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vendredi 4 juillet 2025

Ce que constitue un abus de confiance et les conséquences sur la victimes doivent être prouvées pour être valablement considérées par le juge d'instance

Casavant c. R., 2025 QCCA 20 


[72]      Si le ministère public a raison de plaider que la jurisprudence semble reconnaître une interprétation théorique de l’abus de confiance qui est large, il omet, tout comme le juge, de bien l’évaluer concrètement dans la preuve. L’appelant a raison de dire que l’évaluation que fait le juge de l’abus de confiance est erronée et a eu une incidence sur la peine, d’autant qu’il relie l'abus de confiance aux conséquences importantes des gestes posés, retenant le tout comme un facteur extrêmement aggravant.

[73]       Puisque le choix d’imposer l’emprisonnement avec sursis se fonde en grande partie sur la présence ou l’absence de facteurs aggravants, leur incidence sur la peine ne fait aucun doute.

[74]      À mon avis, l’abus de confiance est un facteur beaucoup moins important que ce qu’en retient le juge. Il le qualifie de « facteur extrêmement aggravant » et il le relie à des séquelles psychologiques importantes, malgré, écrit-il, l’absence de preuve sur cette question. À cet égard, le juge tire une conclusion qui est déraisonnable en plus d’être erronée en droit.

[75]      Le juge oublie de calibrer adéquatement l’abus de confiance. Notre Cour a dit que si « la relation de confiance n’a pas à être forte pour être prise en compte […], le degré de cette relation pourra toutefois affecter le poids à lui donner dans la pondération globale des facteurs pertinents » : R. c. Lemieux2023 QCCA 480, par. 5455citant R. c. Pierre2023 QCCA 84, par. 35.

[76]      Dans l’arrêt Tremblay, la Cour réitérait ces principes en soulignant que l’importance du facteur varie selon que « la relation de confiance ou de dépendance, par sa nature, impose une forte obligation de protection et de soin (par exemple, une relation impliquant un parent, un enseignant ou un entraîneur) » : R. c. Tremblay2024 QCCA 543, par. 30-31. En reprenant les par. 126 à 130 de l’arrêt R. c. Friesen2020 CSC 9 (CanLII), [2020] 1 R.C.S. 424, la Cour y rappelle que « [l]e spectre des relations de confiance est utile pour déterminer le degré de préjudice » et explique comment les relations étroites impliquant un degré de confiance élevé causent davantage de préjudice.

[77]      Dans l’affaire Tremblay, la Cour conclut que « la relation en l’espèce se situe dans la partie inférieure du spectre des situations de confiance et l’appelant ne convainc pas que l’erreur du juge a eu une incidence sur la détermination de la peine » : R. c. Tremblay, précité, par. 32. Selon la Cour, le très faible niveau d’abus de confiance dans cette affaire ne pouvait pas avoir influé sur la peine que le ministère public cherchait à réformer pour une peine d’incarcération. Aussi, la Cour était d’avis que l’omission de traiter de ce facteur n’avait pas eu d’incidence sur la peine d’emprisonnement avec sursis de 23 mois suivie d’une probation de trois ans qui avait été infligée par le juge sur un chef d’agression sexuelle.

[78]      Je doute qu’il y ait, en l’espèce, un abus de confiance au sens du Code criminel. À mon sens, ce facteur aggravant ne vise pas tous les crimes commis à l’égard de personnes qui se connaissent ou qui font connaissance lors d’une seule occasion. Une telle interprétation entraînerait la conclusion que seuls les crimes commis entre de parfaits étrangers n’impliquent aucun abus de confiance.

[79]      Toutefois, tout en acceptant que le juge pouvait conclure qu’une certaine confiance implicite était démontrée puisque la plaignante avait accepté de dormir chez l’appelant à la suite d’une fête arrosée, et plus particulièrement de s’installer dans son lit alors qu’il devait dormir sur le divan du salon, je ne peux me convaincre qu’il s’agit d’un « facteur extrêmement aggravant ». Je conviens donc avec l’appelant que le juge a erré en s’appuyant de façon aussi importante sur l’abus de confiance alors qu’il n’avait pas en réalité d’effet, similairement à l’arrêt Tremblay, précité. Or, contrairement à cette affaire, le juge en l’espèce a attribué un effet aggravant important à ce facteur et cela a eu une incidence sur la peine.

[80]      Se pose ensuite la seconde difficulté des conséquences pour la plaignante, en lien avec cet abus de confiance « extrêmement aggravant » et aussi celles découlant du crime, retenues par le juge.

[81]      Le juge écrit :

[40] Je n’ai pas reçu de preuve concernant les séquelles pour la victime. Mais tout comme je le mentionnais lors de l’étude sur la gravité du crime, les séquelles existent. De plus, la vulnérabilité et l’abus de confiance sont à souligner.

[82]      Il me semble non seulement que ce constat heurte le paragraphe 724(3) du Code criminel, mais que cela participe de la même erreur que celle relevée dans l’arrêt R. c. McDonnell1997 CanLII 389 (CSC), [1997] 1 R.C.S. 948. Dans cette affaire, le juge Sopinka écrit :

35 La façon dont la Cour d’appel a considéré le préjudice en l’espèce pose un autre problème en ce sens qu’elle a parfois semblé établir l’existence d’une présomption de préjudice psychologique à partir d’une agression sexuelle. Certes, la cour a, à d’autres occasions, analysé le risque de préjudice psychologique découlant d’une infraction comme montrant la gravité de l’infraction plutôt que l’existence du préjudice réel luimême. Pour illustrer cette ambiguïté, examinons le passage suivant (à la p. 173) :

[TRADUCTION] Nous voulons d’abord souligner que nous ne pouvons pas envisager une situation où des rapports sexuels non consensuels — vaginaux, anaux ou oraux — ne tomberaient pas dans la catégorie des agressions sexuelles graves. […] De plus, dans chaque cas, il existe également un risque très réel de préjudice psychologique. Par conséquent, ce qu’il faut comprendre, c’est qu’il n’est pas nécessaire que le ministère public prouve l’existence de ce genre de préjudice pour que la cour puisse qualifier de grave une agression sexuelle. L’existence d’un préjudice psychologique est présumée en l’absence de preuve contraire. [Je souligne.]

La cour ajoute, à la p. 174 :

[TRADUCTION] Autrement dit, le contrevenant se voit infliger une peine fondée sur l’existence d’une agression sexuelle grave, non pas parce que des conséquences psychologiques particulières ont résulté de l’attaque, mais plutôt à cause de sa nature et du fait qu’elle engendre un risque très réel de préjudice émotionnel ou psychologique à long terme. Le fait qu’aucun préjudice de ce genre ne puisse se concrétiser, fait qu’on ne pourrait peut‑être pas connaître tant que la vie de la victime ne se sera pas déroulée au complet, n’est pas un facteur atténuant. Cependant, ceci dit, cela ne signifie pas que les conséquences d’une agression sexuelle ne sont pas pertinentes. La gravité des actes accomplis peut être évaluée en fonction des conséquences probables à long terme de l’acte prohibé. Autrement dit, lorsque le préjudice psychologique est grave, cela peut bien constituer un facteur aggravant. Naturellement, lorsqu’on évoque un préjudice dépassant ce qui serait normalement présumé dans une affaire donnée, le ministère public doit présenter des éléments de preuve à l’appui. [Souligné dans le jugement.]

36 Ces passages ne sont pas très clairs. À un moment donné, la cour semble présumer qu’un préjudice psychologique résulterait d’une agression sexuelle, tandis que, à un autre moment, la cour semble non pas présumer l’existence d’un tel préjudice, mais seulement souligner, à juste titre selon moi, le risque qu’un préjudice psychologique résulte des actes de l’accusé. L’arrêt McCraw, précité, a établi qu’une menace de commettre une agression sexuelle équivalait à une menace de commettre une agression infligeant des lésions corporelles, à cause du risque élevé qu’un préjudice psychologique résulte d’une agression sexuelle, un risque dont la Cour d’appel a reconnu l’existence en l’espèce. Un tel risque n’établit pas cependant l’existence d’une présomption légale de préjudice dans des affaires où il est question d’agression réelle, plutôt que de menaces. Si le préjudice est un élément de l’infraction, le ministère public doit en prouver l’existence hors de tout doute raisonnable.

37 Dans la mesure où la Cour d’appel a conclu que le ministère public n’a pas à prouver l’existence d’un préjudice psychologique dans certains cas, mais plutôt que l’existence d’un tel préjudice peut être présumée, elle a commis une erreur. Comme nous l’avons vu, si le ministère public veut invoquer l’existence d’un préjudice psychologique, il devrait, à mon avis, porter des accusations fondées sur l’article du Code qui envisage le préjudice, soit l’al. 272c), et prouver l’existence de l’infraction. Si l’existence d’un élément de l’infraction, les lésions (psychologiques) corporelles, est présumée, le ministère public est déchargé à tort d’une partie du fardeau de la preuve, ce qui est contraire à la présomption d’innocence. Reconnaissant que le préjudice peut être un facteur aggravant en vertu de l’art. 271, notre Cour a conclu, dans l’arrêt R. c. Gardiner, 1982 CanLII 30 (CSC)[1982] 2 R.C.S. 368, que, dans une audience relative à la détermination de la peine, l’existence de chaque facteur aggravant doit être prouvée hors de tout doute raisonnable. Un tel point de vue a été confirmé par le législateur dans le nouvel al. 724(3)e) du Code criminel (modifié par L.C. 1995, ch. 22, art. 6). Si l’existence d’un préjudice psychologique peut être présumée, le ministère public se trouve dégagé à tort du fardeau de prouver l’existence d’un préjudice en tant que facteur aggravant, et l’accusé a alors le fardeau de réfuter le préjudice.

R. c. McDonnell1997 CanLII 389 (CSC), [1997] 1 R.C.S. 948, par. 35-37 (gras ajouté; souligné dans l’arrêt).

[83]      À mon avis, d’une part, les conséquences négatives présumées de l’agression sexuelle sont évoquées correctement par le juge si elles décrivent la gravité de l’infraction, mais en tenir compte au surplus dans les facteurs aggravants fait double emploi. D’autre part, s’il retient des conséquences négatives découlant de l’abus de confiance, il s’agit d’une erreur puisque rien n’indique en l’espèce qu’un abus de confiance significatif, c’est-à-dire suffisamment probant pour avoir un effet aggravant, a été démontré.

L’arrêt Friesen énonce des principes applicables tant pour les violences sexuelles à l’égard des enfants que des adultes

Casavant c. R., 2025 QCCA 20

Lien vers la décision


[58]      D’emblée, il faut rejeter la première erreur sur laquelle insiste l’appelant, qui est sans fondement. L’intimé a raison sur cette question. Il ne fait aucun doute que l’arrêt Friesen énonce des principes applicables tant pour les violences sexuelles à l’égard des enfants que des adultes : R. c. Friesen2020 CSC 9 (CanLII)[2020] 1 R.C.S. 424, par. 117; voir aussi R. c. S.J.2024 QCCA 253, par. 225.

[59]      Par ailleurs, il faut souligner que l’intimé fait une lecture indûment étroite des principes de la détermination de la peine en amalgamant sans nuances les messages de la Cour suprême dans les arrêts R. c. Goldfinch2019 CSC 38 (CanLII)[2019] 3 R.C.S. 3R. c. Friesen2020 CSC 9 (CanLII), [2020] 1 R.C.S. 424 et R. c. Parranto2021 CSC 46 (CanLII)[2021] 3 R.C.S. 366. Or, les nuances sont au cœur de la détermination de la peine. En proposant une peine essentiellement orientée par la dissuasion et la dénonciation, il escamote de nombreux principes qui doivent tout autant guider les juges dans l’exercice de la détermination de la peine.

[60]      La Cour suprême a certes rappelé que certaines décisions canadiennes ont malheureusement banalisé l’agression sexuelle en la réduisant, par exemple, à un événement anodin en raison de gestes qualifiés de « moins invasifs ». Elle a rappelé qu’il n’en est rien et que l’agression sexuelle est intrinsèquement un crime grave en raison de sa nature et des conséquences généralement négatives dans la vie des victimes. Elle a pressé les tribunaux de réagir de manière plus appropriée et de ne plus prononcer de peines déconnectées de la réalité, tant du crime lui-même que de ce que la société en comprend aujourd’hui, et de ne pas le décrire comme un geste inoffensif aux conséquences négatives douteuses.

[61]      Du même souffle, elle réaffirme que les tribunaux doivent réagir de manière proportionnelle.

[62]      L’arrêt Parranto est rendu après l’arrêt Friesen. La Cour y discute des principes fondamentaux en matière de détermination de la peine. La majorité des juges ont profité du moment pour expressément réaffirmer que le but de la détermination de la peine est d’infliger des sanctions justes et que la proportionnalité en est le principe fondamental : R. c. Parranto, 2021 CSC 46 (CanLII), [2021] 3 R.C.S. 366, par. 10-12 (jj. Brown et Martin, avec l’accord du juge en chef Wagner et du juge Kasirer), par. 102 et 111 (j. Rowe), par. 205 (j. Karakatsanis, avec l’accord de la juge Abella).

[63]      Plus particulièrement, les juges Brown et Martin ont précisé :

[10] Le but est d’infliger dans chaque cas une sanction équitable, juste et fondée sur des principes. La proportionnalité est le principe directeur qui permet d’atteindre cet objectif. À la différence des autres principes de détermination de la peine qui sont énoncés dans le Code criminel, la proportionnalité est un principe distinct qui est inscrit sous une rubrique intitulée « Principe fondamental » (art. 718.1). Par conséquent, « [t]oute détermination de la peine part du principe que la peine doit être proportionnelle à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité du délinquant » (R. c. Friesen, 2020 CSC 9, par. 30). Bien qu’importants, les principes de parité et d’individualisation sont secondaires.

R. c. Parranto, 2021 CSC 46 (CanLII), [2021] 3 R.C.S. 366 par. 10 [Je souligne].

[64]      Il faut réitérer le message voulant que l’agression sexuelle constitue un crime grave qui en soi comporte des conséquences graves. Il s’agit de la définition même du comportement prohibé. Il n’est toutefois pas impossible d’envisager une peine autre que l’emprisonnement dans un cas donné, si cette peine demeure proportionnelle aux circonstances et au délinquant. À tort ou à raison, ces cas seront peut-être rares, mais notre Cour a souvent répété que la sévérité d’une peine n’est pas l’apanage de l’emprisonnement : voir notamment R. c. Nadeau2020 QCCA 445, par. 55R. c. Bernard2019 QCCA 638, par. 28; R. c. Charbonneau2016 QCCA 1567, par. 18R. c. Houle2023 QCCA 99, par. 46.

[65]      Parallèlement aux discussions des tribunaux canadiens, et postérieurement aux arrêts évoqués de la Cour suprême, le législateur s’est de nouveau exprimé en novembre 2022 en rouvrant la possibilité de recourir à l’emprisonnement dans la collectivité, notamment pour cette infraction. Ce faisant, le législateur n’envoie pas le message qu’il faut être moins sévère dans l’approche de la peine, mais plutôt qu’il faut réfléchir autrement, même pour des crimes graves. Notamment, les circonstances se prêtent parfois à ce que des individus qui ne présentent pas une menace inacceptable pour la sécurité du public purgent leur peine d’emprisonnement dans la collectivité si la durée appropriée de celle-ci est de moins de deux ans.

[66]      Cela est sage puisque, si l’infraction demeure toujours grave, comme l’explique bien l’arrêt R. c. Lemieux2023 QCCA 480, personne ne nie que le crime d’agression sexuelle se décline dans des circonstances diverses et qu’il est commis par des délinquants aux profils très variés.

[67]      La question est toujours la même : « Pour cette infraction, commise par ce délinquant, ayant causé du tort à cette victime, dans cette communauté, quelle est la sanction appropriée au regard du Code criminel? » : R. c. Parranto2021 CSC 46 (CanLII), [2021] 3 R.C.S. 366, par. 113, citant R. c. Gladue1999 CanLII 679 (CSC), [1999] 1 R.C.S. 688, par. 80 (soulignements dans le texte); R. c. Simard2024 QCCA 835, par. 63; R. c. V.L., 2023 QCCA 449, par. 42.

[68]      Les cours d’appel ne peuvent exercer une fonction parallèle à celle du législateur en établissant des paramètres de détermination de la peine qui, en droit, contraignent le juge de la peine au point de soustraire des réponses au crime qu’autorise la loi, que cela se traduisent par des « points de départ », des « fourchettes » ou autrement : R. c. Parranto2021 CSC 46 (CanLII)[2021] 3 R.C.S. 366, par. 153R. c. Friesen 2020 CSC 9 (CanLII)[2020] 1 R.C.S. 424, par. 37R. c. McDonnell1997 CanLII 389 (CSC), [1997] 1 R.C.S. 948, par. 33R. c. Harbour2017 QCCA 204, par. 78.

[69]      Personne ne conteste ici que l’emprisonnement dans la collectivité est une peine possible. J’examine maintenant pourquoi le juge erre en l’écartant, en abordant ensemble les deux autres moyens d’appel.

[70]      Une cour d’appel doit corriger les peines qui découlent d’une erreur de principe ayant eu une incidence sur la détermination de la peine et « lorsque la cour d’appel conclut qu’une erreur de principe a eu un effet sur la peine, cela suffit pour qu’elle intervienne et fixe une peine juste » : R. c. Friesen2020 CSC 9 (CanLII), [2020] 1 R.C.S. 424, par. 26 et 27.

[71]      En l’espèce, le juge commet plusieurs erreurs de ce type qui se qualifient sous les deux moyens d’appel, soit l’abus de confiance et les erreurs concernant l’évaluation de la peine d’emprisonnement dans la collectivité. En leur absence, le juge aurait conclu que la peine d’emprisonnement dans la collectivité était une peine proportionnelle et juste dans les circonstances de ce dossier.

Revue du droit exhaustive du juge Serge Cimon quant au régime prévu à l'article 276 Ccr

R. c. D.L., 2025 QCCQ 1061

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1.            L’ARTICLE 276 CODE CRIMINEL

[25]      Un procès criminel peut être humiliant, dégradant et attentatoire pour les victimes d’infractions d’ordre sexuel, notamment parce que les mythes et les stéréotypes continuent de hanter le système de justice criminelle[14].

[26]      Par le passé, le Code criminel n’empêchait pas l’admissibilité de la preuve concernant le comportement sexuel antérieur d’une plaignante ni l’utilisation de celle-ci[15]. Rien n’interdisait aux avocats de présenter des éléments de preuve et de faire valoir, compte tenu des mythes et stéréotypes que la Common Law encourageait, que ce comportement sexuel antérieur minait la crédibilité de la plaignante ou augmentait la probabilité qu’elle ait donné son consentement à l’acte sexuel litigieux[16]. Des commentateurs ont affirmé que pour la victime, le traumatisme d’un procès pour viol rivalisait avec celui de l’agression[17].

[27]      La preuve du passé sexuel des plaignantes compromettait la recherche de la vérité et menaçait les droits à l’égalité, à la vie privée et à la sécurité de celles-ci[18].

[28]      De même, cette preuve du comportement sexuel antérieur servait à décourager les plaignantes à porter plainte, ternir leur réputation, dénaturait le procès et sapait la capacité du système de justice pénale de tenir un procès efficace et équitable sur des allégations de sévices sexuels[19]. Le législateur a édicté l’article 276 afin d’atténuer ces dangers[20].

[29]      Les objectifs de cet article visent à protéger l’intégrité du procès en écartant la preuve non pertinente et trompeuse, à garantir le droit de l’accusé à un procès équitable et à encourager la dénonciation des infractions d’ordre sexuel en protégeant la sécurité et la vie privée des plaignantes[21].

[30]      De plus, l’article 276 protège l’intégrité du processus judiciaire en établissant un équilibre entre la dignité et le droit à la vie privée des plaignantes et le droit des accusés à une défense pleine et entière[22].

[31]      Les tribunaux doivent assurer aux plaignantes que leur droit au respect à la vie privée ne sera pas inutilement sacrifié[23].

[32]      Les principes de justice fondamentale ne donnent pas à un accusé le droit de bénéficier des procédures les plus favorables que l’on puisse imaginer[24] et dans un procès criminel, il n’existe pas de droit constitutionnel à prendre une plaignante par surprise[25]. Par ailleurs, un procès équitable exige qu’aucune partie ne puisse dénaturer le processus judiciaire en produisant des éléments de preuve non pertinents ou préjudiciables[26].

1.1      Preuve inadmissible lorsqu’elle vise à étayer l’un des deux mythes

[33]      L’article 276(1) édicte que la preuve qu’une plaignante a eu une activité sexuelle, autre que celle visée par l’accusation, est inadmissible pour permettre de déduire du caractère sexuel de cette activité : (1) qu’elle est plus susceptible d’avoir consenti à l’activité à l’origine de l’accusation ou (2) qu’elle soit moins digne de foi[27].

[34]      Cela dit, le régime de l’article 276 n’est pas une règle d’exclusion générale. La preuve d’une activité sexuelle extrinsèque à celle en litige qui ne fait pas appel aux deux mythes pourrait être admissible[28]. Toutefois, la partie qui désire présenter une telle preuve a l’obligation d’obtenir la permission préalable du juge du procès. Dit autrement, le régime de l’article 276 est un processus de filtrage[29].

1.2         L’activité à l’origine de l’accusation

[35]      L’expression « activité à l’origine de l’accusation » renvoie aux éléments de l’actus reus de l’infraction précise que le poursuivant doit prouver au procès[30]. La jurisprudence indique qu’une activité sexuelle qui n’est pas partie de l’actus reus mais qui est « integrally connected » à l’infraction reprochée pourrait être considérée comme étant l’activité à l’origine de l’accusation[31]. Chaque cas dépend de ses faits propres.

1.3      Le sens du terme « activité sexuelle »

[36]      Selon l’article 276(4), cette expression comprend toute communication à des fins d’ordre sexuel ou dont le contenu est de nature sexuelle[32]. Par ailleurs, tout laisse croire que le régime s’applique aussi lorsqu’il est question d’inactivité sexuelle ou de la virginité de la plaignante[33]. Sous le régime de 276, le critère de la pertinence signifie que la preuve du comportement sexuel de la plaignante doit étayer une déduction légitime et permise[34].

[37]      Le requérant doit établir un lien entre cette preuve et le moyen de défense invoqué[35]. Si le requérant ne peut indiquer aucune utilisation pertinente de la preuve autre que celle visant à étayer les deux mythes, la simple assurance que cette preuve ne sera pas utilisée à ces fins ne suffit pas[36].

1.4      Les infractions visées par l’article 276

[38]      L’article 276 ne vise pas toutes les infractions de nature sexuelle[37]. Le législateur a choisi d’énumérer quatorze infractions spécifiques pour lesquelles le régime de l’article 276 s’appliquerait[38]. Toutefois, la Cour suprême a conclu que l’article 276 doit recevoir une interprétation large et s’applique aussi à toute poursuite où il existe un lien entre l’infraction reprochée et une des infractions énumérées au paragraphe 276(1), et ce, même si le document d’inculpation n’en fait aucunement mention[39].

[39]      Ce critère relationnel large est généralement satisfait si l’infraction énumérée est une infraction sous-jacente ou incluse dans l’infraction reprochée[40]. Pour les autres infractions, une analyse plus approfondie, au cas par cas, sera nécessaire pour déterminer si le régime de l’article 276 s’applique[41]. En cas de doute quant à l’application du régime de l’article 276, le juge du procès doit en informer les parties à la première occasion et trancher la question, après leur avoir donné la possibilité de présenter des observations[42].

1.5      Le champ d’application du régime

[40]      L’article 276 s’applique tant aux activités sexuelles consensuelles que non consensuelles[43]. Il s’applique à toutes les activités sexuelles, que ce soit avec l’accusé ou avec une autre personne[44]. De plus, il vise toute activité sexuelle survenant avant, pendant ou après l’accusation reprochée[45].

1.6      Les parties visées par le régime

[41]      L’article 276(2) édicte expressément qu’il s’applique à toute demande émanant de l’accusé ou de son représentant. Le poursuivant est également assujetti[46] à ce régime, compte tenu des principes de common law énoncés dans l’arrêt R. c. Seaboyer[47].

1.7         La preuve est « présumée inadmissible » même si elle vise une autre fin

[42]      Dans certaines circonstances, pour respecter la présomption d’innocence et le droit à une défense pleine et entière, la preuve d’une activité sexuelle antérieure peut être présentée pour étayer un raisonnement permis, mais doit satisfaire à des critères rigoureux[48].

[43]      Il incombe au requérant d’indiquer avec suffisamment de détails en quoi la preuve est nécessaire à l’égard d’un raisonnement permis, et ce, sans s’appuyer sur un raisonnement fondé sur les deux mythes[49]. Cet exercice ne doit pas être une simple expédition de pêche[50]. Lorsqu’un requérant cherche à présenter une telle preuve, à une autre fin que celle des deux mythes, celle-ci est « présumée inadmissible », à moins qu’il ne satisfasse aux conditions du paragraphe 276(2)[51].

2.            LES CONDITIONS D’ADMISSIBILITÉ

[44]      Suivant l’article 276, le juge du procès peut uniquement admettre la preuve d’une autre activité sexuelle que lorsqu’un requérant lui démontre que cette preuve n’est pas utilisée au soutien d’un raisonnement fondé sur les deux mythes; qu’elle est présentée à des fins précises, pertinentes et permises; et que le risque d’effet préjudiciable de cette preuve ne l’emporte pas sensiblement sur sa valeur probante[52].

2.1      La preuve n’est pas présentée afin de permettre les déductions liées aux deux mythes - 276(2)a)

[45]      Le requérant doit proposer une utilisation de la preuve qui ne fait pas appel à un raisonnement fondé sur les deux mythes[53]. S’il ne peut indiquer aucune utilisation pertinente de la preuve autre que celle visant à étayer les deux mythes, la simple assurance que cette preuve ne sera pas utilisée à ces fins ne suffit pas[54].

2.2      La preuve est en rapport avec un élément de la cause - 276(2)b)

[46]      La preuve du comportement sexuel antérieur doit avoir un rapport avec un élément de la cause. Il est essentiel que ce rapport entre le caractère sexuel de l’activité antérieure et un élément de la cause soit énoncé et identifié avec précision[55]. Il s’agit d’un critère de pertinence sans que l’accusé ait le fardeau de démontrer que la preuve est déterminante[56].

[47]      Le besoin de précision est particulièrement important lorsque les utilisations proposées visent la crédibilité et le contexte[57]Il est insuffisant de simplement affirmer que la preuve proposée a un lien avec le contexte, le récit ou la crédibilité[58].

[48]      Le requérant doit démontrer en détail non seulement que la crédibilité ou le contexte est en rapport avec un élément de la cause, mais aussi qu’en l’absence de la preuve proposée sa position serait « indéfendable » ou « complètement improbable »[59]. L’invocation du contexte ne doit pas devenir un cheval de Troie ou un moyen de contourner l’analyse attentive qu’exige l’article 276[60].

2.2.1   Exemple de cas d’application

A)   Affecter la crédibilité / Déclarations contradictoires[61]

[49]      L’article 276(1) n’empêche pas que le rapport avec un élément de la cause soit l’atteinte à la crédibilité ou à la fiabilité[62]. Il s’agira habituellement d’une divergence entre deux déclarations ou avec une preuve indépendante[63]. Il faut que cette divergence existe au moment de la requête. Une simple attaque générale à la crédibilité de la plaignante n’est pas permise[64]. Des agressions antérieures seront pertinentes à l’analyse de la fiabilité du témoin si elles tendent à démontrer que les traumatismes déjà vécus affectent sa capacité de bien se rappeler des évènements qui font l’objet des nouvelles accusations[65].

B)   Affecter la crédibilité / Pattern de fausses accusations ou mobile[66]

[50]      Dans la grande majorité des cas, les agressions sexuelles antérieures subies par une plaignante ne seront ni pertinentes ni admissibles, à moins que la plaignante se soit rétractée ou qu’il s’agisse de fausses allégations d’agressions sexuelles[67]. Également, la preuve d’une agression antérieure pourra être pertinente pour démontrer que la plaignante projette son hostilité quant à l’incident antérieur envers le présent accusé, ou qu’elle mélange ce dernier avec le véritable agresseur[68].

C)   Répondre à la preuve du poursuivant

[51]      Une requête 276 peut être formulée en vue de répondre à la preuve du poursuivant et ainsi créer un doute raisonnable[69]. Par exemple, lorsque le poursuivant s’appuie sur la grossesse d’une plaignante pour prouver une agression sexuelle, un accusé peut tenter de démontrer qu’une autre relation sexuelle pouvait avoir engendré cette grossesse[70]. Cela peut aussi être pertinent dans le cas de blessure ou de maladie[71].

[52]      De même, lorsqu’une plaignante indique préférer les femmes, rendant ainsi plus improbable qu’elle ait consenti à une relation sexuelle avec l’accusé, ce dernier pourrait présenter une preuve que celle-ci a eu une activité sexuelle avec un homme peu de temps avant l’agression alléguée[72].

[53]      Également, une telle demande peut être faite pour démontrer qu’une plaignante avait la capacité à consentir, en mettant en preuve une relation sexuelle consensuelle intervenue entre elle et un tiers et survenue très peu de temps après l’agression sexuelle reprochée[73].

D)   Dénégation / Consentement

[54]      La preuve du comportement sexuel antérieur de la plaignante est rarement pertinente pour appuyer une « dénégation » que l’activité a eu lieu ou pour établir le « consentement »[74].

E)     Croyance sincère mais erronée au consentement communiqué

[55]      Une activité sexuelle antérieure peut être pertinente dans le cas d’une défense de croyance sincère mais erronée au consentement communiqué[75]. Toutefois, cette reconnaissance d’une pertinence « potentielle » ne rend pas d’emblée admissible une preuve reliée au comportement sexuel antérieur d’une plaignante dans un contexte d’une défense de croyance sincère[76].

[56]      Les autrices Julie Desrosiers et Geneviève Beausoleil-Allard indiquent            qu’encore faut-il que cette défense présente, au préalable, quelque vraisemblance et que les conditions de l’article 273.2 soient clairement remplies[77], notamment la prise de mesures raisonnables pour s’assurer du consentement[78]. Ces autrices ajoutent que la vigilance des tribunaux ne doit pas fléchir dans les situations d’agression sexuelle « conjugale », qui apparaissent particulièrement perméables aux biais interprétatifs issus de l’exception maritale d’autrefois[79].

[57]      À cet égard, l’autrice Melanie Randall souligne que :

“The existence of a spousal or intimate relationship itself does not, as some judges seem to mistakenly believe, create a presumption of ongoing or continuous consent to sexual to sexual engagement. What some judges seem to have problems understanding is that consent to sexual activity, even in am intimate relationship, is a dynamic process, which requires constant negotiation and renegotiation between intimate partners. It cannot be assumed to exist by virtue of the existence of an ongoing intimate relationship”[80].

“Consent to sexual engagement is expressed and negotiated in intimate relationship in a dynamic, and not a static way. It simply cannot be presumed, nor can it be inferred from consent to prior sexual activity. This later inference is precisely what s.276 of the Criminal Code sought to rebut”[81].

[58]      Également, les auteurs Daniel Brown et Jill Witkin indiquent :

“In order to establish relevance on this ground, the defence of honest mistaken belief must be realistically advanced.

There can be no air of reality to the defence when the accused is mistaken about what constitutes consent from a legal perspective, for example, where the accused relies on:

-     Implied consent;

-     A belief that the absence of signs of disagreement could be substituted for affirmative communication of consent;

-     Broad advance consent; or

-     A belief that the complainant’s prior sexual activities, by reason of their sexual nature, made it more likely that they were consenting to the sexual activity in question (propensity argument).

Testing the waters and stopping only after the complainant resist are not reasonable steps”[82].

[59]      À elle seule, une « relation maritale » ne permet pas à une personne de s’appuyer sur des mythes ou stéréotypes pour faire valoir le consentement d’un partenaire[83]. De même, une simple allégation d’un accusé n’est pas suffisante, en soi, pour conférer une vraisemblance à une défense de croyance sincère mais erronée au consentement communiqué d’une plaignante[84].

[60]      Le fait pour un accusé d’inférer le consentement d’une plaignante en raison de la « relation » qu’il entretient avec elle constitue une erreur de droit[85]. La croyance que les activités sexuelles antérieures « similaires » entre un accusé et une plaignante pouvaient se substituer au consentement communiqué à l’activité sexuelle au moment où elle a eu lieu constitue aussi une erreur de droit[86].

[61]      En droit, le consentement doit être expressément renouvelé et communiqué pour chaque acte sexuel[87].

[62]      Cette croyance sincère mais erronée ne peut pas simplement reposer sur la preuve que la plaignante a déjà donné son consentement « à un moment donné » dans le passé[88], car il s’agirait alors d’un raisonnement fondé sur les deux mythes[89].

[63]      De même, cette défense ne peut reposer sur un consentement tacite ou implicite ni sur la croyance que la plaignante a donné à l’avance un consentement général à une activité sexuelle non définie[90].

[64]      À défaut de montrer, d’une manière réaliste, en quoi des évènements antérieurs auraient pu influer sur la perception que l’accusé avait sincèrement de la conduite de la plaignante au moment de l’agression même, une telle preuve ne sera pas susceptible d’étayer, à elle seule, la défense de croyance sincère mais erronée au consentement[91].

[65]      La défense de croyance sincère doit se fonder sur une preuve de la façon dont la plaignante a antérieurement communiqué son consentement[92]. L’accusé doit pouvoir expliquer comment et pourquoi la preuve du comportement sexuel antérieur venait renforcer sa croyance sincère mais erronée au consentement communiqué donné par la plaignante à l’activité sexuelle particulière au moment où elle a eu lieu[93].

[66]      De plus, pour établir la pertinence du comportement sexuel antérieur de la plaignante, l'accusé doit fournir une certaine preuve de ce qu'il croyait au moment de l'agression[94]. Dit autrement, l’accusé doit faire état d’une croyance sincère mais erronée que la plaignante a, en fait, communiqué son consentement, par ses paroles ou par ses actes[95].

[67]      Ce comportement sexuel antérieur peut établir l’existence d’une attente légitime quant à la façon dont le consentement est communiqué entre les parties[96]. Il peut s’agir de négociations antérieures concernant les actes précis en cause ou les coutumes et pratiques sexuelles entre les parties[97].

[68]      Les « négociations » ne comprennent pas l’entente sur un consentement général donné à l’avance à toute forme d’activité sexuelle[98].

[69]      De même, un accusé ne peut fonder sa défense de croyance sincère sur la logique défectueuse que le comportement sexuel antérieur de la plaignante, de par sa nature, rendait cette dernière davantage susceptible d’avoir consenti à l’activité sexuelle en question, et qu’il a cru pour cette raison à son consentement[99].

[70]      Également, l’accusé doit expliquer quelles sont les mesures raisonnables qui ont été prises par lui au moment de l’activité sexuelle reprochée, car la défense de croyance sincère mais erronée n’est pas valable sans mesures raisonnables[100].

[71]      La prise de mesures raisonnables constitue une condition préalable à la défense de croyance sincère mais erronée au consentement communiqué[101]. Pour paraphraser notre Cour d’appel : “No reasonable steps, no defence[102].

[72]      Par ailleurs, les mesures raisonnables doivent être prises pour chaque acte sexuel[103]. La prise de mesures raisonnables est une notion à géométrie variable dépendante des circonstances de chaque affaire[104]. La prise de mesures raisonnables est particulièrement importante pour les partenaires sexuels non familiers ou étrangers[105].

[73]      Cela ne signifie pas que les partenaires de longue date sont « dispensés » de s’assurer de l’existence d’un consentement ni de prendre des mesures raisonnables.  Aucun homme n’acquiert de droits acquis sur le corps de sa conjointe ou à des activités sexuelles particulières par le passage du temps.

[74]      Le Tribunal rappelle que plus une activité sexuelle est envahissante, le bon sens veut qu’une personne raisonnable fasse preuve d’une grande prudence pour s’assurer du consentement[106].

[75]      Lorsqu’un accusé n'invoque pas de façon réaliste le moyen de défense fondé sur la croyance sincère, la preuve que la plaignante et l'accusé ont eu des rapports sexuels non reliés à l'accusation est rarement pertinente à l'égard de la question en litige au procès[107]

[76]      Comme le souligne l’auteur Vincent Rondeau-Paquet :

« Au final, la possibilité d’une preuve d’activité sexuelle antérieure au soutien d’une défense de croyance sincère mais erronée au consentement communiqué dépendra d’une analyse factuelle, propre aux faits de chaque affaire. Cette analyse tiendra notamment compte de la viabilité de la défense elle-même, de la similarité des gestes antérieurs comparativement à ceux à l’origine de l’accusation, de la distance temporelle entre les deux, et de la nature de la relation entre les parties »[108].

[77]      Le Tribunal rappelle que la preuve d’une relation à caractère sexuel doit être utilisée avec prudence lors d’un procès pour agression sexuelle[109]. Non veut dire non, et seul oui veut dire oui : même dans le contexte d’une relation établie, même au beau milieu d’un rapport sexuel, et même si l’acte en question en est un auquel la plaignante a régulièrement consenti dans le passé[110].

2.3      La preuve porte sur des cas particuliers d’activité sexuelle - 276(2)c) 

[78]      Suivant l’article 276, il n’est jamais permis de se livrer à un interrogatoire exploratoire tous azimuts[111]. L’alinéa 276(2)c) oblige le requérant à identifier des cas particuliers d’activité sexuelle pour éviter des incursions inutiles dans la vie sexuelle d’une plaignante. Cette exigence empêche les questions inutiles ou d’une grande portée concernant le passé sexuel de la plaignante[112].

[79]      Les mots « cas particuliers d’activité sexuelle » doivent être interprétés de manière téléologique et contextuelle[113]. Cet alinéa n’oblige pas toujours le requérant à se présenter muni de noms, de dates et de lieux[114]. Le degré de précision requis dépend des circonstances de l’affaire, de la nature de l’activité sexuelle que le requérant cherche à mettre en preuve et de l’utilisation qui sera faite de cette preuve[115].

[80]      L’accusé doit faire état d’une activité identifiable, mais le degré de particularité requis dans une affaire donnée dépendra de la nature de la preuve, de la façon dont l’accusé entend l’utiliser et de la possibilité qu’elle ait un effet préjudiciable sur la bonne administration de la justice[116].

[81]      La preuve doit être suffisamment particularisée et précise pour permettre au juge d’appliquer le régime d’une manière qui protège efficacement les droits de la plaignante et d’assurer l’équité du procès[117].

2.4      Le risque d’effet préjudiciable à la bonne administration de la justice de cette preuve ne l’emporte pas sensiblement sur sa valeur probante - 276(2)d)

[82]      Toute preuve pertinente n’est pas nécessairement admissible. Même si une preuve revêt une certaine pertinence pour une autre fin, celle-ci peut néanmoins être exclue si le fait de l’admettre risque d’avoir un effet préjudiciable sur la bonne administration de la justice[118]. La décision d’un juge d’exclure une preuve pertinente lorsque son effet préjudiciable l’emporte sensiblement sur sa valeur probante implique l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire[119]. Cette décision du juge mérite déférence[120].

[83]      Il appartient au requérant d’établir que l’effet préjudiciable de la preuve ne l’emporte pas sensiblement sur sa valeur probante[121]. Il ne peut simplement affirmer que la preuve proposée possède une valeur probante[122]. Le requérant doit être le plus spécifique possible dans sa demande afin de permettre au juge de mettre en balance la valeur probante de la preuve et le risque d’effet préjudiciable[123].

[84]      Dans le contexte de l’article 276, l’expression « valeur probante » exige que la preuve ne soit pas négligeable au point de ne pouvoir soulever aucun doute raisonnable compte tenu de l’ensemble de la preuve[124]. Plus la preuve est importante pour la défense, plus il faut donner de poids aux droits de l’accusé[125].

[85]      L’admissibilité de la preuve d’une activité sexuelle antérieure est hautement tributaire des faits et du contexte, et le juge du procès est le mieux placé pour évaluer sa valeur probante par rapport à son effet préjudiciable[126].

[86]      La valeur relative de la preuve concernant le passé sexuel est considérablement réduite si l’accusé peut défendre une thèse donnée sans faire état de ce passé[127]. Le fait qu’une plaignante divulgue elle-même une activité sexuelle antérieure ne fait pas en sorte qu’elle devienne automatiquement admissible[128]. Toutefois, il est reconnu que le fait de dévoiler un évènement de son propre chef est moins intrusif que d’avoir à répondre à une question explicite de la part de l’avocat soutirant de tels renseignements[129].

[87]      Pour décider si la preuve est admissible, le juge doit considérer la liste, non-exhaustive[130], des facteurs énumérés à l’article 276(3) :

a)     L’intérêt de la justice, y compris le droit de l’accusé à une défense pleine et entière;

b)   L’intérêt de la société à encourager la dénonciation des agressions sexuelles;

c)   La possibilité, dans de bonnes conditions, de parvenir, grâce à elle, à une décision juste;

d)   Le besoin d’écarter de la procédure de recherche des faits toute opinion ou préjugé discriminatoire;

e)   Le risque de susciter abusivement, chez le jury, des préjugés, de la sympathie ou de l’hostilité;

f)     Le risque d’atteinte à la dignité du plaignant ou de la plaignante et son droit à la vie privée;

g)   Le droit du plaignant ou de la plaignante et de chacun(e) à la sécurité de leur personne, ainsi qu’à la plénitude de la protection et du bénéfice de la loi;

h)   Tout autre facteur que le ou la juge estime applicable en l’espèce.

[88]      L’exercice de mise en balance de ces facteurs est délicat[131]. Il s’agit d’une « analyse du coût et des bénéfices »[132]. Ultimement, la mise en balance de ces facteurs dépend de la nature de la preuve proposée et du fondement factuel de l’affaire[133]. Elle dépend aussi, en partie, de l’importance de la preuve eu égard au droit de l’accusé à une défense pleine et entière[134].

3.            LE RÔLE DU JUGE

[89]      C’est au juge du procès qu’il revient de faire respecter le régime obligatoire de l’article 276 et non au poursuivant[135]. Tout comme en matière de violence conjugale[136], le régime de l’article 276 requiert que le juge du procès veille à ce que les éléments de preuve trompeurs, non pertinents ou sensiblement plus préjudiciables que probants soient exclus afin d’éviter que l’équité du procès ne soit entachée[137]. Le juge du procès doit se garder d’élargir de manière inappropriée les cas où la preuve d’une autre activité sexuelle devrait être admise[138]. Admettre une preuve qui appuie un raisonnement fondé sur les deux mythes constitue une erreur de droit[139]. Lorsqu’une preuve de comportement sexuel antérieur est autorisée, le juge du procès doit s’assurer de surveiller étroitement le déroulement du contre-interrogatoire de la plaignante et intervenir pour protéger celle-ci contre toute question non pertinente ou trop intrusive[140].

[90]      Le juge doit continuer à veiller au respect des objectifs de l’article 276 tout au long du procès[141]. Le juge peut déterminer la portée des questions admissibles pour minimiser leur effet sur la plaignante, tout en maintenant la capacité d’un accusé de répondre aux accusations (ex : la période visée; le degré des détails)[142]. De même, les questions proposées doivent être examinées à l’avance et peuvent être réévaluées en fonction des réponses reçues. Il peut même être opportun d’approuver une formulation précise[143].

[91]      Par ailleurs, lorsque l’évolution de la déposition d’un témoin au procès entraîne un changement important dans les circonstances, le juge du procès peut, de son propre chef ou à la demande de l’une ou l’autre des parties, revoir à la lumière des nouveaux éléments de preuve ou renseignements une décision qu’il a rendue auparavant en vertu de l’article 276[144].

4.            LA PROCÉDURE APPLICABLE

4.1      Quand doit être présentée la requête

[92]      Les auteurs Daniel Brown et Jill Witkin soulignent que :

“Section 276 require that the accused make an application before (1) questioning the victim about other sexual activity, (2) questioning another witness about the victim’s other sexual activity, (3) testifying themselves about the victim’s other sexual activity or, (4) tendering any photos, documents, or other evidence that reveals other sexual activity of the victim”[145].

[93]      Une requête 276 doit être présentée avant le procès[146]. Les demandes en cours d’instances doivent rester l’exception[147].

[94]      Le régime de l’article 276 s’applique à toutes les étapes d’une poursuite criminelle, notamment : l’enquête sur mise en liberté; l’enquête préliminaire, le procès, les représentations sur la peine[148]. Cette protection de la vie privée et de la dignité des plaignantes s’applique aussi aux appels[149].

4.2      La nécessité d’une décision judiciaire

[95]      Le régime de l’article 276 est mandatoire[150]. Les parties ne peuvent renoncer à l’application du régime de l’article 276[151]. De même, le juge du procès n’est pas lié par une entente conclue entre les parties[152]. En fait, toute demande doit être tranchée par un juge, et ce, même si le poursuivant y consent[153]. Il revient au juge, à titre de gardien de la loi, de faire respecter le régime applicable[154]. Le régime de l’article 276 s’impose même en l’absence d’objection ou d’opposition des parties[155].

[96]      De plus, ce n’est pas parce qu’une plaignante divulgue d’elle-même une activité sexuelle antérieure qu’elle devient automatiquement admissible[156].

4.3      La publication du jugement

[97]      L’article 278.95 interdit la publication de la preuve et des renseignements présentés dans le cadre des demandes et des audiences sur l’admissibilité fondées sur les articles 278.93 et 278.94, mais accorde au juge du procès le pouvoir discrétionnaire de permettre la publication pour autrui des décisions qu’il rend, après avoir pris en considération le droit de la plaignante à la vie privée et l’intérêt de la justice[157].

4.4      Une procédure en deux étapes

[98]      Les articles 278.93 et 278.94 établissent une procédure à huis clos en deux étapes pour les demandes présentées en vertu des articles 276 et 278.92. Bien qu’il ne soit pas rare qu’il y ait des audiences « mixtes » couvrant les deux étapes, il est préférable que les deux étapes demeurent distinctes[158].

4.5         La première étape : La demande d’audition

[99]      À la première étape, le requérant doit satisfaire certaines conditions légales préalables concernant la « forme » et le « contenu » de sa demande et convaincre le juge que la preuve en cause « est susceptible d’être admise » en vertu des articles 276(2) ou 278.92(2)[159]. Cette étape vise notamment à empêcher qu’une plaignante soit inutilement impliquée dans une demande dénuée de tout fondement[160].

[100]   Comme l’indique le juge Marion dans la décision R. v. WG :

[19]      The first stage is meant to screen out those requests to adduce evidence which, on their face, are clearly brought for an impermissible purpose, are clearly unmeritorious, or where the evidence is clearly incapable of being admissible[161].

[101]   De même, le Tribunal partage les commentaires exprimés par le juge Cutler dans la décision R. v. Roland :

[31]        The fundamental purpose of the screening stage created by s. 278.93 is to ensure the expedition’s vessel does not leave the dock, potentially disrupting the trial process and causing needless anxiety, if not harm, to the complainant, until the judge is satisfied that there is a valid reason to embark on the expedition. The justice system must ensure the difficult position of the complainant is not compounded by frivolous and harmful evidentiary applications attacking the complainant's privacy, dignity, and security.

[32]        A complainant should not be engaged in or troubled by evidentiary applications with respect to their sexual history or personal records until the court is satisfied the accused has reached the threshold set out in s. 278.93. This interpretation of the provisions is of benefit to the complainant, the accused, and the trial process[162].

[102]   Les exigences procédurales de la première étape sont les suivantes : une requête écrite détaillée[163] et la signification de la requête au poursuivant et au greffier au moins sept jours avant l’audition de la première étape[164], ou dans un délai inférieur autorisé par le juge dans l’intérêt de la justice[165].

[103]   Une demande en vertu de l’article 276 exige que le requérant indique expressément une utilisation de la preuve apportée qui ne fait pas appel à un raisonnement fondé sur les deux mythes[166]. Dit autrement, il lui incombe d’établir avec clarté et précision l’utilisation qui sera faite de la preuve de l’autre activité sexuelle qu’il cherche à présenter[167].

[104]   En règle générale, le requérant s’acquittera de cette exigence par le dépôt d’un affidavit détaillé[168]. Dans certaines situations, il peut lui être possible de procéder autrement, soit : (1) par le dépôt des notes sténographiques de l’interrogatoire préalable ou de l’enquête préliminaire[169]; (2) dépôt de la déclaration assermentée de la plaignante[170]. Par ailleurs, quiconque possède des renseignements pertinents peut déposer un affidavit. Cela dit, un accusé qui n’appuie pas sa requête par un affidavit, le fait toujours à ses risques et périls[171]. Il est primordial de produire une requête exhaustive, car si celle-ci est trop floue ou que le juge n’est pas convaincu que les exigences sont respectées, ce dernier peut tout simplement la rejeter sans même tenir un voir-dire[172].

[105]   Lorsque le poursuivant reçoit une requête en vertu de l’article 276, il devrait donner à la plaignante et/ou à son avocat une description générale de l’activité sexuelle passée et de sa pertinence pour une question du procès[173]Selon l’arrêt Fairy c. R., il est permis à la plaignante de consulter l’entièreté de la demande de l’accusé dès la première étape, sous réserve de la discrétion du poursuivant quant au moment de la communication à la plaignante et à condition qu’aucune ordonnance du juge n’interdise cette communication[174].

[106]   La plaignante n’a aucun droit de participation lors de la première étape[175].

[107]   Toutefois, un juge ne commet pas une « erreur » en permettant à l’avocat de la plaignante de participer à cette étape[176].

[108]   Au stade de la première étape, le juge doit seulement vérifier si, « à sa face même », la preuve est susceptible d’être admissible ou qu’il existe une possibilité qu’elle le soit[177].

[109]   Il ne s’agit pas d’un fardeau onéreux à rencontrer et tout doute devrait être décidé lors de la deuxième étape[178].

[110]   Cette étape vise à écarter les éléments de preuve n’ayant qu’une pertinence négligeable[179].

[111]   Comme le Code criminel ne précise pas comment l’analyse doit être menée à cette étape[180], le juge jouit d’une discrétion sur la manière de procéder[181]. Le juge peut ainsi choisir d’entendre des plaidoiries verbales ou exiger des représentations écrites ou un mélange des deux[182].

[112]   Si la preuve en cause ne relève pas de l’article 276, le juge rejette la demande.

[113]   Si la preuve en cause relève de l’article 276, mais qu’il n’existe pas de possibilités qu’elle soit admissible, le juge rejette la demande[183].

[114]   Si la preuve en cause relève de l’article 276 et qu’il y a des possibilités qu’elle soit admissible, le juge doit tenir une audience pour déterminer si la preuve proposée est admissible en vertu de l’article 276(2)[184].

4.6      La deuxième étape : L’audition sur l’admissibilité de la preuve

[115]   Le poursuivant doit généralement communiquer le contenu de la requête à la plaignante et/ou à son avocat afin qu’ils puissent se préparer de façon utile pour l’audience de la deuxième étape[185].

[116]   Toutefois, le juge a le pouvoir discrétionnaire d’ordonner que la demande ne soit pas communiquée à la plaignante en tout ou en partie, si cette communication peut avoir une incidence sur l’équité du procès[186].

[117]   De même, le juge peut exclure la plaignante de la salle d’audience pour des raisons de compromission de l’équité du procès[187].

[118]   La plaignante peut comparaître et présenter des arguments, mais ne peut être contrainte à témoigner[188].

[119]   Le juge a le devoir d’aviser la plaignante de son droit d’être représentée par avocat[189].

[120]   La plaignante ou son avocat peut présenter des arguments oraux et/ou écrits, mais n’a pas le droit de contre-interroger l’accusé ni de produire des éléments de preuve[190].

[121]   Le poursuivant peut contre-interroger l’accusé sur son affidavit[191].

[122]   Ce contre-interrogatoire doit se limiter à ce qui est nécessaire pour déterminer si la preuve proposée est admissible[192]. Si l’accusé refuse d’être contre-interrogé, le juge ne peut qu’attribuer qu’une très faible valeur probante à son affidavit[193].

[123]   Il est important de rappeler qu’au procès, un accusé peut être contre-interrogé avec sa déclaration antérieure (affidavit et/ou témoignage) pour attaquer sa crédibilité et/ou inférer sa culpabilité[194].

[124]   À cette étape, le juge doit décider si la preuve proposée respecte les conditions de 276(2) en tenant compte des facteurs prévus à 276(3)[195]. Les conditions du paragraphe 276(2) sont cumulatives[196]. Si l’une de ces conditions n’est pas rencontrée, l’exception ne s’applique pas[197].

[125]   Lors de cette deuxième audition, le requérant supporte un fardeau de preuve plus lourd. Il lui appartient de démontrer, par la « prépondérance des probabilités », que la preuve proposée répond aux exigences prévues par le législateur[198].

[126]   À ce stade, il ne s’agit pas de déterminer de la crédibilité des parties, mais seulement de l’admissibilité de la preuve[199].

[127]   Lorsqu’un juge permet l’utilisation d’une preuve en lien avec un élément de la cause, la preuve ne pourra être utilisée d’une autre façon.

[128]   Cela dit, les risques associés à l’admissibilité d’une activité sexuelle autre peuvent être grandement atténués par l’utilisation d’un « exposé conjoint des faits »[200].

Le dédommagement à la victime doit toujours être envisagé lors de la détermination de la peine

Une agression sexuelle peut être commise même en l’absence d’un contact physique proprement dit, car la menace ou la tentative d'employer la force suffise pour entraîner la culpabilité de l'accusé

R. v. Edgar, 2016 ONCA 120  Lien vers la décision [ 10 ]        To commit a sexual assault, it was not necessary for the appellant to touch ...