R. c. Wazni, 2008 QCCQ 212 (CanLII)
Les faits
[2] Lors d’une dispute conjugale et alors qu’il est en état d’ébriété avancé, l’accusé donne une tape à la tête de la victime, la prend par le cou et, la tenant au sol, de l’autre main lui a assène plus d’une vingtaine de coups de poing à la tête. Il en est résulte des rougeurs au visage et une coupure à la tempe avec saignement.
[3] La preuve révèle également que lorsque l’accusé a réalisé que la police s’en venait, il a dit à la victime d’aller se laver; la victime a refusé d’aller se laver et le policier a observé, à son arrivée sur les lieux, la coupure du côté gauche de la tempe avec du sang allant jusqu’au cou et que la victime avait le visage rouge (abrasion au visage).
[4] La preuve n’est pas plus explicite que ce que je viens de mentionner. La preuve ne contient aucun autre détail quant aux dimensions de la coupure, quant à l’importance du saignement, quant à l’impact sur le bien-être ou sur la santé de la victime pas plus qu’à la durée de l’inconfort et/ou au temps de guérison. La preuve n’établit ni la dextérité ni la force avec laquelle les coups ont été donnés. En aucun temps l’une ou l’autre de ces questions ne fut abordée avec aucun des témoins.
Le droit
[5] L'article 2 du Code criminel donne la définition suivante :
« lésions corporelles »
Blessure qui nuit à la santé et au bien-être d'une personne et qui n'est pas de nature passagère ou sans importance
[6] Le jugement le plus fréquemment utilisé dans la jurisprudence est celui du juge Esson de la Cour d’appel du Yukon dans l’arrêt R. c. Dixon, 1988 CanLII 2824 (BC C.A.), (1988), 42 C.C.C. (3d) 318 :
The reasons of the trial judge are reproduced fully in the reasons for judgment of Carrothers J.A. The judge clearly found a number of facts. The victim suffered bruises on her arm and head and a laceration two to three inches in length on the back of her [page332] head. That wound took "some 10 days to heal". She was "all better within a matter of a month". Having found those facts, the judge had to apply the Code's definition of bodily harm. That required him to decide whether the hurt or injury interfered with the victim's health or comfort and whether it was more than merely transient or trifling in nature. I leave aside the question whether there was interference with health because, if there was interference with comfort, that is enough. Transient, trifling and comfort are all words in common usage. The Shorter Oxford English Dictionary, 3rd ed., vol. II, defines "transient" at p. 2346 as: "Transient 1. Passing by or away with time; not durable or permanent; temporary, transitory; esp. passing away quickly or soon, brief, momentary, fleeting". At p. 2362, it defines "trifling" as: "Trifling .. 3. Of little moment or value; trumpery; insignificant, petty". At pp. 373-4, vol. 1, it defines "comfort" as: "Comfort ... The condition or quality of being comfortable".
Clearly, as employed in s. 245.1(2), those words import a very short period of time and an injury of very minor degree which results in a very minor degree of distress.
The findings that "there is no evidence of any interference with the victim's health or comfort" and that "an injury that lasts no longer than a month would fall within the definition of being transient and trifling" demonstrate, in my view, an absence of any reasonable regard for the ordinary meaning of the words. From the time of the assault at least until the medical treatment was completed, it is clear that the victim must have been deprived of any sense of comfort which she might have had before being assaulted. The element of interference with comfort, which is all that the definition requires, must have continued for some time after that. The interference with comfort resulted from a significant injury — one which cannot be described as trifling. There is no necessary connection at all between the duration of the injury and the question whether it is trifling — a life-threatening injury is often resolved in a short time. Transient does relate to time but, in this context, it is simply insupportable to describe as transient an injury that "lasts no longer than a month".
[7] Plus récemment, dans l’arrêt R. c. Guy, [2004] J.Q. no 2926, le juge Rémi Bouchard de la Cour du Québec se prononçait dans le même sens que l’arrêt Dixon (précité) :
¶ 63 Reste à déterminer si les blessures subies constituent des lésions corporelles. La défense plaide que les blessures sont des lésions qui sont de nature passagère et qui ne sont donc pas comprises dans la définition de l'article 2 du Code criminel. Il faut, pour en décider, se référer au sens ordinaire du mot. (R. c. Dixon 1988 CanLII 205 (YK C.A.), (1998) 64 C.R. (3d) 372).
¶ 64 Le Grand Robert, deuxième édition (1992) définit ainsi le mot passager : "passager, ère : (choses) dont la durée est brève, — court, éphémère, momentané, provisoire, temporaire, transitoire". Clairement, le mot signifie une très courte période de temps.
¶ 65 Les photos prises le 18 avril 2002 à 20 h 00 et produites comme (P2) montrent qu'il reste encore une marque au front et un hématome important à la paupière supérieure gauche de même que sous l'œil gauche. Manifestement, quatre jours et demi après l'événement, la guérison n'était pas complète et allait prendre encore quelques jours pour le devenir. Le Tribunal en conclut que les blessures subies par Nicolas Poulin ont nuit à sa santé et à son bien-être et n'était pas de nature passagère ou sans importance.
[8] Pour pouvoir conclure dans le présent dossier à voies de fait causant « lésions corporelles », la preuve doit démontrer, hors de tout doute raisonnable, soit que les blessures n’étaient pas de nature passagère ou encore que ces blessures n’étaient pas sans importance
[9] La défense renvoie, entre autres, à l’arrêt R. c. Dupperon (1984, C. A. de la Sask.) 16 C.C.C. (3d) 453 (arrêt que nous discutons ci-après).
[10] Pour sa part, la Poursuite soumet la décision rendue par la Cour d’appel du Québec dans l’arrêt N.D. c. R., 2006 QCCA 14 (CanLII), 2006 QCCA 14, dans lequel la Cour, suite à l’appel par l’accusé d’une condamnation pour voies de fait grave (art. 268), y substitue une condamnation sur l'infraction comprise de voies de fait causant des lésions corporelles (art. 267b) C.cr.).
[11] Dans ce dernier arrêt, la Cour réfère aux lésions en question tantôt comme des « marques au cou » (par. 21, 127 et 132), tantôt comme « rougeurs au cou » (par. 118), tantôt comme des «éraflures » (par. 133). La Cour conclut comme suit aux par. 127 et 136 (les soulignements sont miens):
¶ 127 En l'espèce, l'emploi de la force contre la plaignante ne pose pas problème. D'ailleurs, les marques au cou de la plaignante sont clairement des lésions corporelles de par leur nature.
[ je note au passage que dans N.D. c. R., la Cour d’appel n’élabore pas sur le mot « éraflure », vocable par ailleurs défini dans « Le Petit Robert, édition 2000» comme suit : « entaille superficielle, écorchure légère »]
…
¶ 134 Il importe de rappeler qu'il incombe au ministère public de prouver que le geste de l'appelant a eu pour effet d'exposer la plaignante à un risque important de lésions corporelles graves mettant sa vie en danger.
¶ 135 De l'absence de preuve de cet élément essentiel ne peut que résulter un acquittement quant à ce chef d'accusation.
¶ 136 Par ailleurs, la preuve de l'infraction de voies de fait causant des lésions corporelles (art. 267b) C.cr.) a été faite puisque de par leur nature, les blessures au cou de la plaignante sont plus que passagères [Voir Note 20 ci-dessous].
[12] L’arrêt auquel réfère la Note 20 est l’arrêt Dupperon (arrêt par ailleurs, invoqué ci-dessus par la Défense). Il s’agit là de la seule autorité à laquelle la Cour réfère à l’appui de la proposition que ces « marques au cou » ou « rougeurs au cou » ou «éraflures » de la plaignante sont, de par leur nature, plus que passagères.
[13] D’une part, il ne m’apparaît pas clair que la Cour conclut qu’en soi des « marques au cou » ou « rougeurs au cou » ou «éraflures » sont, de par leur nature, nécessairement plus que passagère. En effet, compte tenu d’une abondante jurisprudence à l’effet contraire, il serait étonnant que la Cour ait voulu émettre, en des termes aussi laconiques, une proposition aussi générale.
[14] D’autre part, il serait d’autant plus surprenant que la Cour ait voulu établir un tel principe que l’unique autorité invoquée à la Note 20 est l’arrêt R. c. Dupperon 1984 CanLII 61 (SK C.A.), (1984), 16 C.C.C. (3d) 453 (C.A. Sask.). Or, l’arrêt Dupperon est peu utile pour déterminer la nature de ce qui est «plus que passager ». En fait l’arrêt Dupperon se contente de répéter la définition de « lésions corporelles » qui, à l’époque, était contenue à l’art. 245.1(2). Cet arrêt n’élabore pas en quoi consiste le critère du « merely transient or trifling in nature ».
[15] En effet l’arrêt Dupperon traitait de l’article suivant (et je cite) :
245.1(2) For the purposes of this section and sections 245.3 and 246.3, "bodily harm" means any hurt or injury to the complainant that interferes with his or her health or comfort and that is more than merely transient or trifling in nature.
[16] Définition aujourd’hui simplement et essentiellement transférée à l’article 2 du C. cr.:
2. […] “bodily harm” means any hurt or injury to a person that interferes with the health or comfort of the person and that is more than merely transient or trifling in nature;
[17] Les blessures dont traitait l’arrêt Dupperon y étaient relatées comme suit;
The evidence is that he strapped his 13-year-old son on the bare buttocks with a leather belt approximately 10 times leaving four or five bruises on the boy's left buttock which were blue and in a linear pattern. Each bruise was approximately four inches long and of a width of one-quarter to one-half an inch.
[18] Et la Cour d’y conclure :
Counsel for the Crown agreed with the submission of counsel for the appellant that whether or not the bruises on the boy were more than "merely transient or trifling in nature" was never adequately proved by the prosecution and a conviction should not have been entered for assault causing bodily harm. It was suggested that the conviction should be set aside and a conviction for assault be entered in its place. Whether a conviction for assault should stand depends entirely upon whether the appellant is entitled to rely on s. 43 of the Criminal Code.
(…)
The authorities are clear that if we are to accede to the suggestion by the Crown and substitute a verdict of assault, the proper procedure is to dismiss the appeal under s. 613(1)(b)(i) of the Criminal Code: [citations omises]
Accordingly, the appeal is dismissed, the conviction for assault causing bodily harm is quashed and a verdict of assault is substituted pursuant to s. 613(3).
[19] Tout ce qui ressort de cet arrêt est donc que la nature des blessures y mentionnées, sans plus, n’établit pas en soi que les dites blessures étaient « plus que de nature passagère ou plus que sans importance »; la preuve n’établissait donc pas l’existence de lésions corporelles au sens de l’art. 245.1(2) [maintenant art. 2 du C. cr.], d’où l’acquittement pour cette infraction et la substitution d’une condamnation pour voies de fait simples.
[20] La preuve ne démontre pas hors de tout doute raisonnable que les rougeurs au visage et la coupure à la tempe étaient soit plus que simplement passagères, soit plus que simplement sans importance; il n’y a donc pas de preuve établissant hors de tout doute raisonnable qu’il y a eu « lésions corporelles » au sens de l'art. 267 (b) et 2 du C. cr.
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