mardi 25 août 2009

Quelles conséquences tirer de l’inaptitude de l’accusé à subir son procès ?

X, Re, 2002 CanLII 37204 (QC C.Q.)

[44] L’accusé déclaré inapte à subir son procès (ISP) ne peut être assimilé à celui qui est trouvé NRC, au terme d’un procès ayant établi la commission de l’infraction. Un verdict d’ISP est en principe préalable à la détermination de la responsabilité. Il est également initialement perçu comme étant de nature temporaire ou momentanée, le fruit des circonstances propres au début du procès et qu’il est possible, qu’avec un traitement approprié, une personne peut redevenir apte à subir son procès. C’est ce que reconnaît l’article 672.32 C.cr. Il appartient cependant à la partie qui entend démontrer que l’accusé est devenu apte de le prouver selon la prépondérance des probabilités (art. 672.32(2) C.cr.).

[45] Au terme d’un verdict d’ISP, le tribunal peut, de sa propre initiative, tenir une audition relative à la décision à rendre à l’égard de l’adolescent. Cette audition a cependant un caractère mandatoire, si elle est demandée par l’accusé ou le poursuivant (art. 672.45(1) C.cr.)

[46] L’objet de cette audition est essentiellement d’évaluer la « dangerosité de l’accusé ». Il s’agit de pondérer les deux valeurs fondamentales au cœur de la Partie XX.1 du Code criminel, que sont :

- la protection de la société; et

- l’importance d’assurer un traitement juste et approprié du contrevenant qui souffre d’une maladie mentale.

[47] La procédure applicable pour cette audition a un caractère informel (art. 672.5(2) C.cr.). Elle requiert qu’un avis d’audition soit donné à toutes les parties (art. 672.5(5)) et, dans le cas des adolescents, cela inclut un avis à l’avocat qui représente l’adolescent, ainsi qu’au « père ou à la mère de celui-ci » (art. 13.2(2)b) L.J.C.). Le défaut d’envoyer un tel avis n’affecte pas la validité des procédures (art. 13.2(3) L.J.C.), sous réserve du par. (4). Selon ce par. 13.2(4), ce défaut annule les procédures subséquentes, sauf si le père ou la mère de l’adolescent est présent au tribunal (a) ou que le tribunal ajourne les procédures et ordonne que tel avis soit donné (b); ou qu’il accorde l’autorisation de ne pas donner cet avis, si compte tenu des circonstances, celui-ci n’est pas justifié (c).

[48] Selon l’article 672.45(2), le tribunal pourra rendre une décision (visée à l’art. 672.54) à l’égard de l’adolescent déclaré ISP, s’il est convaincu qu’il est en mesure de rendre la décision sans difficulté (suggérant qu’il a entre les mains les informations suffisantes et appropriées pour ce faire) et que cette décision devrait être rendue sans délai.

[49] Selon l’article 672.46, à défaut de rendre une telle décision, il y aura maintien du statu quo, i.e. des ordonnances en vigueur à l’égard de l’accusé au moment où est prononcé le verdict d’ISP. Celles-ci resteront en vigueur jusqu’au moment où la Commission d’examen se penchera sur la situation de l’accusé, soit selon les termes de l’art. 672.47(1), dans les meilleurs délais, et au plus tard, dans un délai de 45 jours.

[50] La question qui se pose est donc de déterminer qui (du tribunal pour adolescents ou de la commission d’examen) est en meilleure position pour rendre cette décision, compte tenu des informations disponibles et de leur spécialisation respective.

[51] La Commission d’examen est constituée en vertu du droit provincial, aux conditions énoncées aux art. 672.38 et suiv. Notons que l’art. 672.4(1) précise que le président de la commission est un juge – ou un juge à la retraite – de la cour fédérale, d’une cour supérieure ou d’une cour de district ou de comté. Au Québec, les fonctions de la Commission d’examen sont exercées par la « section des affaires sociales » du Tribunal administratif du Québec. Rien n’indique cependant que des règles particulières s’appliquent à l’égard des adolescents.

[52] Ainsi, dans le cadre de l’audition sur les décisions à rendre à l’égard d’un accusé, l’avocat qui le représente et celui de la poursuite devraient faire valoir des motifs justifiant de modifier le statu quo. Si la nécessité lui en est démontrée, le tribunal peut, en vertu de l’art. 672.46(2), avant que la commission d’examen ne se prononce, annuler les ordonnances antérieures (en vigueur au moment du prononcé du verdict) et rendre une ordonnance de mise en liberté provisoire ou de détention, dans la mesure où il le juge indiqué, et même ordonner que l’adolescent soit détenu dans un hôpital. Dans le cas d’un adolescent, il doit s’agir d’un hôpital désigné par le ministre de la Santé de la province en vue de la garde, du traitement et de l’évaluation des adolescents (art. 13.2(11) L.J.C.)

[53] Les décisions que peut rendre le tribunal à l’égard d’un adolescent déclaré ISP sont énoncées à l’art. 672.54 :

- soit la libération sous conditions : « la libération de l’accusé sous réserve des modalités que le tribunal (…) juge indiquées » (art. 672.54b) »

- ou la détention dans un hôpital (pour adolescents) « la détention de l’accusé dans un hôpital sous réserve des modalités que le tribunal (…) juge indiquées » (art. 672.54c)).

[54] La libération inconditionnelle n’est pas une alternative possible pour l’accusé déclaré ISP; elle ne l’est seulement qu’à l’égard des personnes trouvées non-responsables criminellement (NRC) et ce, que dans la mesure où le tribunal est d’avis que cette personne « ne représente pas un risque important pour la sécurité du public » (art. 672.54a)).

[55] Cette différence de traitement (entre les ISP et les NRC) a fait l’objet de contestations constitutionnelles. Bien que les personnes souffrant de maladies mentales ne sont pas présumées dangereuses et que « la détention d’une personne qui n’a pas été déclarée coupable (ou qui attend la tenue du procès où il sera statué sur sa culpabilité) ne soit justifiée en application du droit criminel que si elle vise à assurer la protection du public », la différence de traitement repose principalement sur le potentiel que la personne déclarée ISP pourrait redevenir apte à subir son procès et ainsi, répondre éventuellement à l’accusation portée contre elle. En effet, le tribunal n’a pas encore statué sur son innocence ou sa culpabilité sur l’infraction reprochée.

[56] On reconnaît ainsi que l’inaptitude à subir son procès puisse être de nature temporaire ou momentanée (art. 672.32 C.cr.). Il reste néanmoins que certaines maladies mentales peuvent avoir un caractère permanent, ayant pour conséquence d’assujettir cette personne, tant que la Couronne sera en mesure de faire la preuve prima facie de la commission de l’infraction (art. 672.33), toute sa vie durant au régime criminel.

[57] Les facteurs à prendre en considération dans le choix de la mesure appropriée pour assurer le traitement de l’accusé et la protection de la société sont énoncés au par. (1) de l’art. 672.54 C.cr.

[58] Cette décision doit être « la moins sévère et la moins privative de liberté » et tenir compte de « la nécessité de protéger le public face aux personnes dangereuses, de l’état mental de l’accusé et de ses besoins, notamment de la nécessité de sa réinsertion sociale ». Cette disposition doit aussi se lire avec l’art. 13.2(6) L.J.C. qui précise qu’avant de rendre une décision, le tribunal pour adolescents doit prendre en considération l’âge et les besoins spéciaux de l’adolescent, ainsi que les observations que présente le père ou la mère de l’adolescent.

[59] En outre, une ordonnance de traitement peut aussi être rendue à l’égard d’une personne déclarée ISP. Des règles particulières s’y appliquent. Selon l’article 672.55(1), le tribunal ne peut prescrire de traitement, notamment un traitement psychiatrique ou ordonner qu’un accusé s’y soumette. La décision rendue sous l’article 672.54 peut cependant comporter une « condition relative à un traitement que le tribunal (…) estime raisonnable et nécessaire aux intérêts de l’accusé et à laquelle celui-ci consent ».

[60] L’article 672.58 C.cr. accorde en outre au poursuivant la possibilité de demander une ordonnance de traitement, dans le cas d’un verdict d’ISP à l’égard d’une personne qui n’est pas déjà détenue, si le tribunal ne rend pas de décision sous 672.54. Un tel traitement doit s’échelonner sur une période maximale de soixante jours et vraisemblablement permettre de rendre l’accusé apte à subir son procès. Les critères applicables à une telle décision sont prévus à l’article 672.59. Une telle décision ne peut être rendue sans que l’accusé ait été informé par écrit de la demande (art. 672.6 C.cr.), y compris, ses parents, dans le cas des adolescents (art. 13.2(2)b)). D’autres conditions s’appliquent à une telle décision (art. 672.62).

[61] Si le tribunal ne rend pas de décision en vertu de l’article 672.54, il appartiendra à la commission d’examen de le faire (art. 672.47). Elle devra alors réexaminer la question de l’aptitude de l’accusé à subir son procès (art. 672.48); si elle détermine qu’il est apte, elle ordonne le renvoi devant le tribunal qui devra décider de nouveau de cette aptitude. Elle pourra alors prévoir que l’accusé soit détenu dans un hôpital dans l’intervalle (art. 672.49).

[62] La révision périodique de l’accusé jugé ISP consiste d’abord à déterminer si cette inaptitude continue d’exister et si les décisions visées à l’art. 672.54 et les modalités de celles-ci doivent être modifiées. Cette révision par la commission d’examen doit avoir lieu à tous les ans (art. 672.81). Il s’agit dans chaque cas d’évaluer l’état mental de l’accusé, l’évolution de sa situation, son aptitude à subir son procès et des décisions relatives à sa détention ou aux conditions de sa libération.

[63] Parallèlement, une révision périodique de la suffisance de la preuve eu égard à l’infraction reprochée (ayant enclenché le processus criminel à l’égard de l’accusé) est prévue à l’art. 672.33 C.cr. Celle-ci doit avoir lieu à tous les deux ans dans le cas des contrevenants adultes et à tous les ans dans le cas des adolescents (art. 13.2(10) L.J.C.). La question de savoir à qui incombe cette obligation de révision périodique est nuancée.

[64] Dans l’affaire R.v.J.I., il a été retenu que cette obligation incombe à la Cour plutôt qu’à la Couronne; « a mandatory obligation is placed on the court to hold the inquiry under s. 672.33 ». Interprétant les différentes dispositions de cette Partie XX.1, le juge Loo, de la Cour supérieure estime que si le Parlement avait voulu que la Couronne ait telle obligation de présenter une telle demande d’audition sous l’art. 672.33, il aurait pu s’exprimer clairement. En outre, le fait de dépasser le délai d’un an (dans le cas des adolescents) n’entraîne pas une perte de compétence du tribunal pour adolescents, en application de l’article 485(1) du Code criminel, une mesure curative qui opère pour corriger des irrégularités procédurales lorsque il y a eu défaut de la cour d’exercer sa compétence (ou juridiction) à l’intérieur d’un délai particulier, à moins que l’accusé ne puisse démontrer un préjudice souffert en raison de ce défaut (art. 485(4)), ce qui ne fut pas le cas en l’espèce. Le juge reprend l’extrait suivant de K. Roach, Criminal Law in Canada, 1997 :

"If the accused is found unfit to stand trial, the Crown is required to establish a prima facie case against the accused every two years until the accused is either found fit to be tried or is acquitted because the Crown cannot establish a prima facie case. These safeguards are designed to ensure that a factually innocent accused is not subject to detention in the same manner as an accused who committed the criminal act, but was found guilty by reason of mental disorder."

[65] Ainsi, le défaut pour la Cour de tenir l’audition prévue à l’art. 672.33 C.cr., un an après le verdict, ne lui fait pas perdre sa compétence. Le remède à une telle erreur est la tenue d’une audition, dans les meilleurs délais. Le juge de la Cour supérieure n’a pas vu d’erreur de la part du premier juge justifiant son intervention ; lequel avait conclu :

¶ 41 " I find that this Court should have held an inquiry within the year following the unfit to stand trial verdict but that the failure to do so does not deprive this Court of jurisdiction.

¶ 42 We should fix an early date for the hearing."

[66] Mentionnons cependant que dans Martin’s Criminal Code 2002, on semble plutôt imputer cette responsabilité à la Couronne; on peut lire sous cet art. 672.33 :

"This provision imposes a continuing obligation on the Crown, with respect to an unfit accused, to demonstrate its case every two years such that no individual declared unfit to stand trial may continue to be held where the Crown is unable to prove the charge against the accused if required to do so. "

[67] En outre, le défaut pour la Couronne de se présenter devant le tribunal périodiquement, pourra donner lieu à une ordonnance de la Cour supérieure. Dans R. c. Demers, le juge Richard Grenier a en effet ordonné au Procureur général qu'il amène le requérant devant un juge de la Cour du Québec afin qu'il soit statué s'il existe toujours suffisamment d'éléments de preuve pour ordonner que l'accusé subisse son procès (art. 672.33(1) et (6)).

[68] À tout le moins, pourrait-on dire qu’il s’agit d’une obligation conjointe pour le tribunal, pour le procureur de la Couronne, ainsi que pour l’avocat qui représente l’accusé de s’assurer que cette audience ait lieu.

[69] Cette audition sous l’art. 672.33 devra être reprise périodiquement, jusqu’à ce que l’une des deux alternatives suivantes surviennent :

- en l’absence de preuve prima facie, l’accusé sera acquitté (art. 672.33(6)

- s’il devient apte, et que cette preuve suffisante existe, il sera envoyé pour subir son procès.

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