lundi 7 septembre 2009

Interpellation policière fondée sur la common law

R. c. Briand, 2005 CanLII 21597 (QC C.Q.)

[50] Étant donné que la conduite du policier constitue à première vue une atteinte illicite à la liberté ou aux biens d'une personne, le Tribunal doit procéder à une analyse comportant deux volets.

[51] Dans l'arrêt R. c. Mann, (2004) A.C.S., no 49, le Juge Iacobucci s'exprime ainsi aux paragraphes 24 et 26 de sa décision :

"Le critère servant à déterminer si un policier a agi conformément aux pouvoirs que lui confère la common law a d'abord été formulé par la Cour d'appel d'Angleterre en matière de juridiction criminelle dans l'arrêt Waterfield, précité, aux p. 660-661. Il s'est dégagé de cet arrêt une analyse à deux volets applicable lorsque la conduite du policier constitue à première vue une atteinte illicite à la liberté ou aux biens d'une personne. En pareil cas, le tribunal se demande d'abord si la conduite du policier à l'origine de l'atteinte entre dans le cadre général d'un devoir imposé à ce dernier par une loi ou par la common law. Si cette condition préliminaire a été satisfaite, le tribunal poursuit l'analyse et se demande si cette conduite, bien qu'elle respecte le cadre général du devoir en question, a donné lieu à un emploi injustifiable de pouvoirs afférents à ce devoir."

"À la première étape du critère de l'arrêt Waterfield, on reconnaît que les pouvoirs des policiers découlent de la nature et de l'étendue de leurs devoirs, y compris, selon la common law, "le maintien de la paix, la prévention du crime, et la protection de la vie des personnes et des biens" (Dedman, précité, p. 32). À la deuxième étape du critère, il faut établir un juste équilibre entre les intérêts qui s'opposent, à savoir les devoirs des policiers et les droits à la liberté qui sont en jeu. Pour appliquer ce volet du critère, il faut :

déterminer si une atteinte aux droits individuels est nécessaire à l'accomplissement du devoir des agents de la paix, et si elle est raisonnable, compte tenu des intérêts d'ordre public servis par, d'un côté, la répression efficace des agissements criminels, et de l'autre, le respect de la liberté et de la dignité fondamentale des individus.

(Cloutier, précité, p. 181-182)

À cette étape, le tribunal s'attache à la nécessité ou à la justification raisonnable de la conduite du policier dans les circonstances particulières de l'affaire. De façon plus précise, le juge LeDain a indiqué, à la p. 35 de l'arrêt Dedman, précité, que la nécessité et le caractère raisonnable de l'atteinte à la liberté doivent être évaluées en tenant compte de la nature de la liberté entravée et de l'importance de l'intérêt public servi par cette atteinte."

[52] Au paragraphe 25 de son opinion, le Juge Iacobucci mentionne que la Cour suprême du Canada a adopté, précisé puis appliqué progressivement le critère de l'arrêt Waterfield dans plusieurs contextes, notamment la légalité de l'interception au hasard d'automobiles dans le cadre du programme Reduced Impaired Driving Everywhere (R.I.D.E.) dans l'arrêt Dedman, précité.

[53] Il appert de l'arrêt Dedman que l'interception d'un véhicule faite au hasard par la police, si elle est motivée par le contrôle de la circulation routière, est légale en common law étant donné l'importance d'améliorer la détection de la conduite avec facultés affaiblies et de la décourager.

[54] Autrement dit, selon la common law, un agent de la paix a le pouvoir de procéder à l'interception au hasard d'un véhicule à moteur si le contexte de son intervention s'inscrit dans l'exercice de ses fonctions pour contrôler la sobriété des conducteurs et assurer la sécurité sur les routes.

[55] Toutefois, les principes élaborés dans l'arrêt Dedman ne peuvent être interprétés de façon à justifier l'intervention policière sous étude qui s'est déroulée sur une propriété privée.

[56] On aurait tort en effet d'assimiler une intervention policière sur un chemin public à une interpellation policière survenue sur un terrain privé et ainsi conclure que l'importance de dissuader la conduite avec les facultés affaiblies par l'alcool ou la drogue autorise les policiers à s'introduire sur les terrains privés pour entreprendre une enquête visant à contrôler la sobriété d'un conducteur.

[57] Quoique légitime, la fin ne peut justifier tous les moyens.

[58] La prudence est de mise lorsqu'on invite les tribunaux à étendre ou à élargir la portée d'une restriction aux droits individuels reconnue par la jurisprudence.

[59] Le Tribunal a à l'esprit la mise en garde formulée par le Juge La Forest dans l'arrêt R. c. Evans, 1996 CanLII 248 (C.S.C.), (1996) 1 RCS 8, alors qu'il s'exprime ainsi, à la page 14 :

"Je tiens simplement à ajouter qu'une restriction apportée à une règle par les tribunaux a tendance à s'étendre à d'autres domaines où la restriction n'est pas nécessaire, et mène donc à une érosion progressive de la règle qui, en l'espèce, est depuis longtemps jugée nécessaire à la protection de notre liberté. Comme Walter Gellhorn l'a dit (Individual Freedom and Governmental Restraints (1956), à la p. 40), [TRADUCTION] «de petites restrictions [à notre liberté] finissent par en former de grandes et devenir, avec l'habitude, aussi normales que la liberté l'était auparavant»"

[60] D'ailleurs, en matière d'intrusion policière sur une propriété privée, le Juge en chef Dickson, dans l'arrêt Kokesch, 1990 CanLII 55 (C.S.C.), (1990) 3 RCS 3, p. 17, s'exprime ainsi :

"Notre Cour a toujours dit que les droits que la common law reconnaît au détenteur d'un bien de ne pas subir d'intrusion policière ne peuvent être restreints que par des pouvoirs conférés par des dispositions législatives claires".

[61] Le ministère public n'a référé le Tribunal à aucune "disposition législative claire" autorisant les policiers à s'introduire sur un terrain privé pour s'approcher ensuite d'une personne dans le but avoué de lui demander pour examen le certificat d'immatriculation du véhicule, l'attestation d'assurance, son permis de conduire et de vérifier sa sobriété.

[62] En conséquence, le Tribunal conclut que l'interpellation policière sous étude n'entre pas dans le cadre général des devoirs d'un agent de la paix reconnus dans l'arrêt Dedman, précité.

[63] D'autre part, même si le Tribunal avait conclu que cette interpellation entrait dans le cadre général des devoirs d'un agent de la paix, le Tribunal déciderait qu'elle est une entrave déraisonnable au droit de ne pas être importuné sur son terrain privé et qu'elle constitue donc un emploi injustifiable d'un pouvoir relié à un devoir de la police.

[64] Par ailleurs, est-ce que l'intervention policière sous étude est fondée sur d'autres concepts inspirés de la common law ?

[65] Un certain nombre de décisions rendues au fil des années ont abouti à la reconnaissance en faveur des policiers d'un pouvoir limité de détention aux fins d'enquête et d'un pouvoir limité d'entrer dans des locaux privés pour procéder à une arrestation dans le cas d'une prise en chasse.

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