La Reine c. Francis Rioux, 200-10-333744-982, J.E. 2000-1463 (C.A.)
[21] Dans l’affaire R. c. Saunders, la Cour suprême a confirmé le verdict de culpabilité prononcé par le tribunal d’appel. L’intimé a été retrouvé endormi dans son véhicule alors qu’il était en état d’ébriété; il occupait le siège du conducteur. Les clés se trouvaient dans le contact mais le moteur n’était pas en marche. La voiture était dans un fossé en bordure d’une autoroute et les policiers ont dû procéder à son remorquage pour l’en sortir.
[22] La question en litige était de déterminer si l’impossibilité, pour l’intimé, de mettre le véhicule en mouvement devait entraîner son acquittement à l’égard de l’infraction de garde et contrôle d’un véhicule avec les facultés affaiblies. Bien que le litige ait été orienté sur la définition de l’expression « véhicule à moteur » et non pas sur la notion de garde et contrôle, cet arrêt de la Cour suprême nous éclaire quant au but de l’infraction que l’on retrouve aujourd’hui à l’article 253 C.cr.:
«Obviously, every one agrees that the true object of the provisions of ss. 222 and 223 is to cope with and protect the person and the property from the danger which is inherent in the driving, care or control of a motor vehicule by anyone who is intoxicated or under the influence of a drug or whose ability to drive is impaired by alcohol or a drug. At this point, however, the unanimity ends and the conflict arises.
[…]
The definitions of the offences mentioned in ss. 222 and 223 are also couched in a language that is plain and simple and in which nothing, either expressed or implied, indicates an intent of Parliament to exact, in every case, as being one of the ingredients of the offences, the proof of the presence of some element of actual or potential danger or to accept, as a valid defense, the absence of any. On the contrary, these and the other related provisions of the Code manifest the determination of Parliament to strike at the very root of the evil, to wit : the combination of alcohol and automobile, that normally breeds this element of danger which this preventive legislation is meant to anticipate.»
[23] Dans l’arrêt Ford, la preuve révélait que l’intimé avait pris place derrière le volant de son véhicule dans lequel une beuverie était en cour. Le véhicule se trouvait dans un champ accessible au public avec d’autres véhicules et son moteur avait été mis en marche à plusieurs reprises par l’intimé afin de faire fonctionner la chaufferette.
[24] La Cour suprême a conclu à la perpétration de l’infraction de garde et contrôle d’un véhicule avec un taux d’alcoolémie supérieur à 80 milligrammes d'alcool par 100 millilitres de sang malgré l’absence d’intention de l’intimé de mettre le véhicule en marche, ce qui, selon la Cour, n’est pas un élément constitutif de l’infraction.
[25] Le juge Ritchie, qui écrit au nom de la majorité, apporte les précisions suivantes au regard de l’actus reus de l’infraction de garde et contrôle:
Il peut y avoir garde même en l'absence de cette intention lorsque, comme c'est le cas en l'espèce, un accusé accomplit un acte ou une série d'actes ayant trait à l'utilisation d'un véhicule ou de ses accessoires, qui font que le véhicule peut être mis en marche involontairement, créant le danger que l'article vise à prévenir.
[26] Dans l’affaire Toews, l’intimé avait été retrouvé endormi sur le siège avant d’un véhicule, la tête du côté du passager, les jambes glissées dans un sac de couchage sous le volant. Les clés étaient dans le contact et la radio allumée; le moteur était toutefois éteint.
[27] Dans la foulée de l’arrêt Ford, le juge McIntyre a voulu cerner davantage l’actus reus ainsi que la mens rea de l’infraction de garde et contrôle:
[…] la mens rea de l'infraction d'avoir la garde ou le contrôle d'un véhicule à moteur est l'intention d'assumer la garde ou le contrôle après avoir volontairement consommé de l'alcool ou une drogue. L'actus reus est l'acte qui consiste à assumer la garde ou le contrôle du véhicule alors que la consommation volontaire d'alcool ou d'une drogue a affaibli la capacité de conduire.
[28] Faisant le point sur la jurisprudence portant sur la notion de garde et contrôle, le juge McIntyre conclut comme suit:
[…] Cependant, la jurisprudence citée illustre le point et amène à conclure que les actes de garde ou de contrôle, hormis l'acte de conduire, sont des actes qui comportent une certaine utilisation du véhicule ou de ses accessoires, ou une conduite quelconque à l'égard du véhicule qui comporterait le risque de le mettre en mouvement de sorte qu'il puisse devenir dangereux. Chaque affaire sera décidée en fonction de ses propres faits et les circonstances où l'on pourra conclure qu'il y a des actes de garde ou de contrôle varieront beaucoup. […]
[29] La Cour suprême a confirmé le verdict d’acquittement prononcé par la Cour d’appel de la Colombie-Britannique, considérant l’absence d’actus reus. En effet, il n’y avait aucune preuve directe que l’intimé ait mis la clé dans le contact ou la radio en marche. Selon la preuve, c’est son ami qui avait été le dernier conducteur du véhicule et qui devait le ramener chez lui après la soirée.
[30] Dans l’arrêt R. c. Penno (Penno), les policiers avaient trouvé l’appelant au volant d’une automobile volée alors qu’il était en état d’ébriété. Les clés étaient dans le contact et le moteur tournait. Le véhicule a reculé quelque peu alors que l’appelant en avait le contrôle. Le pourvoi portait essentiellement sur la validité de la défense selon laquelle l'appelant était ivre au point de ne pas se rappeler ce qui s’était passé.
[31] La Cour suprême a confirmé le verdict de culpabilité prononcé par la Cour d’appel de l’Ontario: l’intoxication étant un élément essentiel de l’infraction de garde et de contrôle d’un véhicule avec les facultés affaiblies, la possibilité de l’invoquer comme moyen de défense est exclue.
[32] Le juge Lamer, rédigeant ses propres motifs, a aussi résumé la règle consacrée par l’arrêt Toews:
Par contre, la loi ne manque pas totalement de souplesse et ne va pas jusqu'à punir la simple présence dans un véhicule à moteur d'une personne dont la capacité de conduire est affaiblie. En réalité, l'arrêt Toews consacre la règle que, lorsque l'utilisation du véhicule à moteur ne comporte aucun risque de le mettre en marche et de le rendre dangereux, les cours de justice devraient conclure qu'il y a absence d'actus reus. […]
[33] Dans R. c. Drakes, l’intimé, qui était en état d’ébriété, a été retrouvé debout près de son véhicule accidenté arrêté au milieu de la rue. Les clés étaient dans la voiture. L’intimé a fait une déclaration au policier dans laquelle il a admis être le conducteur du véhicule.
[34] Notre Cour a confirmé le verdict de culpabilité prononcé par la Cour des poursuites sommaires sur la base des arrêts Toews et Penno. Le juge Fish énonce que l’infraction de garde et contrôle d’un véhicule avec les facultés affaiblies est perpétrée dès que l’accusé se trouve dans des circonstances où il risque de mettre le véhicule en marche alors que son alcoolémie dépasse la limite permise.
[35] Dans l’arrêt R. c. Dupont, l’intimé a été retrouvé assis, derrière le volant de son véhicule, la tête appuyée sur le siège du passager, les pieds près des pédales. Les clés étaient dans le contact et les feux d’urgence clignotaient faiblement. Le véhicule était accidenté et ne pouvait plus démarrer parce que la batterie était déchargée.
[36] La poursuite avait invoqué l’application de la présomption édictée à l’article 258(1)a) C.cr. mais le juge du procès est demeuré muet sur cette question. Après une revue des arrêts Ford, Toews et Penno, notre Cour a confirmé la décision de la Cour supérieure concluant à la culpabilité de l’intimé. Le juge Proulx écrit que l’appelant n’a pas cherché à repousser la présomption de garde et contrôle en établissant qu’il n’avait pas l’intention de mettre le véhicule en marche, sa défense visant exclusivement à démontrer que le véhicule ne pouvait être mis en marche. Il en conclut que le juge du procès n’avait pas d’autre choix que d’appliquer la présomption légale.
[37] Dans l'arrêt Hamel, l’intimée occupait le siège du conducteur après avoir changé de place avec son copain, à l’approche d’un barrage policier. Celui-ci avait laissé les lumières du véhicule allumées et avait mis la clé de la voiture dans ses poches.
[38] Notre Cour, à la majorité, fut d’avis de rétablir le verdict de culpabilité sur la base des arrêts R. v. Price, et R. v. Thomson, cités avec approbation par la Cour suprême dans l’arrêt Toews. Les juges Proulx et Chamberland ont considéré que l’intimée avait à sa portée les moyens de mettre le véhicule en marche et qu’il y avait un danger imminent qu’elle reparte avec. Ils ont également tenu compte du fait que l’intimée n’avait pas nié avoir l’intention de mettre éventuellement le véhicule en marche.
[39] Il importe aussi de noter que le juge Phillipon, dont la dissidence ne porte pas sur le droit applicable en l’espèce, précise que l'absence de possession des clés par l’intimée n’est pas un facteur déterminant.
[40] Dans Rousseau c. R., notre Cour a aussi confirmé le verdict de culpabilité prononcé par la Cour supérieure. L’appelant a été retrouvé endormi sur le siège du conducteur de son véhicule qui était stationné derrière un bar. Le moteur était en marche, les vitres légèrement baissées, le levier de vitesse à la position « park » et le frein d’urgence levé. Il a affirmé ne pas avoir eu l’intention de mettre son véhicule en mouvement; il voulait seulement y dormir assez longtemps pour que les effets de l’alcool se dissipent.
[41] La poursuite avait choisi de ne pas invoquer la présomption édictée à l’article 258(1)a) C.cr., affirmant que les éléments constitutifs de l’infraction avaient été prouvés hors de tout doute raisonnable.
[42] Appliquant les arrêts Toews, Penno, Dupont et Hamel, le juge Letarte conclut que le fardeau de la poursuite dans le cadre de cette infraction est de démontrer la présence d’actes comportant une certaine utilisation du véhicule ou de ses accessoires ou encore une conduite quelconque à l’égard de ce véhicule qui comporte un risque de danger, compte tenu de la possibilité qu’il soit mis en mouvement.
[43] Dans cette affaire, notre Cour a considéré que les gestes suivants posés par l’intimé démontraient qu’il avait la garde et le contrôle du véhicule: déverrouiller la portière, s’asseoir sur le banc du conducteur, fermer la portière, baisser les vitres, mettre le levier d’embrayage à la position « park », tirer le levier du frein d’urgence, démarrer le moteur et l’appareil de chauffage. Elle a également jugé que le fait que l’intimé se soit endormi en espérant éliminer l’alcool dans les heures suivantes ne l’avait pas empêché d’avoir la garde et le contrôle de son véhicule.
[44] Finalement, dans l’arrêt R. c. Olivier, l’intimé, qui était en état d’ébriété, avait décidé d’aller attendre son ami dans le véhicule de ce dernier qui se trouvait stationné dans la cour du bar où il avait passé une partie de l’après-midi. Il a pris place derrière le volant, a mis la clé dans le contact pour actionner les accessoires du véhicule et s’est endormi.
[45] La poursuite a concédé que l’intimé n’avait pas l’intention de faire rouler la voiture ni même d’en mettre le moteur en marche. Le juge de première instance a conclu qu’il n’y avait aucun risque que l’intimé ne mette la voiture en marche et l'a acquitté. Le juge de la Cour supérieure n’a pas trouvé cette conclusion déraisonnable.
[46] Notre Cour, qui a maintenu le verdict d’acquittement, a conclu que les juges des instances inférieures n’avaient pas commis d’erreur de droit quant à la définition du mot « contrôle ». Elle ne s’est toutefois pas prononcée sur la question de savoir si, en l’espèce, il y avait un danger que l’intimé mette la voiture en marche puisqu’il ne s’agit pas d’une pure question de droit sur laquelle ce pourvoi pouvait porter.
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