dimanche 25 janvier 2009

Policier qui s’introduit sur un terrain privé vs common law

R. c. Cotnoir, 2000 CanLII 7581 (QC C.A.)

Lien vers la décision

Résumé des faits

Deux agents de la Sûreté du Québec patrouillent un secteur qu'ils connaissent bien. Alors que leur auto-patrouille est immobilisée à une intersection, ils remarquent dans le stationnement d’une résidence la présence inhabituelle d’un camion dont le moteur fonctionne. Un des policers a songé à s’arrêter à cet endroit, au retour de sa ronde dans le secteur, afin de vérifier si l’individu en question n’était pas victime d’un malaise.

Une fois cette résidence dépassée, l’autre agent décide de jeter un coup d’oeil dans le rétroviseur de son véhicule automobile et remarque à son tour la présence d’un individu à l’intérieur du camion. Croyant surprendre un voleur sur le fait, elle décide de faire demi-tour. Elle bloque l’entrée de la résidence de façon à ce que le véhicule ne puisse en sortir puis, elle s’approche du camion. Un homme assis sur le siège réservé au conducteur y est endormi. Elle cogne à la fenêtre du véhicule. Le passager se réveille aussitôt et baisse la fenêtre. Une forte odeur d’alcool émane de l’intérieur du véhicule. Au cours de leur conversation, l’agent constate que l’appelant présente les symptômes habituels d’un individu dont les capacités sont affaiblies par l’effet de l’alcool. Elle le somme de la suivre jusqu’à l’auto-patrouille pour lui faire subir un test de dépistage. Il échoue et est aussitôt mis en état d’arrestation.

Analyse

[11] Les pouvoirs conférés aux agents de la paix afin d’exercer utilement leurs fonctions sont énumérés dans le Code criminel, dans les diverses lois créant les corps policiers ainsi que dans certaines lois provinciales spéciales telles que le Code de la sécurité routière. De plus, certains pouvoirs leur sont octroyés par la common law. Toutefois, ces derniers pouvoirs ne sont pas définis avec précision.

[12] Si une conduite policière porte prima facie atteinte à la liberté ou à la propriété d’une personne, le tribunal doit appliquer un test en deux étapes. Le juge Lamer a exposé ces étapes dans l'arrêt R. c. Godoy :

Le critère reconnu pour évaluer les pouvoirs et les devoirs des agents de police en common law a été exposé dans l’arrêt Waterfield, précité, que notre cour a suivi dans R. c. Stenning, 1970 CanLII 12 (C.S.C.), [1970] R.C.S. 631, Knowlton c. La Reine, 1973 CanLII 148 (C.S.C.), [1974] R.C.S. 443 et Dedman c. La Reine, 1985 CanLII 41 (C.S.C.), [1985] 2 R.C.S. 2. Si la conduite policière constitue de prime abord une atteinte à la liberté ou à la propriété d’une personne, le tribunal doit trancher deux questions : premièrement, la conduite entre-t-elle dans le cadre général d’un devoir imposé par la loi ou reconnu par la common law? Deuxièmement, la conduite, bien que dans le cadre général d’un tel devoir, comporte-t-elle un exercice injustifiable des pouvoirs découlant de ce devoir?

[13] Il ne fait aucun doute que le fait de pénétrer sur le terrain privé d’un citoyen constitue, de prime abord, une atteinte à la liberté et à la propriété de cet individu. Par conséquent, il faut analyser les faits de la présente affaire en fonction de ces deux tests:

1. La conduite des policiers entre-t-elle dans le cadre général d’un devoir imposé par la loi ou reconnu par la common law?

[14] Le mandat général confié aux agents de police de la Sûreté du Québec est défini en ces termes à l’article 39 alinéa 1 de la Loi de police :

La Sûreté est, sous l’autorité du ministre de la Sécurité publique chargée de maintenir la paix, l’ordre et la sécurité publique dans tout le territoire du Québec, de prévenir le crime ainsi que les infractions aux lois du Québec, et d’en rechercher les auteurs.

[15] Ce mandat général statutaire recoupe certaines obligations imposées aux forces policières par la common law. Bien que ces dernières obligations n’aient pas encore été délimitées par les tribunaux, la Cour suprême a statué dans l’arrêt R. c. Dedman qu’elles comprenaient la préservation de la paix, la prévention du crime et la protection des biens et de la vie des personnes. Dans l’arrêt R. c. Murray, la Cour d’appel du Québec, sous la plume du juge Fish, analysant l’article 57 de la Loi d’interprétation, concluait qu’au Québec, la common law «accordait aux policiers des pouvoirs additionnels à leurs pouvoirs statutaires, nécessaires à leur devoir de prévention du crime et d’arrestation des criminels».

[16] Il est donc nécessaire de déterminer si, en l’espèce, les agents exerçaient des pouvoirs que leur confère la loi ou la common law en pénétrant dans l’entrée de la résidence de l’appelant. À notre avis, il ne fait aucun doute que la conduite des agents entrait à la fois dans le cadre d’un devoir imposé par la loi et par la common law. La preuve révèle que l’agent Gougeon croyait surprendre un voleur en flagrant délit. Après avoir aperçu ce qui lui semblait être un individu se cachant à l’intérieur d’un véhicule, elle a déclaré à son partenaire : «on va aller voir tout d’un coup que c’est un voleur, tsé c’est un beau pick-up, ça a l’air pis ça vaut une trentaine de mille». En pénétrant dans la cour de la résidence de l’appelant et en lui demandant de décliner son identité, l’agent Gougeon ne cherchait qu’à prévenir la perpétration d’un crime.

[17] Quant à l’agent Bélanger, la preuve révèle qu’il croyait que l’accusé souffrait d’un malaise et il avait l’intention de revenir sur les lieux après sa ronde dans le secteur. S’il avait lui-même pénétré dans la cour de l’accusé pour vérifier l’état de ce dernier, il se serait alors acquitté d’un autre devoir dévolu aux policiers par la common law, celui de protéger la vie des citoyens. Tel que le rappelait le juge Lamer dans l’affaire Godoy, ce devoir général ne se limite pas à la protection de la vie des victimes de crimes.

[18] Il reste à déterminer si l’exécution de ces devoirs imposés par la loi ou reconnus par la common law autorise les agents de la paix à pénétrer sur un terrain privé.

2. La conduite des agents Gougeon et Bélanger comporte-t-elle un exercice injustifiable des pouvoirs conférés aux agents de police dans les circonstances?


[19] Dans l’arrêt R. c. Simpson le juge Doherty, cité avec approbation par le juge Lamer dans l’affaire Godoy a défini de la façon suivante ce que l’on devait entendre par l’exercice «justifié» des pouvoirs conférés aux agents de police :

[...] the justifiability of an officer’s conduct depends on a number of factors including the duty being performed, the extent to which some interference with individual liberty is necessitated in order to perform that duty, the importance of the performance of that duty to the public good, the liberty interfered with, and the nature and extent of the interference.

[20] À la lumière de ces facteurs, je suis d’avis que la conduite des agents Gougeon et Bélanger n’équivalait pas à un exercice injustifiable des pouvoirs conférés aux agents de la paix. D’une part, les soupçons de l’agent Gougeon étaient suffisamment sérieux et, d’autre part, la présente affaire ne met pas en question les pouvoirs d’arrestation des agents de la paix. Elle soulève uniquement la question de leurs pouvoirs d’enquête à titre de pouvoirs accessoires à leur obligation de secours et de prévention du crime. Ici, la seule façon pour la policière de vérifier l’identité de la personne dans le véhicule automobile consistait à pénétrer sur cette propriété. En outre, cette intrusion dans la cour de l’appelant ne portait pas atteinte de façon démesurée à l’inviolabilité de la propriété privée et était nécessaire dans les circonstances. L’atteinte pourrait même être qualifiée de purement technique. D’autre part, les agents pouvaient présumer détenir une autorisation implicite du propriétaire de pénétrer sur son terrain afin de prévenir la perpétration d’une infraction contre ses biens. Enfin, comme l’a mentionné le juge Sopinka dans l’arrêt Belnavis «il existe une différence marquée en matière d’atteinte raisonnable en matière de vie privée selon que la personne qui l’invoque se situe dans sa résidence ou dans une automobile.»

[21] Il est vrai que chacun a droit au respect de sa vie privée et à l’inviolabilité de sa propriété. Cependant, l’intérêt que présente pour le public le maintien d’un système efficace de prévention du crime est suffisamment important pour qu’une atteinte aussi peu intrusive dans la vie privée d’un individu puisse être justifiée. À ce sujet, nous croyons à propos de citer cet extrait de la décision du juge de la Cour supérieure :

[...] Si, lors d’une patrouille de nuit, des policiers aperçoivent un individu dans l’obscurité qui tente d’ouvrir les fenêtres d’une maison, le Tribunal considère que les policiers ont alors le droit de se rendre sur ce terrain afin d’assurer que l’individu ne tente pas de s’introduire dans une maison autre que la sienne. Sans une telle autorisation, aucune prévention ne serait possible et le rôle du policier se limiterait à enquêter sur des crimes déjà commis.

B) Le juge de la Cour supérieure a-t-il erré en droit en concluant que la démarche de la policière ne constituait pas une fouille au sens de l’article 8 de la Charte canadienne?

[22] (...) la démarche de la policière ne constituait pas une fouille au sens de l’article 8 de la Charte canadienne étant donné qu’elle avait pénétré dans l’entrée privée de la résidence de l’appelant sans avoir l’intention de recueillir des preuves contre lui. Cette conclusion du juge Guertin est à notre avis bien fondée.

[23] L’occupant d’une maison d’habitation autorise implicitement tout membre du public, y compris un policier, à pénétrer sur sa propriété à des fins légitimes. Cette autorisation implicite doit être prise en considération lors de l’appréciation de son expectative de vie privée.

[24] Si la conduite des policiers qui s’introduisent sur un terrain privé est un type d’activité visé par l’autorisation implicite, aucune violation du droit à la vie privée ne peut être alléguée. Par ailleurs, si la conduite des policiers va au-delà de ce qui est permis en vertu de l’autorisation implicite, les policiers deviennent des intrus violant le droit à la vie privée de l’occupant.

[25] Dans l’affaire Evans, des policiers avaient frappé à la porte des accusés dans le but de sentir une odeur de marijuana. La Cour a statué que l’autorisation implicite n’allait pas jusqu’à permettre à des policiers de s’introduire sur la propriété d’un suspect afin de recueillir des preuves contre lui. Dans l’affaire Kokesh la Cour suprême a décidé que lorsque la police n’a que des soupçons et qu’elle ne peut légalement obtenir d’autres éléments de preuve, elle doit laisser un suspect tranquille. La Cour d’appel du Québec est arrivée à la même conclusion dans Bennett.

[26] Ici, situation est bien différente. L’agent Gougeon s’est introduite sur la propriété de l’appelant dans le but de prévenir la perpétration d’une infraction contre les biens de l’occupant des lieux. Elle n’avait aucunement l’intention de recueillir des éléments de preuve contre lui. D’ailleurs, elle ignorait que le propriétaire se trouvait dans le véhicule. Elle croyait servir les intérêts de l’occupant en pénétrant dans sa cour afin de le débarrasser d’un voleur. Cette conduite est un type d’activité visé par l’autorisation implicite de tout occupant. Dans ce contexte, les observations visuelles et olfactives de l’agent Gougeon ne peuvent être assimilées à une fouille.

[29] Les policiers ont le devoir de maintenir la paix, de prévenir le crime et d'assurer la protection des citoyens et des biens. Pour les aider dans l'accomplissement de ce devoir, ils ont l'autorisation implicite du propriétaire d'un terrain d'y pénétrer lorsqu'un crime est en voie d'y être commis ou que quelqu'un ayant besoin d'aide s'y trouve.

[31] Mon collègue le juge Pidgeon décrit dans son opinion le comportement des deux policiers. Tout comme lui, je crois que leur conduite ne comportait pas un exercice injustifiable des pouvoirs découlant du devoir qui était le leur. Ils ont expliqué les motifs de leur intervention et décrit comment ils s'y sont pris pour vérifier ce qui, chacun à sa manière, les préoccupait.

[32] Malheureusement pour l'appelant, ils ont découvert autre chose, ce qui a mené à son arrestation, puis à sa mise en accusation. À l'instar de mon collègue le juge Pidgeon, je ne crois pas que la démarche des policiers, notamment les observations visuelles et olfactives faites par l'agent Gougeon, constituait une fouille ou une perquisition abusives, au sens de l'article 8 de la Charte canadienne des droits et libertés, puisqu'ils s'étaient avancés dans l'entrée privée de la résidence de l'appelant - ce qu'ils ignoraient alors - sans avoir l'intention de recueillir des éléments de preuve contre lui. Le contexte de ce dossier me semble bien différent de celui des affaires R. c. Evans, [1996] 1 R.C.S. et R. c. Kokesh, 1990 CanLII 55 (C.S.C.), [1990] 3 R.C.S. 3.

[33] Dans l'arrêt Evans, le juge Sopinka rappelle que l'intention des policiers est pertinente pour apprécier la légalité de leur action (par. 18). Ici, les deux policiers étaient de bonne foi, ils ne poursuivaient aucun autre but que celui de vérifier ce qui, chacun selon sa perspective, avait attiré leur attention. Leur action était, à mon avis, parfaitement justifiée, légitime et légale.

[34] Toujours dans l'arrêt Evans, le juge Sopinka s'attarde à circonscrire les conditions de la renonciation au droit à la vie privée que constitue l'invitation implicite faite par l'occupant d'une maison d'habitation au public, y compris aux policiers, de pénétrer sur sa propriété, de s'approcher de la demeure et d'y frapper à la porte. Il affirme que «seules les activités qui sont raisonnablement liées au but de communiquer avec l'occupant sont permises (…)» (par. 15) et conclut qu'en l'espèce, les actions des policiers étaient allées au-delà de la conduite permise en vertu de l'autorisation implicite de frapper à la porte. À partir de ces observations, je n'ai pas de doute à affirmer que l'invitation implicite faite aux policiers comporte également la permission de pénétrer sur une propriété privée pour y faire les vérifications d'usage lorsqu'ils considèrent, pour l'avoir vu en effectuant leur patrouille, qu'un crime est en voie d'y être commis ou qu'un individu y est victime d'un malaise.

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