R. c. Briand, 2005 CanLII 21597 (QC C.Q.)
[82] La common law et le droit canadien reconnaissent aux agents de la paix un pouvoir général d'intrusion, même dans une résidence, dans le cadre d'une prise en chasse.
[83] La justification de ce droit d'entrer et la définition de prise en chasse sont ainsi énoncés par la Cour suprême dans l'arrêt Macooh, aux pages 815 à 817 :
"(ii) Le droit d'entrer en cas de prise en chasse :
justification
Il serait en premier lieu inacceptable que des policiers s'apprêtant à procéder à une arrestation tout à fait légitime en soient empêchés du seul fait que le contrevenant s'est réfugié dans sa demeure ou dans celle d'un tiers. Dans l'arrêt Eccles c. Bourque, précité, le juge Dickson affirmait que «le criminel n'est pas à l'abri d'une arrestation dans son propre foyer ou dans celui d'un de ses amis» (p. 743). Il ajoutait: «Je ne connais aucun endroit qui donne à un criminel fugitif un sanctuaire vis-à-vis d'une arrestation» (p. 744). Ces préoccupations ne sont nulle part aussi pertinentes que dans le cas d'une prise en chasse. Dans ce cas, le contrevenant n'est pas importuné à l'improviste par les policiers dans la tranquillité de sa vie privée. Il a gagné son domicile, après avoir pris la fuite, dans le seul but d'échapper à une arrestation. Dans de telles circonstances, on ne peut forcer les policiers à mettre fin à la poursuite au seuil de la demeure du contrevenant, sans faire de cette demeure un véritable sanctuaire, contrairement aux principes énoncés par notre Cour dans l'arrêt Eccles. On ne peut admettre non plus que la fuite du contrevenant –un acte contraire à l'ordre public- soit ainsi récompensée.
D'un point de vue plus pratique, il n'est pas souhaitable d'encourager les contrevenants à chercher refuge chez eux ou chez un tiers. Des dangers importants peuvent être associés à de telles fuites, et aux poursuites qui peuvent en résulter. Ainsi, dans le cas qui nous occupe, l'appelant, par sa fuite, a mis inutilement en péril la sécurité de ceux qui auraient pu se trouver sur son chemin.
D'autres motifs peuvent être invoqués au soutien d'une exception au principe de l'inviolabilité de la demeure en cas de prise en chasse. Comme le fait valoir le juge La Forest dans l'arrêt Landry, le policier, dans le contexte d'une prise en chasse, peut avoir une connaissance personnelle des faits qui justifient l'arrestation; cela diminue grandement les risques d'erreur. La fuite indique habituellement une certaine conscience de culpabilité de la part du contrevenant. En outre, il peut souvent être difficile, même si ce n'était pas le cas en l'espèce, d'identifier le contrevenant sans l'arrêter sur le champ. La preuve de l'infraction qui a donné lieu à la poursuite ou d'une infraction connexe peut être perdue; en l'espèce, par exemple, quand l'accusé a été appréhendé, on a constaté des signes d'ébriété. Enfin, ce dernier peut fuir à nouveau ou commettre l'infraction et l'on ne peut exiger des policiers qu'ils assurent indéfiniment la surveillance de la demeure du contrevenant au cas où ce dernier se déciderait à sortir.
En somme, cette exception est fondée sur le bon sens, qui répugne à ce que le contrevenant puisse échapper à une arrestation en se réfugiant chez lui ou chez un tiers. C'est pourquoi, dans la mesure où une arrestation sans mandat est permise au départ, la fuite du contrevenant dans une maison d'habitation ne peut pas rendre l'arrestation illégale. L'entrée des policiers, en cas de prise en chasse, est alors parfaitement justifiée.
(iii) La prise en chasse : définition
Notre Cour a mentionné plusieurs fois cette exception au principe de l'inviolabilité de la demeure, mais n'a jamais eu l'occasion de définir la prise en chasse. Le juge Chadwick, dans l'arrêt Miller c. Stewart, [1991] O.J. No. 2238 (Q.L.) (C. Ont., Div. Gén.) notait à cet égard, à la p. 25 :
[TRADUCTION] Diverses autorités parlent de «prise en chasse» («hot pursuit») mais il n'existe pas vraiment de définition de cette expression. À mon avis, le bon sens doit guider l'analyse de ce qui constitue une prise en chasse.
De manière générale, et sous réserve des précisions qui pourraient être nécessaires selon les situations de fait soumises aux tribunaux, j'estime que l'approche proposée par R. E. Salhany dans Canadian Criminal Procedure (5e éd. 1989), à la p. 44, permet de bien cerner le concept de prise en chasse :
[TRADUCTION] Généralement, l'essence de la prise en chasse est qu'elle doit être continue et effectuée avec diligence raisonnable, de façon à ce que la poursuite et la capture, avec la perpétration de l'infraction, puissent être considérées comme faisant partie d'une seule opération.".
[84] Le droit d'entrer en cas de prise en chasse exige donc de l'agent de la paix qu'il ait préalablement le droit d'arrêter sans mandat.
[85] En matière criminelle, un agent de la paix peut arrêter sans mandat une personne qui a commis une infraction ou qui, d'après ce qu'il croit pour des motifs raisonnables, a commis ou est sur le point de commettre une infraction (art. 495(1) C.cr.).
[86] En matière pénale provinciale, les articles 72 à 75 du Code de procédure pénale, L.R.Q., c. C-25.1 encadrent les pouvoirs d'interpellation des agents de la paix. L'article 72 du Code stipule que l'agent de la paix doit avoir des motifs raisonnables de croire qu'une personne a commis une infraction avant d'agir.
[87] Dans l'arrêt R. c. Beaupré, AZ-50081295, J.E. 2001-17, la Cour d'appel du Québec énonce le critère des motifs raisonnables, aux paragraphes 20 à 22 de la décision :
"Dans l'arrêt R. c. Storrey, 1990 CanLII 125 (C.S.C.), [1990] 1 R.C.S. 241, la Cour suprême a développé les critères permettant d'évaluer la légalité d'une arrestation sans mandat. Le juge Cory écrivait au sujet de l'application de l'article 450(1), [maintenant 495(1)] du Code criminel, aux pages 250-251 :
En résumé donc, le Code criminel exige que l'agent de police qui effectue une arrestation ait subjectivement des motifs raisonnables et probables d'y procéder. Ces motifs doivent en outre être objectivement justifiables, c'est-à-dire qu'une personne raisonnable se trouvant à la place de l'agent de police doit pouvoir conclure qu'il y avait effectivement des motifs raisonnables et probables de procéder à l'arrestation. Par ailleurs, la police n'a pas à démontrer davantage que l'existence de motifs raisonnables et probables. Plus précisément, elle n'est pas tenue, pour procéder à l'arrestation, d'établir une preuve suffisante à première vue pour justifier une déclaration de culpabilité.
L'existence de motifs raisonnables doit se justifier au-delà des simples soupçons qu'un agent de la paix peut avoir au sujet d'une personne. (R. c. Kokesh, 1990 CanLII 55 (C.S.C.), [1990] 3 R.C.S. 3; Hunter c. Southam, 1984 CanLII 33 (C.S.C.), [1984] 2 R.C.S. 145; R. c. Bennett 1996 CanLII 6344 (QC C.A.), (1996), 108 C.C.C. (3d) 175 (C.A. Qué.)). L'agent de la paix doit croire – personnellement – qu'un crime a été commis ou est sur le point de l'être en se fondant sur des informations fiables et convaincantes sans toutefois nourrir une complète certitude relativement à l'exactitude de ces informations. Bref, le portrait factuel dont bénéficie l'agent de la paix, préalablement à son intervention, doit être sérieux et consistant.
Une fois démontrée la croyance subjective du policier, la Cour doit encore se demander si les exigences relatives au critère objectif proposé dans R. c. Storrey, précité, sont remplies. La Cour doit alors déterminer si une personne raisonnable se trouvant dans la même situation que le policier aurait cru à l'existence de motifs raisonnables justifiant l'arrestation de la personne sans mandat. Dans l'arrêt R. c. Collins, 1987 CanLII 84 (C.S.C.), [1987] 1 R.C.S. 265, la Cour suprême a déterminé que le concept de «personne raisonnable» se rapportait à une personne de type moyen évoluant au sein de la société."
[88] En l'espèce, le Tribunal réitère sa conviction exprimée au paragraphe 73 que l'ensemble des circonstances ayant entouré l'interpellation de l'accusé ne satisfait pas aux critères du caractère raisonnable.
[89] En effet, le portrait factuel dont bénéficiait l'agent de la paix quant à la commission d'une infraction d'excès de vitesse n'est nullement convaincant. Ainsi, la preuve ne révèle pas sur quoi repose l'opinion du policier que l'accusé roulait à une vitesse excessive. Le policier lui-même n'a pu mentionner à quelle vitesse circulait le véhicule suspect et l'appareil radar n'était pas opérationnel.
[90] De plus, le concept de prise en chasse suppose généralement que le contrevenant prend la fuite et se réfugie dans un endroit privé pour échapper à une interpellation ou à une arrestation.
[91] En l'espèce, la preuve révèle que les policiers n'ont même pas signalé leur présence au conducteur. À nul moment, les policiers n'ont eu recours aux gyrophares, à l'appel de phares ou à la sirène pour indiquer au conducteur qu'il devait s'immobiliser.
[92] Le recours aux gyrophares et autres équipements disponibles dans les véhicules patrouilles n'est pas une exigence formelle pour invoquer la doctrine de la prise en chasse. Toutefois, dans le présent dossier, la preuve est nettement insuffisante pour conclure que les policiers pourchassaient le conducteur.
[93] En conséquence, le Tribunal constate que l'intervention policière ne peut être fondée sur le pouvoir d'intrusion dans le cadre d'une prise en chasse.
[94] D'ailleurs, les tribunaux sont réticents à admettre de telles intrusions policières sur la propriété privée en l'absence de motifs raisonnables.
[95] Dans l'arrêt Caissie, (1999) A.N.-B. no 254, le Juge en chef Daigle résume ainsi les faits, au paragraphe 4 :
"Le 11 mai 1996, vers 21h44, l'agent de police Gosselin était en faction dans son auto-patrouille et s'apprêtait à quitter une propriété privée pour s'engager sur la route lorsqu'il a vu s'approcher une voiture. À ce moment-là, rien d'anormal ne ressortait de la façon dont la voiture circulait mais le policier a dit à l'étudiant-policier qui l'accompagnait qu'il allait intercepter cet automobiliste "pour vérifier ses papiers". Au moment même où le policier annonçait son intention d'intercepter l'automobiliste, celui-ci s'est dirigé dans une entrée privée située de l'autre côté de la route avant de s'arrêter près d'une résidence à une distance d'environ 75 pieds de la route. Le policier l'a immédiatement suivi dans la même entrée pour s'arrêter juste à l'arrière de la voiture qu'il voulait intercepter. Il s'est alors rendu à la portière du conducteur où il a aperçu M. Caissie au volant et lui à demandé son permis de conduire, le certificat d'immatriculation du véhicule et la preuve d'assurance. M. Caissie a acquiescé à la demande en lui fournissant les pièces demandées. Selon le témoignage du policier, il a alors observé la présence de bouteilles de bière dans la voiture et plusieurs indices d'ébriété chez M. Caissie, notamment une forte odeur d'alcool provenant de son haleine, une façon très lente de parler, et lorsqu'il est sorti de sa voiture, de la difficulté à se tenir debout et à marcher. Il a ensuite arrêté M. Caissie pour conduite en état d'ébriété. Un peu plus tard, au détachement de la GRC et après avoir consulté un avocat, M. Caissie a fourni des échantillons d'haleine pour fins d'alcoolémie."
[96] Concluant que la législation provinciale (art. 15(1)d) de la Loi sur les véhicules à moteur) autorise une interpellation au hasard d'un automobiliste sur la route et non sur une propriété privée, le juge de première instance décidait que la détention arbitraire, contraire à l'article 9 de la Charte, ne pouvait en l'espèce être sauvegardée par l'article 1 de la Charte parce qu'elle avait été effectuée sans autorisation légitime de la loi ou de la common law. En conséquence, le juge écarta tous les éléments de preuve qui ont suivi la détention arbitraire de l'accusé Caissie.
[97] La Cour d'appel du Nouveau-Brunswick confirme la décision du premier juge et émet le commentaire suivant au paragraphe 16 :
"Ayant conclu à l'absence d'une prise en chasse dans la récente affaire, cette Cour n'a pas à se prononcer aujourd'hui sur la question de savoir si l'interpellation au hasard d'un automobiliste autorisée en vertu de l'al. 15(1)d), précité, donnerait aux policiers en cas de prise en chasse le droit d'entrer sur une propriété privée pour y compléter l'interception de l'automobiliste. Le droit d'entrer en cas de prise en chasse qui existait en common law et qui est confirmé dans l'arrêt Macooh découle d'une situation où il y a eu perpétration d'une infraction et poursuite d'un contrevenant fugitif pour l'arrêter. La situation d'une interpellation d'un automobiliste au hasard est très différente parce qu'elle n'exige pas la perpétration d'une infraction, même pas de motifs raisonnables d'interpeller, et ne vise pas à permettre l'arrestation d'un contrevenant. Compte tenu de ces différences, il me paraît douteux que les considérations de principe et les motifs invoqués au soutien d'une exception au principe de l'inviolabilité du domicile dans le cas d'une prise en chasse en vue d'une arrestation puissent également l'emporter dans le cas d'une interpellation d'un automobiliste visant la simple vérification d'un véhicule ou du permis ou des assurances du conducteur. (Voir l'arrêt Macooh, pp. 816 à 819.) Quoi qu'il en soit il me paraît préférable de reporter à un autre jour l'examen de cette question après avoir reçu le bénéfice de plaidoiries à cet égard."
[98] À l'occasion de l'affaire, R. c. Bédard, [2000] J.Q. no 1617, C.Q., le Juge Jean-François Gosselin répond par la négative à la question suivante formulée dans le premier paragraphe de sa décision :
"Un policier, guidé par sa simple intuition à l'effet qu'il y a quelque chose d'anormal", peut-il intercepter un véhicule automobile qui circule ailleurs que sur un chemin public et "vérifier le conducteur", alors même que cette intervention n'est justifiée par aucun motif raisonnable et probable de croire qu'une infraction a été commise, ni par aucun soupçon précis de cette nature?"
[99] Dans l'affaire R. c. Maciel, [2003] O.J. no 126, le Juge Duncan est saisi d'arguments qui présentent beaucoup d'analogie avec ceux soumis par la défense dans le présent dossier.
[100] L'arrêtiste expose les faits et résume le jugement ainsi :
"Trial of the accused, Maciel, on charges of impaired driving and driving with a blood alcohol level over .08. Police received a telephone report of a possible impaired driver. They checked the licence plate number and an officer drove to the address of the registered owner. A few minutes later, the officer saw Maciel drive slowly up the street and turn into his driveway. The officer pulled his cruiser in behind Maciel's car and approached. As Maciel exited his car, the officer noted indicia of impairment. He asked Maciel how much he'd had to drink and Maciel answered that he had had two or three beers. The officer then formed the opinion that Maciel was impaired and arrested him. Maciel argued that the officer's observations and questioning in his driveway constituted an unlawful search and a breach of s. 8 of the Charter.
Maciel was convicted on both counts. Although there was no statutory authority for the search, it was not unlawful. Maciel's driveway or the edge of his property was not a sanctuary from police investigation into his immediately preceding conduct. A warrant requirement in these circumstances would be impractical. The focus of s. 8 of the Charter was privacy and not property rights or trespass. Maciel did not testify that he had a subjective expectation of privacy, and even if he did, it would not have been objectively reasonable. The entry onto Maciel's property was very minimal and of the type that every homeowner expected to routinely occur. The police officer had solid information that imposed a duty on him to investigate further. He had common law authority to take these justifiable investigative steps. Even if what occurred did amount to a Charter protected search, it was not an unreasonable search solely because of the absence of a warrant. The exigent circumstances inherent in the investigation fully justified the minor encroachment that occurred."
[101] L'affaire R. c. Peel, (2003) N.S.J. no 544 présente beaucoup de similitude avec la présente. L'arrêtiste expose les faits et résume ainsi le jugement :
"The events in question took place May 12, 2002 near Aylesford, Kings County, Nova Scotia at approximately 4:30 a.m. The defendant was followed into a private driveway by the RCMP. There was nothing peculiar about the defendant's vehicle or its movements. There was no evidence the police officer involved was conducting any particular investigation or patrolling for possible motor vehicle violations. The officer never gave any evidence to explain why he wanted to follow this particular motorist.
The officer testified he thought the defendant's actions in turning into a driveway before a stop sign, exiting the vehicle and "half-jogging" across the yard indicated the defendant was trying to avoid the officer.
The defendant did stop when directed and the constable noted some signs that the defendant had been consuming alcohol. The defendant was subsequently dealt with as a suspected impaired driver and gave breath samples pursuant to a breath demand.
Issue : The primary issue in this proceeding concerns the police action in stopping the defendant; whether his s. 9 rights were violated and whether the evidence obtained should be excluded. Also at issue is whether there is sufficient evidence to prove beyond a reasonable doubt that the defendant's ability to drive was impaired by alcohol.
Result : The officer had no cause or reason to pursue the defendant's vehicle and when he stopped the defendant on the lawn it was without cause or reason. The officer had no reasonable grounds or suspicion to do so. There was no articulable cause. The defendant's s. 9 rights against arbitrary detention were breached. The subsequent breath samples were acquired as a result of this violation. The breath samples here were conscripted evidence and accordingly this affects the issue of trial fairness. The breath samples are accordingly excluded and the defendant acquitted. The defendant was also acquitted on the charge of impaired driving as the evidence did not support his guilt beyond a reasonable doubt."
[102] En conséquence, l'interpellation policière sous étude ne relève pas de l'exercice d'un pouvoir conféré par la common law.
[103] Étant donné que les actes des agents de la paix ne trouvent pas leur justification juridique dans les pouvoirs découlant de la loi ou de la common law et que l'interpellation policière a provoqué la détention illégale de l'accusé, le Tribunal conclut que l'article 9 de la Charte a été violé.
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