R. c. Morin, [1992] 1 R.C.S. 771
Résumé des faits
À la date prévue du procès, l'accusée a présenté une requête demandant l'arrêt des procédures en se fondant sur le par. 24(1) de la Charte canadienne des droits et libertés et a soutenu que le délai de 14 mois ½ pour la citer à procès a porté atteinte au droit d'être jugé dans un délai raisonnable que lui confère l'al. 11b) de la Charte.
Analyse
L'objet principal de l'al. 11b) est la protection des droits individuels des accusés: (1) le droit à la sécurité de la personne, (2) le droit à la liberté et (3) le droit à un procès équitable. Le droit à la sécurité de la personne est protégé par la tentative de diminuer l'anxiété, la préoccupation et la stigmatisation qu'entraîne la participation à des procédures criminelles. Le droit à la liberté est protégé par la réduction de l'exposition aux restrictions de la liberté qui résulte de l'emprisonnement préalable au procès et des conditions restrictives de liberté sous caution. Le droit à un procès équitable est protégé par la tentative de faire en sorte que les procédures aient lieu pendant que la preuve est disponible et récente.
La méthode générale pour déterminer s'il y a eu violation du droit que confère l'al. 11b) ne consiste pas dans l'application d'une formule mathématique ou administrative mais plutôt dans une décision judiciaire qui soupèse les intérêts que l'alinéa est destiné à protéger et les facteurs qui, inévitablement, entraînent un délai.
Les facteurs à prendre en considération sont les suivants: (1) la longueur du délai; (2) la renonciation à invoquer certaines périodes dans le calcul; (3) les raisons du délai, notamment a) les délais inhérents à la nature de l'affaire, b) les actes de l'accusé, c) les actes du ministère public, d) les limites des ressources institutionnelles et e) les autres raisons du délai; et (4) le préjudice subi par l'accusé. Si l'on écarte la question du délai en appel, la période qui doit être examinée est celle qui court de la date de l'accusation à la fin du procès.
Un examen pour déterminer si un délai est déraisonnable est déclenché par une demande fondée sur le par. 24(1) de la Charte. Bien que le fardeau juridique d'établir qu'il y a eu violation de la Charte incombe au requérant, il y aura déplacement du fardeau de présentation d'éléments de preuve ou d'arguments selon les circonstances de chaque cas. Une affaire ne sera tranchée en fonction du fardeau de la preuve que si la cour ne peut parvenir à une décision à partir des faits qui lui sont présentés.
L'examen concernant le délai déraisonnable ne devrait être entrepris que si la période est suffisamment longue pour soulever des doutes quant à son caractère raisonnable. Un délai plus court soulèvera le problème si le requérant démontre qu'il y a eu préjudice, par exemple, si l'accusé est sous garde. Si par entente ou par sa conduite l'accusé a renoncé en tout ou en partie à invoquer certaines périodes, la longueur du délai sera réduite en conséquence.
Toutes les infractions comportent certaines exigences inhérentes en matière de délais qui retardent inévitablement l'affaire. Outre la complexité d'une affaire, il existe certains délais préparatoires communs à toutes les affaires et certaines d'entre elles doivent faire l'objet d'une enquête préliminaire avant le procès. La cour devra aussi déterminer si les actes de l'accusé ou ceux du ministère public ont entraîné un délai. Ces deux derniers facteurs ne servent pas à "blâmer" mais simplement à fournir un mécanisme utile permettant d'examiner la conduite des parties.
Dans l'étude de l'explication du délai, on doit tenir compte de la pénurie des ressources institutionnelles. Le délai institutionnel commence lorsque les parties sont prêtes pour le procès et court jusqu'à ce que le système puisse leur permettre de procéder. Il faut évaluer l'importance qu'il convient d'accorder à ce facteur en tenant compte du fait que le gouvernement a l'obligation constitutionnelle d'attribuer des ressources suffisantes pour prévenir tout délai déraisonnable. Après une certaine période, la cour ne peut plus tolérer de délai fondé sur l'argument des ressources inadéquates. Une ligne directrice administrative peut servir à évaluer la période acceptable qui peut être attribuée à ce facteur. Cette ligne directrice n'est ni une période de prescription ni une durée maximale. Elle ne doit pas être appliquée d'une manière mécanique, elle doit plutôt céder devant d'autres facteurs au besoin.
Il convient que notre Cour propose une ligne directrice de 8 à 10 mois pour le délai institutionnel en cour provinciale. Pour ce qui est du délai institutionnel après l'envoi à procès, une période de 6 à 8 mois a été proposée dans l'arrêt R. c. Askov, [1990] 2 R.C.S. 1199, et il est toujours pertinent. L'application d'une ligne directrice sera influencée par la présence ou l'absence de préjudice. Plus le préjudice est grand, plus la période acceptable de délai institutionnel sera courte. Cette ligne directrice est destinée à servir de guide pour les tribunaux de première instance d'une manière générale, qui devront sans doute l'ajuster pour tenir compte des conditions locales. Ils devront également le faire à l'occasion pour s'adapter à des circonstances différentes. La cour d'appel dans chaque province jouera un rôle de surveillance pour viser à atteindre l'uniformité sous réserve de la nécessité de prendre en compte les conditions spéciales des différentes régions dans la province. L'application de cette ligne directrice est assujettie au contrôle de notre Cour afin de veiller à ce que le droit d'être jugé dans un délai raisonnable soit respecté.
On peut déduire de la longueur du délai qu'il y a eu préjudice. Plus le délai est long, plus il est vraisemblable qu'on pourra faire une telle déduction. Dans les circonstances où on ne déduit pas qu'il y a eu préjudice et où celui‑ci n'est pas prouvé, le fondement nécessaire à l'application du droit est gravement ébranlé. Le droit a pour but d'accélérer les procès et de réduire les préjudices et non pas d'éviter qu'une personne subisse son procès sur le fond. Il faut tenir compte de l'action ou de l'inaction de l'accusé qui ne correspond pas à un désir d'être jugé rapidement.
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