lundi 7 septembre 2009

La détention aux fins d'enquête

R. c. Bournival, 2008 QCCQ 5539 (CanLII)

[18] Dans l'arrêt Mann, rendu en 2004, la Cour suprême reconnaît l'existence d'un pouvoir de détention aux fins d'enquête, qui émane de la common law, lorsque les policiers ont des motifs raisonnables de soupçonner (motifs précis et concrets), à la lumière de toutes les circonstances, que la personne visée est impliquée dans un crime et qu'il est raisonnablement nécessaire de la détenir, suivant une considération objective, pour mener l'enquête et ainsi veiller à la protection du public.

[19] En 2007, dans l'arrêt Clayton, la Cour suprême réitère que la règle de droit autorisant la détention aux fins d'enquête doit respecter la Charte et elle précise davantage les paramètres dont le juge doit tenir compte dans l'analyse :

L'examen tiendra compte de la nature de la situation, y compris la gravité de l'infraction, des renseignements sur le suspect ou sur le crime dont disposaient les policiers et de la mesure dans laquelle la détention était une mesure raisonnablement adaptée à ces éléments, notamment en ce qui a trait à l'emplacement et au moment. Il faut donc mettre en balance l'importance du risque pour la sécurité du public en général ou d'une personne en particulier avec le droit à la liberté des citoyens, pour déterminer si l'interception n'a porté atteinte à la liberté que dans la mesure raisonnablement nécessaire pour faire face au risque.

[20] La Cour suprême nous indique, dans l'arrêt Mann que pour déterminer si la détention contrevient aux droits garantis par l'article 9 de la Charte, l'étude de la conduite du policier se fait en deux volets :



▪ D'abord, il faut examiner si le policier a agi conformément aux pouvoirs que lui confère la loi ou la common law. L'arrêt Dedman de la Cour suprême a reconnu que les pouvoirs des policiers découlent de leurs devoirs ce qui comprend « le maintien de la paix, la prévention du crime, et la protection de la vie des personnes et des biens ». La symétrie n'est cependant pas parfaite entre les devoirs et les pouvoirs des policiers.

▪ Lorsque la condition préliminaire est respectée, il faut établir un équilibre entre les devoirs du policier et le droit à la liberté qui est en jeu. Pour ce faire, la Cour suprême propose d'évaluer si l'«atteinte aux droits individuels est nécessaire à l'accomplissement du devoir des agents de la paix, et si elle est raisonnable, compte tenu des intérêts d'ordre public servis par, d'un côté, la répression efficace des agissements criminels, et de l'autre, le respect de la liberté et de la dignité fondamentale des individus ».

[21] Les tribunaux ont, de plus, énoncé de façon constante que pour respecter les droits garantis dans la Charte, le pouvoir de détention aux fins d'enquête doit être fondé sur des motifs qui ne reposent pas que sur la foi d'une intuition du policier.

[22] Dans un jugement récent, le juge Cournoyer exprime ainsi la règle :

Il ne faut pas confondre l'intérêt légitime que peuvent avoir des policiers de s'intéresser à une situation en vertu de leur devoir de prévenir la commission d'un crime et une intervention policière qui, pour être une atteinte justifiable à la liberté individuelle en vertu du pouvoir de détention aux fins d'enquête, doit respecter les paramètres énoncés plus haut. L'intérêt légitime n'est source d'aucun pouvoir légal d'intervention.

[23] Ainsi, le profil d'une personne et les éléments circonstanciels qui le composent ne sont rien de plus qu'une intuition ou un pressentiment qui ne peut constituer un fait objectif donnant ouverture à des motifs raisonnables suffisants de soupçonner qu'elle est impliquée dans un crime.

[24] En l'espèce, lors de l'interception du requérant accusé, les seuls éléments dont disposait le policier pour fonder ses motifs raisonnables étaient le jeune âge des occupants d'un véhicule utilitaire sport récent, d'une grande valeur, ce qui pouvait concorder, selon lui, avec les informations transmises lors d'une réunion d'information concernant la prévalence des vols de ce type de véhicules dans la région, au cours des derniers temps.

[25] Bien plus, une vérification auprès du C.R.P.Q. avait confirmé que la camionnette n'était pas inscrite au registre des véhicules volés et qu'elle appartenait à une compagnie de location de Montréal. Ces indications auraient dû inciter le policier à recueillir davantage de renseignements probants avant de décider d'interpeller le véhicule en cause.

[26] Sans faire aucune autre démarche préliminaire, l'agent décide quand même de procéder à l'interception du véhicule dans le but d'interroger le conducteur, de vérifier ses papiers et d'examiner l'interrupteur de démarrage, malgré que les informations objectives obtenues vont à l'encontre de ses soupçons.

[27] Dans ces circonstances, le tribunal estime que le policier a agi uniquement sur la foi d'une intuition personnelle, ce qui est insuffisant pour fonder des motifs raisonnables justifiant une détention aux fins d'enquête, dans le respect de la Charte. Même une intuition qui s'avère ultérieurement fondée ne suffirait pas pour justifier une interception; ce qui n'est, d'ailleurs, pas le cas ici. Au contraire, les soupçons étaient dénués de tout fondement, selon la preuve.

[28] Les motifs soumis par le policier sont également insuffisants parce que l'infraction soupçonnée n'était pas d'une gravité telle que la détention constituait une mesure raisonnablement nécessaire, aux fins d'enquête, eu égard aux risques inhérents pour le public, dans les circonstances.

[29] De plus, la jurisprudence constante, enseigne qu'une allégation générale qu'un type de criminalité est fréquent dans une région n'est pas suffisante en soi pour fournir des motifs raisonnables de soupçonner la commission d'une infraction.

[30] À juste titre, ni le policier-enquêteur Lagacé, ni le procureur aux poursuites criminelles et pénales n'ont tenté de faire valider l'interception, à partir des observations faites sur la rue du Roi.

*** Note de l'auteur de ce blog - Cette décision doit être lu en gardant en tête le fait que la Cour Suprême (R. c. Suberu, 2009 CSC 33) a rendu une importante décision en 2009 sur les détentions aux fins d'enquête***

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