoignage de l’appelante au procès. Cela appert du paragraphe 77. Le juge ne tient pas compte de la preuve administrée sur sentence concernant l’introspection de l’appelante. Or, cette preuve apporte des nuances. Comme mentionné précédemment, dans le rapport présentenciel, l’agente de probation rapporte que l’appelante reconnaît qu’elle a commis des erreurs lors de sa prise de décision le 10 septembre 2015. Elle a « cheminé dans sa perception de la situation ». Elle exprime des remords. Le juge ne pouvait pas, dans ce cas, utiliser une phrase prononcée au procès pour conclure en fait au manque d’introspection de l’appelante, ce qui l’a amené à imposer une peine d’incarcération en s’appuyant sur l’effet dissuasif de celle‑ci. En effet, bien qu’il n’emploie pas spécifiquement le mot « introspection », force est de constater que ce qu’il reproche à l’appelante est bel et bien son manque d’introspection.
[46] En outre, le manque d’introspection ne devient un facteur pertinent que s’il permet de conclure à un risque substantiel de récidive, comme le souligne le juge Cournoyer pour la Cour dans Bachou c. R. :
[84] Comme l’explique la Cour d’appel dans l’arrêt Shah, le manque d’introspection d’un délinquant peut devenir un facteur pertinent s’il démontre un risque substantiel de récidive :
[8] Lack of remorse is not ordinarily a relevant aggravating factor on sentencing: R. v. Valentini, 1999 CanLII 1885 (ON CA), [1999] O.J. No. 251 (C.A.), at para. 82. It cannot be used to punish the accused for failing to plead guilty or for having mounted a defence: Valentini, at para. 83; R. v. J.F., 2011 ONCA 220, at para. 84, 105 O.R. (3d) 161; aff'd on other grounds in 2013 SCC 12, [2013] 1 S.C.R. 565. Absence of remorse is a relevant factor in sentencing, however, with respect to the issues of rehabilitation and specific deterrence, in that an accused’s absence of remorse may indicate a lack of insight into and a failure to accept responsibility for the crimes committed, and demonstrate a substantial likelihood of future dangerousness: Valentini, at para. 82; R. v. B.P. (2004), 2004 CanLII 33468 (ON CA), 190 O.A.C. 354 (C.A.), at para. 2.
[85] La dénégation de l’appelant quant à sa culpabilité ne permet pas d’inférer un risque de récidive ou une réelle dangerosité potentielle future; le juge devait se demander si la sécurité de la collectivité était « tellement en danger » qu’une peine non privative de liberté ne pouvait pas être considérée.[44]
[Soulignement omis; certains renvois omis]
[47] De plus, la conclusion du juge sur la nécessité pour la peine d’inclure un effet dissuasif, au paragraphe 78 de son jugement, s’appuie sur les paragraphes 74 à 77 qui le précèdent. Or, ces derniers font référence à l’objectif de dissuasion spécifique. Comme le mentionne le juge en chef Wagner, dans R. c. Bissonnette[45], « la dissuasion spécifique, vise à décourager le contrevenant lui‑même de récidiver ». En l’espèce, le juge a conclu à un risque de récidive qui est nul, ce qui fait en sorte que ce facteur ne peut être une considération pour refuser d’imposer une peine avec sursis.
[48] Par ailleurs, le juge s’appuie sur les « conséquences dramatiques » de l’infraction afin de justifier l’accent mis sur la dissuasion et la dénonciation pour ordonner une peine d’incarcération. Comme le plaide l’appelante, le législateur a choisi de permettre à nouveau l’emprisonnement avec sursis pour l’infraction de conduite dangereuse ayant causé la mort. Le juge ne pouvait pas écarter la possibilité d’imposer une peine d’emprisonnement dans la collectivité pour ce motif. Dans l’arrêt Rondeau c. R., le juge Vauclair rappelle que la peine d’emprisonnement avec sursis fait partie de la mosaïque des peines appropriées pour l’infraction de conduite dangereuse ayant causé la mort. Un tribunal ne peut exclure un choix que le législateur n’a pas exclu[46].
Aucun commentaire:
Publier un commentaire