R. c. R.D., 2005 QCCA 1167 (CanLII)
24 Premièrement, la personne qui emploie la force doit le faire pour éduquer ou corriger : Ogg-Moss, précité, p. 193. Par conséquent, l'art. 43 ne peut pas excuser les accès de violence à l'égard d'un enfant qui sont dus à la colère ou à la frustration. Il n'admet dans sa zone d'immunité que l'emploi réfléchi d'une force modérée répondant au comportement réel de l'enfant et visant à contrôler ce comportement ou à y mettre fin ou encore à exprimer une certaine désapprobation symbolique à cet égard. L'emploi de la force doit toujours avoir pour objet d'éduquer ou de discipliner l'enfant : Ogg-Moss, précité, p. 193.
[68] La Cour suprême nous indique que c’est le consensus social au moment de la perpétration des gestes considérés qui doit tenir lieu de guide pour déterminer le caractère raisonnable de la force employée :
36 Le consensus social et la preuve d'expert concernant ce qui constitue une correction raisonnable aident aussi à déterminer ce qui est « raisonnable dans les circonstances » en matière de correction infligée à un enfant. Le droit criminel utilise souvent la notion du caractère raisonnable pour tenir compte de l'évolution des mœurs et éviter d'effectuer des « rajustements » au moyen de modifications successives. Cette technique implique qu'il est possible de tenir compte du consensus social de l'heure quant à ce qui est raisonnable. Les gardiens ou les juges ont tort d'appliquer leurs propres notions subjectives de ce qui est raisonnable; l'art. 43 commande une appréciation objective fondée sur l'état des connaissances et le consensus de l'heure. Un large consensus, surtout s'il est étayé par une preuve d'expert, peut fournir des indications et réduire les risques de décision subjective et arbitraire.
[69] La Cour ajoute que la jurisprudence de l’époque n’est pas toujours représentative du consensus social, certains juges appliquant une norme subjective sans tenir compte du caractère évolutif de la notion de force raisonnable.
39 […] Il faut reconnaître, au départ, que la jurisprudence relative à l'art. 43 manque parfois de clarté et de cohérence et transmet un message confus quant à ce qui est permis et à ce qui ne l'est pas. Dans une bonne partie de la jurisprudence analysée par la juge Arbour, les juges n'ont pas reconnu la nature évolutive de la norme du caractère raisonnable et ont indûment appliqué des notions dépassées de la correction raisonnable.
[70] Nous notons cependant que la définition du châtiment corporel acceptable retenue par la Cour suprême est en grande partie fondée sur l’arrêt Ogg-Moss, qu’elle a rendu en 1984 :
51 L'article 43 autorise l'emploi de la force "pour corriger". Comme l'a fait remarquer Blackstone, la loi approuve de tels procédés dans le cas d'un enfant parce que cela est "pour le bien de l'éducation de l'enfant". En d'autres termes, l'art. 43 est une justification. Il a pour effet d'innocenter le père ou la mère, un instituteur ou une personne qui remplace le père ou la mère et qui a recours à la force pour corriger un enfant, la raison à cela étant qu'une telle action est considérée non comme mauvaise, mais comme légitime. Par conséquent, le recours à la force ne sera pas justifié, à moins que ce ne soit "pour corriger", c'est-à-dire qu'il ne s'inscrive dans le cadre de l'éducation de l'enfant.
[71] En fait, une jurisprudence constante faisant état de la nécessité d’un objectif de correction et d’éducation peut-être retracée à partir de la décision Brisson c. Lafontaine, rendue par la Cour supérieure de Montréal en 1864. Le juge Loranger s’y exprime ainsi :
La Cour, etc., considérant que sans refuser aux instituteurs un droit de correction modérée contre les élèves indociles ou récalcitrants, droit qui ne peut s’exercer que dans les cas nécessités par le maintien de la discipline des écoles, l’intérêt de l’instruction et à un degré proportionné aux offenses commises, il n’en est pas moins vrai que tout châtiment excédant cette limite, et motivé par l’arbitraire, le caprice, la colère ou la mauvaise humeur, constitue un délit punissable comme les délits ordinaires, et que dans les cas proposés aux tribunaux où l’on prétend que la correction présente ce caractère, ils doivent former leur appréciation sur la nature de l’infraction, l’âge de l’élève en faute, le plus ou moins de gravité du châtiment, et les circonstances sous lesquelles il a été infligé.
[72] Quelques mois après que l’arrêt Ogg-Moss eut été rendu, la Cour d’appel de Saskatchewan rendait, le 15 novembre 1984, dans l’affaire R. c. Dupperon, une décision énonçant les critères dont il fallait tenir compte pour déterminer le caractère raisonnable de la force employée pour punir un enfant :
In determining that question the court will consider, both from an objective and subjective standpoint, such matters as the nature of the offence calling for correction, the age and character of the child and the likely effect of the punishment on this particular child, the degree of gravity of the punishment, the circumstances under which it was inflicted, and the injuries, if any, suffered. If the child suffers injuries which may endanger life, limbs or health or is disfigured that alone would be sufficient to find that the punishment administered was unreasonable under the circumstances.
[73] De plus, certains gestes sont actuellement considérés a priori comme étant préjudiciables pour les enfants par la Cour suprême :
37 Compte tenu de la preuve dont dispose actuellement la Cour, il existe d'importants terrains d'entente chez les experts des deux parties (décision de première instance, par. 17). Le châtiment corporel infligé à un enfant de moins de deux ans lui est préjudiciable et n'est d'aucune utilité pour corriger vu les limites cognitives d'un enfant de cet âge. Le châtiment corporel infligé à un adolescent est préjudiciable en ce sens qu'il risque de déclencher un comportement agressif ou antisocial. Le châtiment corporel infligé à l'aide d'un objet, comme une règle ou une ceinture, est préjudiciable physiquement et émotivement. Le châtiment corporel consistant en des gifles ou des coups portés à la tête est préjudiciable. Ces formes de châtiment, pouvons-nous conclure, ne sont pas raisonnables.
[74] Le châtiment corporel a toujours été et reste une prérogative des parents. Cependant, il est inacceptable lorsque administré arbitrairement, motivé par la colère et lorsqu’il ne peut servir à éduquer l’enfant.
Aucun commentaire:
Publier un commentaire