lundi 7 septembre 2009

Détention aux fins d'enquête

R. c. Briand, 2005 CanLII 21597 (QC C.Q.)

[66] Selon la common law, les policiers peuvent procéder à une détention dans un but d'enquête s'ils ont des motifs précis ou concrets.

[67] Le Juge Iacobucci expose ainsi la notion de "motifs concrets" au paragraphe 27 de l'arrêt Mann, précité :

"Dans l'arrêt R. c. Simpson 1993 CanLII 3379 (ON C.A.), (1993), 12 O.R. (3d) 182, la Cour d'appel de l'Ontario a donné des précisions utiles sur ce deuxième volet du critère établi dans l'arrêt Waterfield, concluant à la p. 200 que les détentions aux fins d'enquête ne sont justifiées en common law que [TRADUCTION] "dans les cas où l'agent qui procède à la détention a des "motifs concrets" de le faire", concept emprunté à la jurisprudence américaine. Le juge Doherty a défini ainsi la notion de "motifs concrets" à la p. 202 :

[TRADUCTION]… un ensemble de faits objectivement discernables donnant à l'agent qui exerce la détention un motif raisonnable de soupçonner que la personne détenue est criminellement impliquée dans l'activité faisant l'objet de l'enquête.

Bien qu'étant un critère clairement moins exigeant que les motifs raisonnables et probables requis pour qu'il y ait une arrestation légale (Simpson, précité, p. 203), les motifs concrets constituent eux aussi une norme à la foi objective et subjective (R. c. Storrey, 1990 CanLII 125 (C.S.C.), [1990] 1 R.C.S. 241, p. 250; R. c. Feeney, 1997 CanLII 342 (C.S.C.), [1997] 2 R.C.S. 13, par. 29)."

[68] Préférant l'emploi des termes "motifs raisonnables de détention" à l'expression américaine "motifs concrets", le Juge Iacobucci conclut son opinion aux paragraphes 34 et 35 de l'arrêt Mann :

"Il ressort de la jurisprudence plusieurs principes directeurs régissant l'utilisation du pouvoir des policiers en matière de détention aux fins d'enquête. L'évolution du critère formulé dans l'arrêt Waterfield, de même que l'obligation des policiers de disposer de motifs concrets établie dans l'arrêt Simpson, requiert que les détentions aux fins d'enquête reposent sur des motifs raisonnables. La détention doit être jugée raisonnablement nécessaire suivant une considération objective de l'ensemble des circonstances qui sont à la base de la conviction du policier qu'il existe un lien clair entre l'individu qui sera détenu et une infraction criminelle récente ou en cours. La question des motifs raisonnables intervient dès le départ dans cette détermination, car ces motifs sont à la base des soupçons raisonnables du policier que l'individu en cause est impliqué dans l'activité criminelle visée par l'enquête. Toutefois, pour satisfaire au deuxième volet du critère établi dans l'arrêt Waterfield, le caractère globalement non abusif de la décision de détenir une personne doit également être apprécié au regard de l'ensemble des circonstances, principalement la mesure dans laquelle il est nécessaire au policier de porter atteinte à une liberté individuelle afin d'accomplir son devoir, la liberté à laquelle il est porte atteinte, ainsi que la nature et l'étendue de cette atteinte.

Il n'y a pas nécessairement correspondance entre les pouvoirs dont disposent les policiers et les devoirs qui leur incombent. Bien que, suivant la common law, les policiers aient l'obligation d'enquêter sur les crimes, ils ne sont pas pour autant habilités à prendre n'importe quelle mesure pour s'acquitter de cette obligation. Les droits relatifs à la liberté individuelle constituent un élément fondamental de l'ordre constitutionnel canadien. Il ne faut donc pas prendre les atteintes à ces droits à la légère et, en conséquence, les policiers n'ont pas carte blanche en matière de détention. Le pouvoir de détention ne saurait être exercé sur la foi d'une intuition ni donner lieu dans les faits à une arrestation."

[69] En l'occurrence, que révèle la preuve ?

[70] L'agent témoigne avoir remarqué un véhicule qui circule à une vitesse supérieure à la limite. Le Tribunal souligne que l'agent n'a pas spécifié sur quoi reposait cette conclusion. D'ailleurs, son évaluation visuelle est à ce point imprécise qu'il ne peut dire à quelle vitesse roulait le véhicule conduit par l'accusé. Selon l'agent Samuel, la position respective des véhicules empêchait de recourir à l'appareil radar dont était équipé le véhicule patrouille.

[71] L'autre fait mentionné par l'agent est que le conducteur, en entrant chez lui a franchi un remblai de neige dont la hauteur, selon les témoins, varie de 15 à 45 cm.

[72] Il appert du témoignage de l'agent de la paix qu'il n'était pas dans son intention de remettre un constat d'infraction au conducteur. D'ailleurs, outre l'opinion du policier quant à un possible excès de vitesse, rien ne peut être reproché au conducteur quant à la conduite de son véhicule à moteur.

[73] De l'ensemble de la preuve, le Tribunal retient que l'agent de la paix n'avait aucun motif raisonnable de croire que le conducteur avait commis une infraction au Code de la sécurité routière, au Code criminel ou à quelque loi que ce soit[7].

[74] Pouvait-on recourir à la détention pour fins d'enquête ?

[75] Des faits mis en preuve, le Tribunal n'est même pas convaincu que l'intervention policière auprès de l'accusé s'inscrivait dans le cadre d'une véritable enquête relative à la commission d'une quelconque infraction présumément commise.

[76] La preuve ne révèle pas en effet que le policier voulait enquêter sur l'excès de vitesse qui avait attiré son attention.

[77] Tout en présumant que les actions de l'accusé était sous enquête et tout en présumant que le policier pouvait recourir à la détention aux fins d'enquête en matière d'infraction non criminelle, le Tribunal conclut qu'en l'espèce l'agent de la paix ne disposait pas de "motifs raisonnables de détention" pour agir comme il l'a fait.

[78] Compte tenu des circonstances, les conclusions que l'on peut tirer objectivement des observations de l'agent de la paix à propos de l'excès de vitesse et du passage du remblai de neige ne confèrent aucun motif raisonnable de procéder à une détention pour fins d'enquête.

[79] La situation décrite par le policier avant de pénétrer dans l'entrée privée de l'accusé ne révèle pas que la détention pour fins d'enquête était raisonnablement justifiée.

[80] D'ailleurs, l'agent de la paix lui-même n'a même pas concrètement affirmé qu'il croyait subjectivement que la détention pour fins d'enquête était raisonnablement justifiée.

[81] Des faits mis en preuve, il est déraisonnable et excessif de conclure que le policier agissait dans le cadre d'une enquête relative à la commission d'une quelconque infraction et qu'il était justifié de détenir l'accusé aux fins de cette enquête.

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