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dimanche 1 juin 2025

La question de la divulgation des avantages accordés à un témoin collaborateur de justice

Duguay c. R., 2006 QCCS 7713 

Lien vers la décision


[33]            L’obligation de consigner les avantages accordés par l’État à un témoin-collaborateur provient d’une directive administrative adoptée le 9 octobre 1991 suite au rapport Guérin. Il s’agit de la directive TEM-3, déposée comme pièce VD10-2. La directive énonce qu’elle « […] vise essentiellement à maintenir une indépendance constante entre le poursuivant et le témoin repenti. » Le Comité de contrôle représente l’État et « […] négocie et conclut une entente écrite avec le témoin repenti dans laquelle sont précisées les obligations des signataires de l’entente. »  (Notre soulignement)

[34]            Le juge Tessier décrit ainsi la portée juridique de cette directive :

« Parce que non constitutive d’une norme juridique de portée externe et donc dénuée de force juridique obligatoire, la directive n’est pas sujette à la sanction judiciaire.  Sa violation n’entraîne qu’une sanction administrative de portée interne, qui ne relève pas en principe du tribunal.  L’organisme administratif est maître de la directive, qui ne lie ni l’administration, ni l’administré, à la différence d’un règlement.  La transgression d’une directive n’influe aucunement sur cette troisième conclusion, qui serait identique même en l’absence de toute directive.  La transgression d’une directive se distingue de la violation d’un droit constitutionnel. »[7]  

[35]            Le requérant fait reproche au ministère public, aux paragraphes 20, 47, 70 et 71 de la requête, que des bénéfices accordés à Beaudry n’ont pas été consignés au contrat intervenu le 10 avril 2003.

[36]            Il y a donc une inférence que l’on cache délibérément des faits hautement pertinents à une défense pleine et entière.

[37]            Le Tribunal précise qu’une saine administration de la justice exige de consigner par écrit une description exhaustive des avantages accordés par l’État au témoin-collaborateur. Cependant, l’obligation de divulgation du ministère public va bien au-delà du contenu d’un tel contrat. Le contrat ne définit pas l’étendue de l’obligation de divulgation. Elle consacre un seuil minimum en matière de divulgation.

[38]            L’État a l’obligation constitutionnelle de divulguer tout élément de preuve susceptible d’assurer une défense pleine et entière à l’accusé.

[39]            Tout avantage accordé par l’État à un témoin-collaborateur doit donc être divulgué.

L’étendue des avantages accordés

[40]            Dans le dossier Marcel Talon, ma collègue la juge Bourque, rappelle les raisons qui sous-tendent la nécessité d’un contrat écrit entre le témoin-collaborateur et l’État :

« On cherche ainsi à limiter les abus auxquels on avait assisté dans le passé dans le traitement de ces témoins, et à assurer la transparence et la crédibilité du système. »[8]

[41]            La mise en application de la directive TEM-3 est une reconnaissance des risques et dangers inhérents au recours à ce genre de témoin. Les intervenants judiciaires doivent toujours être sur leur garde contre de faux témoignages, et leur conséquence possible, soit une condamnation erronée. Elle décrit le recours aux témoins-collaborateurs comme un « mal nécessaire » dans la lutte contre une certaine criminalité.[9]

[42]            Le recours aux témoins-collaborateurs exige donc une transparence complète des négociations entre l’État et le témoin. Une défense pleine et entière et un procès équitable dépendent directement d’une divulgation sans faille, particulièrement lorsqu’il s’agit de témoins-collaborateurs. La défense doit posséder toutes les informations pertinentes avant d’entamer le contre-interrogatoire d’un témoin-collaborateur.  La capacité d’exposer les carences de ce type de témoignage, prévient les erreurs judiciaires et conserve la confiance du public dans l’administration de la justice.

[43]            L’État peut librement accorder des avantages aux témoins-collaborateurs afin d’assurer leur témoignage. Citons les propos de la juge Bourque à ce sujet :

«  Il est reconnu que le Procureur général peut valablement s’entendre avec des témoins-collaborateurs afin de s’assurer de leur participation dans la lutte contre le crime, surtout contre le crime organisé, [voir note 10 ci-dessous] Note 10 : Voir R. c. Kisner1977 CanLII 38 (CSC), [1978] 2 R.C.S. 487, p.493, R. c. Palmer, 1979 CanLII 8 (CSC), [1980] 1 R.C.S. 759, Maurice Boucher c. R.[2006] J.Q. no 4479, 500-10-002357-026, CAQ, 11 mai 2006. Ce faisant, il agit pour le bien commun, [voir note 11 ci-dessous] Note 11 : Voir Canada (Procureur général) c. Tremblay1999 CanLII 13204 (QC CA), [1999] R.J.Q. 1601, CAQ. et sa démarche est tout à fait légale. Dans le cadre de ces ententes, l’État est libre de prendre les engagements qui lui paraissent nécessaires dans les circonstances de chaque affaire, que ce soit pour assurer la protection du témoin-collaborateur, ou encore pour lui accorder l’immunité pour certains crimes. »[10]

(Notre soulignement)

[44]            La portée et le caractère raisonnable des engagements de l‘État envers un témoin-collaborateur sont matières à contre-interrogatoire. C’est au juge des faits d’évaluer la force probante d’un tel témoignage.

[45]            Le contexte de la présente requête ne donne pas ouverture à une révision judiciaire des actions de l‘État relativement à la libération de ce témoin. Le Tribunal refuse donc d’évaluer la légalité des moyens utilisés par les autorités pour remettre Beaudry en liberté dès avril 2004.

[46]            Récemment, mon collègue, le juge Fraser Martin, concluait que des témoins-collaborateurs, dont Beaudry, ont bénéficié d’élargissements illégaux en vertu du programme PEMO. Il dit :

« The course of action adopted by de Respondents with regard to the treatment of the other ''témoins repentis'' was equally illegal. Through the abuse of the Programme d’encadrement en milieu ouvert (PEMO), virtually all the of the ''témoins repentis'' befefited from ''accelerated release''. »[11].

[47]            Au paragraphe 30, il ajoute:

« The evidence leads me to conclude that the controlling factor was purely and simply that release would occur after approximately one sixth of the sentences through the illegal use of the PEMO program. This in turn would bridge the gap until the cases of the various ''témoins repentis'' could become eligible for consideration by the Commission des libérations conditionnelles du Québec. »[12]

[48]            Par contre, le juge Martin précise la mise en garde suivante au sujet de la portée de son enquête :

« I underlined to counsel that I did not propose to transform the hearing into an impromptu and unsolicited Royal Commission looking into the manner in which the cases of other ''témoins repentis'' have been managed. »[13]

[49]            À la lumière des commentaires obiter dictum du juge Martin dans le dossier Jean-Claude Bergeron, le Tribunal estime que ces « illégalités », si tel est le cas, sont uniquement pertinentes quant à la crédibilité de Beaudry et l’évaluation de la valeur probante de son témoignage. Dans la mesure où toutes les circonstances entourant la mise en liberté de Beaudry sont divulguées à la défense, l’État n’a pas violé les droits constitutionnels du requérant.

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