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dimanche 1 juin 2025

Le pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites

R c. Emery Martin, 2021 NBBR 67

Lien vers la décision


125.      Tel que déjà mentionné, ce principe est invoqué par la poursuite pour motiver son refus de produire et de divulguer certains documents en possession de Me Norris.  Je note que le privilège relatif au secret professionnel de l’avocat est également invoqué à cet égard.

126.      Parce que la défense argumente que dans les faits, elle a démontré selon le seuil requis, une conduite blâmable de la poursuite qui permettrait à ce tribunal de faire un contrôle judiciaire de l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire et ainsi ordonner la divulgation des renseignements demandés, il est nécessaire de traiter de ce pouvoir discrétionnaire et les circonstances selon lesquelles un contrôle judiciaire de ce pouvoir peut être exercé.

127.      La nature et l’étendue du pouvoir discrétionnaire en matière de poursuite a été traité par la Cour suprême dans l’affaire R c. Anderson 2014 CSC 41 (CanLII)[2014] 2 SCR 167 (« Anderson »), une matière dans laquelle était soulevée la question à savoir si les procureurs du ministère public étaient tenus de prendre en considération le statut d’Autochtone d’un accusé lorsqu’ils décident s’il y a lieu de demander une peine minimale obligatoire pour conduite avec facultés affaiblies. Le juge Moldaver, qui a rendu le jugement de la Cour, concluait qu’aucun principe de justice fondamentale n’appuyait l’existence d’une telle obligation constitutionnelle et, qu’en l’absence d’une telle obligation, la décision du poursuivant était une question de pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites et que les tribunaux ne pouvaient contrôler cette décision que s’il y avait eu abus de procédure.

128.      Aux paragraphes 35 et 36, le juge Moldaver énonce que le contrôle judiciaire des décisions du ministère public peut se faire suivant deux voies distinctes et que l’analyse différera selon qu’il s’agit de contrôler (i) l’exercice du pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites; ou (ii) la stratégie ou la conduite devant le tribunal.  Il conclut que quoique toutes les décisions du ministère public sont susceptibles de révision s’il y a eu abus de procédure, l’exercice du pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites ne peut être révisé qu’en cas d’abus de procédure seulement.

129.      Dans Anderson, la Cour suprême a cru bon de clarifier « une certaine confusion » découlant de la décision de la Cour dans Krieger c. Law Society of Alberta, 2002 CSC 65 quant au sens à donner à l’expression « pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites ». Ainsi, aux paragraphes 44 et 45, le juge Moldaver énonçait:

« 44      En vue de clarifier la règle, je crois que nous devons d'abord reconnaître que l'expression « pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites » est une expression large qui renvoie à toutes « les décisions concernant la nature et l'étendue des poursuites ainsi que la participation du procureur général à celles-ci » (Krieger, par. 47). Comme notre Cour l'a fait remarquer à maintes reprises, « [l]e pouvoir discrétionnaire [en matière de poursuites] renvoie à la discrétion exercée par le procureur général dans les affaires qui relèvent de sa compétence relativement à la poursuite d'infractions criminelles » […]. Bien qu'il soit sans doute impossible de dresser une liste exhaustive des décisions qui relèvent de la nature et l'étendue des poursuites, nous pouvons ajouter, outre ceux donnés dans Krieger, les exemples suivants: la décision de répudier une entente sur le plaidoyer […]); la décision d'introduire une demande de déclaration de délinquant dangereux; la décision de procéder par voie de mise en accusation directe; la décision de porter des accusations alléguant la perpétration de plusieurs infractions; la décision de négocier sur un plaidoyer; la décision de procéder par voie sommaire ou par voie de mise en accusation; la décision d'interjeter appel. Toutes ces décisions ont trait à la nature et à l'étendue des poursuites. Comme on peut le voir, plusieurs découlent de dispositions du Code lui-même, y compris la décision en l'espèce de produire l'avis.

 

45         En résumé, l'expression « pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites » renvoie à un vaste éventail de décisions que peut prendre un poursuivant. Cela dit, il faut prendre soin de faire la distinction entre les questions qui relèvent de ce pouvoir et les obligations constitutionnelles. La distinction entre le pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites et les obligations constitutionnelles du ministère public a été faite dans Krieger, où était en cause l'obligation du poursuivant de communiquer la preuve pertinente à l'accusé:

 

Dans l'arrêt Stinchcombe, précité, notre Cour a conclu que le ministère public est tenu de communiquer à la défense tous les renseignements pertinents. Par conséquent, bien que le procureur du ministère public conserve le pouvoir discrétionnaire de ne pas communiquer des renseignements non pertinents, la communication d'éléments de preuve pertinents est affaire non pas de pouvoir discrétionnaire mais plutôt d'obligation de sa part. [Je souligne; par. 54.]

 

Manifestement, le ministère public n'a pas le pouvoir discrétionnaire de porter atteinte aux droits que la Charte garantit à un accusé. Autrement dit, le pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites ne protège aucunement le procureur du ministère public qui ne s'est pas acquitté de ses obligations constitutionnelles, par exemple celle de communiquer adéquatement la preuve à la défense. »

130.      En ce qui a trait à la norme de contrôle du pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites, le juge Moldaver écrivait aux paragraphes 49 et 50 du jugement :

« 49       Dans la jurisprudence portant sur le contrôle du pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites, le type de comportement de la poursuite qui constitue un abus de procédure a été décrit de diverses façons. Dans Krieger, notre Cour a employé l'expression « conduite répréhensible flagrante » (par. 49). Dans Nixon, la Cour a estimé que la règle de l'abus de procédure s'applique en présence d'éléments de preuve démontrant que la décision du ministère public « mine l'intégrité du processus judiciaire » ou « rend le procès inéquitable » (par. 64). La Cour a également fait état, dans son analyse, de « motif illégitime » et de « mauvaise foi » (par. 68).

 

50         Indépendamment des termes employés, l'abus de procédure s'entend essentiellement d'une conduite du ministère public qui est inacceptable et qui compromet sérieusement l'équité du procès ou l'intégrité du système de justice. Les décisions du ministère public motivées par des préjugés à l'égard des Autochtones répondraient certainement à ce critère. »

 

(les soulignés sont de moi)

131.      Dans Anderson, la Cour suprême a également traité du fardeau initial de preuve et établi qu’il incombe au demandeur de prouver par prépondérance des probabilités qu’il y a eu abus de procédure. La Cour reconnaissait néanmoins qu’en raison de la nature unique de ce pouvoir discrétionnaire, notamment le fait que seul le ministère public sera habituellement (voire toujours) la seule partie à savoir pourquoi une décision donnée a été prise, la Cour avait reconnu dans l’affaire R c. Nixon 2011 CSC 34 que lorsque le pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites est contesté, le ministère public peut être tenu de justifier sa décision lorsque le demandeur établit l’existence d’une preuve suffisante (voir le paragraphe 52).  

132.      Au paragraphe 54, le juge Moldaver notait que l’affaire Nixon portait sur la répudiation d’une entente sur le plaidoyer, ce que la Cour avait affirmé était un « évènement rare et exceptionnel » qui répondait au critère préliminaire de preuve et justifiait un examen du bien-fondé de la décision du ministère public.  Il notait de plus que dans Nixon, il ressortait de la preuve que seulement deux autres ententes sur le plaidoyer avaient déjà été répudiées en Alberta, d’où la raison pourquoi la couronne devait expliquer au tribunal pourquoi et comment elle était parvenue à la décision de ne pas respecter l’entente qu’elle avait pourtant conclue.

133.      Enfin, au paragraphe 55, le juge Moldaver notait que le fait d’obliger le demandeur à établir l’existence d’une preuve suffisante avant que la cour entreprenne l’examen des motifs qui sous-tendent l’exercice du pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites respecte la présomption selon laquelle ce pouvoir a été exercé de bonne foi et l’approche confirmé par la Cour suprême dans Sriskandarajah c. États-Unis d'Amérique2012 CSC 70[2012] 3 R.C.S. 609 à l’effet que en l’absence de preuve de sa mauvaise foi ou du caractère inapproprié de ce qui l’a animé, le poursuivant n’est pas tenu de motiver sa décision.

134.      En ce qui a trait au contrôle de l’exercice du pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites en l’espèce, la défense argumente qu’elle a franchi le seuil nécessaire et qu’un tel contrôle par le tribunal s’impose dans les circonstances.  La poursuite argumente que la défense n’a fait valoir aucune exception pour faire lever les privilèges invoqués et que ses allégations que la poursuite s’est engagée dans des activités criminelles sont sans mérite et ne se rapprochent pas du seuil nécessaire pour que le tribunal s’engage dans un contrôle de l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites.

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