samedi 14 mars 2009

La pertinence du test polygraphique

R. c. Oickle, [2000] 2 R.C.S. 3, 2000 CSC 38

1. Informer le suspect des utilisations possibles du test polygraphique
91 Je suis d’accord pour dire que le simple fait d’omettre d’indiquer au suspect que les résultats du test polygraphique sont inadmissibles en preuve n’a pas automatiquement pour effet de rendre la confession involontaire. Les tribunaux doivent appliquer une démarche en deux étapes. Premièrement, conformément aux arrêts Rothman et Collins, précités, la confession doit être écartée si le subterfuge des policiers choque la collectivité. Deuxièmement, même si le subterfuge n’atteint pas ce degré de gravité, l’utilisation du subterfuge est un facteur pertinent dans l’analyse globale du caractère volontaire. À ce stade‑ci, la démarche est similaire à celle applicable à l’égard de la preuve fabriquée, voir précédemment, quoique, évidemment, l’utilisation d’une preuve inadmissible soit intrinsèquement moins problématique que l’utilisation d’une preuve fabriquée. Le simple fait d’omettre de dire au suspect que les résultats du test polygraphique sont inadmissibles n’entraîne pas à lui seul l’exclusion de la confession. Tout au plus peut-il constituer un facteur dans l’analyse globale du caractère volontaire.

93 Il ressort clairement de cet échange que l’intimé comprenait que, à eux seuls, les résultats du polygraphe n’étaient pas pertinents, que c’est plutôt l’opinion qu’en tire le technicien qui compte. Comme le sergent Taker a clairement dit à l’intimé que son interprétation des résultats n’était pas admissible, je souscris à l’opinion du juge MacDonald de la Cour provinciale qu’[traduction] «[i]l n’y a absolument aucun élément de preuve établissant que M. Oickle était confus sur ce point».


2. L’exagération de la validité des tests polygraphiques


95 Je reconnais que les policiers ont exagéré la fiabilité du polygraphe. Comme de nombreux auteurs l’ont démontré, les polygraphes sont loin d’être infaillibles: (...) De même, dans R. c. Béland, [1987] 2 R.C.S. 398, notre Cour a reconnu que les résultats des tests polygraphiques ne sont pas suffisamment fiables pour être admis devant les tribunaux.

96 Dans R. c. Amyot, [1991] R.J.Q. 954, à la p. 962, la Cour d’appel du Québec a jugé que le fait de dire que le polygraphe est infaillible rend une confession involontaire. Dans cette affaire, le polygraphiste a dit à l’accusé que «le test lui démontre qu’il ne dit pas la vérité». La cour a estimé que ces propos étaient inappropriés, et ce pour les raisons suivantes:

. . . c’est pousser beaucoup trop dans l’absolu ce en quoi cet examen consiste: c’est présenter à l’appelant le résultat comme une certitude qui va évidemment l’ébranler et lui faire dire: «Mais que va‑t‑il se passer maintenant?» Il me semble qu’ainsi l’appelant est induit en erreur sur l’infaillibilité du test, et cette façon de procéder peut naturellement inciter le sujet à «passer aux aveux».

Voir également l’arrêt Fowler, précité. Dans Amyot, la Cour d’appel a insisté de façon particulière sur le fait que le suspect avait fait une confession presque immédiatement après avoir été informé des résultats du test polygraphique, ce qui tendait à indiquer que sa volonté avait été subjuguée lorsqu’on l’avait mis en présence de cette preuve accablante, censément irréfutable.

97 Sans me prononcer sur le bien‑fondé la décision rendue dans Amyot, je souligne que les faits de cette affaire diffèrent considérablement de ceux du présent cas. Comme le démontre l’échange suivant, l’intimé a à maintes reprises rejeté l’exactitude des résultats du test polygraphique:

L’intimé n’a pas été atterré par les résultats du test polygraphique. Quoiqu’il soit clair que les policiers se sont fondés de façon importante sur ces résultats pour soutirer une confession à l’intimé, il ne s’agissait pas d’une situation comme celle de l’affaire Amyot, où l’aveu a presque immédiatement suivi la communication des résultats.

98 D’autres tribunaux ont écarté des confessions obtenues par l’utilisation d’un polygraphe seulement lorsqu’il s’était écoulé un certain temps avant que le suspect finisse par faire une confession. Par exemple, dans Ollerhead, précité, le tribunal a cité le passage suivant de R. c. Romansky (1981), 6 Man. R. (2d) 408 (C. cté), à la p. 421:

[traduction] [L]es tactiques psychologiques utilisées ont créé une atmosphère d’oppression. L’accusé a rapidement perdu toute volonté lorsqu’il s’est effondré sur le plan émotif. Comme en témoigne sa docilité et/ou susceptibilité concomitantes aux suggestions, sa volonté a été vaincue et subjuguée par celle de la personne en situation d’autorité.

Divers tribunaux de juridiction inférieure ont donc adopté des approches très différentes pour déterminer si les polygraphes créent une atmosphère oppressive. Les approches différentes retenues dans des affaires comme Amyot et Ollerhead démontrent que le moment de la confession par rapport à celui de l’administration du test polygraphique ne saurait être décisif. Il s’agit plutôt d’un élément de preuve qu’il appartient au juge du procès de considérer lorsqu’il détermine si la confession était volontaire.

99 Bien que les policiers aient effectivement induit l’intimé en erreur relativement à l’exactitude du polygraphe, il reste quand même à décider si, eu égard à l’ensemble des circonstances de l’interrogatoire, ce fait a rendu les confessions inadmissibles. À mon avis, ce ne fut pas le cas. Comme nous l’avons vu plus tôt, il n’y a pas eu d’effondrement émotionnel en l’espèce. Le simple fait qu’un suspect se mette à pleurer lorsqu’il fait finalement une confession, comme l’a fait l’intimé, ne témoigne pas d’un «effondrement émotionnel complet»; on peut s’attendre à des larmes lorsque l’auteur d’un crime avoue finalement qu’il l’a commis — surtout lorsque le suspect est un citoyen généralement respectueux de la loi comme l’intimé.

100 Comme nous l’avons vu précédemment, je n’estime pas non plus que les policiers ont créé une atmosphère oppressive. Le simple fait de mettre le suspect en présence d’un élément de preuve qui lui est défavorable, comme les résultats d’un test polygraphique, ne constitue pas un motif d’exclusion: voir Fitton, précité. Cette constatation vaut même dans le cas d’un élément de preuve inadmissible: voir Alexis, précité. En outre, le fait que les policiers exagèrent la fiabilité ou l’importance d’une preuve ne rend pas nécessairement une confession inadmissible. Les déclarations de témoins oculaires ne sont nullement infaillibles; pourtant, dans l’arrêt Fitton, notre Cour a jugé admissible une déclaration faite après que les policiers ont dit à un suspect qu’ils ne croyaient pas ses dénégations puisque plusieurs témoins oculaires l’avaient dénoncé. Bref, le simple fait de mettre un suspect en présence d’un élément de preuve défavorable — même en exagérant l’exactitude et la fiabilité de cet élément — ne rend pas à lui seul la confession involontaire.


3. Tromper l’accusé sur la durée de l’entrevue


101 (...) Puisque notre Cour a jugé dans Béland, précité, que les résultats de tests polygraphiques ne sont pas admissibles en preuve, [traduction] «l’administration du test doit donc être clairement séparée de l’interrogatoire mené en vue d’obtenir des déclarations» (Nugent, précité à la p. 212). Suivant la Cour d’appel, une déclaration faite tout de suite après un test polygraphique ne devrait pas être admissible parce que la défense ne peut pas expliquer adéquatement le contexte dans lequel la déclaration a été faite — ce qu’elle souhaiterait peut‑être faire en vue d’en contester le poids devant le jury — sans indiquer au jury que l’accusé a échoué au test polygraphique.

102 Il est vrai que les procédures policières offrent à la défense un choix désagréable: soit essayer d’expliquer la confession sans faire état du polygraphe, soit admettre que l’accusé a échoué au test. Cependant, cela se produit chaque fois qu’un suspect fait une confession après avoir été mis en présence d’un élément de preuve inadmissible, et cela ne rend pas nécessairement la confession involontaire. Le fait que la défense subisse un désavantage d’ordre tactique n’est pas pertinent pour ce qui est du caractère volontaire des confessions; tout au plus suggère‑t‑il plutôt l’existence d’un effet préjudiciable. Cependant, vu l’immense valeur probante d’une confession volontaire, je ne peux accepter que l’exclusion soit une solution appropriée.

103 Le dernier argument en faveur de la séparation de l’interrogatoire du test polygraphique est lié à l’«abus de confiance» qu’on reproche et dont j’ai déjà traité. On soutient que le lien d’intimité qui est établi à l’entrevue préliminaire perdure indûment au cours de l’interrogatoire qui suit le test. Que cela soit vrai ou non, je n’estime pas qu’il s’agit là d’un motif justifiant d’écarter la confession. Sur ce point, je souscris aux propos suivants de la Cour d’appel de l’Ontario dans R. c. Barton (1993), 81 C.C.C. (3d) 574, à la p. 575:

[traduction] Il ne fait aucun doute que la procédure est attentatoire et entend mettre à profit une expertise en psychologie en vue d’établir, entre l’interrogateur et l’«interrogé» un rapport propre à rendre l’analyse technique plus exacte. Il est également vrai que l’apparence d’intimité perdure jusqu’à la troisième étape, au cours de laquelle, dans la présente affaire, la déclaration inculpatoire a été faite. Pourtant, tout interrogatoire policier peut présenter ces caractéristiques, sous une forme ou une autre. Le «numéro du gentil policier et du méchant policier» est le plus connu.

Par conséquent, tout lien d’intimité qui aurait été créé pendant l’entrevue préliminaire ne peut avoir entraîné les confessions de l’intimé.


F. Résumé sur le caractère volontaire

104 En résumé, plusieurs aspects de l’interrogatoire de l’intimé par les policiers étaient susceptibles d’être pertinents en ce qui concerne le caractère volontaire des confessions de celui-ci, notamment les remarques faites au sujet de Mme Kilcup, les suggestions qu’«il vaudrait mieux» pour l’intimé qu’il fasse une confession et l’exagération de l’exactitude du polygraphe. Il s’agit certainement de considérations pertinentes pour statuer sur le caractère volontaire. Cependant, je souscris à l’opinion du juge du procès que ces divers facteurs — que ce soit individuellement ou ensemble avec les autres circonstances des confessions de l’intimé — ne soulèvent pas de doute raisonnable quant au caractère volontaire des confessions de l’intimé. Ce dernier n’a jamais été maltraité, il a été interrogé de façon extrêmement amicale et affable et aucun encouragement assez important pour soulever un doute raisonnable quant au caractère volontaire des confessions en l’absence de tout mauvais traitement ou d’oppression ne lui a été donné. Puisque je ne constate la présence d’aucune erreur dans les motifs du juge du procès, la Cour d’appel n’aurait pas dû infirmer ses conclusions.

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