lundi 12 octobre 2009

Revue exhaustive de l'état du droit relativement à l'immunité relative prévue à l'article 25 du Code criminel

R. c. Côté, 2007 QCCQ 6700 (CanLII)

[173] L'article 25 du Code criminel confère, sans plus, une immunité restreinte qualifiée de relative. Elle n'a pas pour but d'accorder aux policiers le droit d'utiliser en toute circonstance la force en procédant à une arrestation.

[174] Pour se prévaloir de cette immunité dans l'emploi d'une force non excessive, il faut en tout point respecter les conditions prescrites.

[175] D'entrée de jeu, il est donc nécessaire de déterminer quels sont les éléments essentiels requis.

[176] La Cour d'appel d'Alberta dans l'arrêt Crampton c. Walton circonscrit 3 éléments essentiels pour qu'un agent de la paix puisse bénéficier de cette protection, soit :

1. le policier était obligé ou autorisé à faire un geste dans l'application ou l'exécution de la loi;

2. le policier agit sous la foi de motifs raisonnables;

3. le policier n'a pas utilisé de force excessive.

a) LE POLICIER AUTORISÉ À FAIRE UN GESTE DANS L'APPLICATION OU L'EXÉCUTION DE LA LOI

[178] Dans ce cadre, un agent de la paix doit intervenir « en s'appuyant sur des motifs raisonnables » justifiant son intervention et d'autre part agir légalement.

[179] Ces conditions essentielles découlent du libellé de l'article 25(1) du Code criminel.

[180] À défaut, cette disposition législative ne pourra lui être d'aucun secours.

[181] Dans l'arrêt Crampton c. Walton, la Cour a conclu que cette condition avait été remplie, compte tenu que les actes reprochés au policier avaient été posés lors de l'exécution d'un mandat de perquisition.

[182] Dans l'arrêt Hudson c. Barantford Police Services Board, la Cour d'appel de l'Ontario a jugé que les policiers ne pouvaient invoquer a bon droit cette immunité. Ils avaient agi illégalement, en arrêtant un individu à l'intérieur de sa résidence, sans avoir de mandat d'entrée et sans permission des occupants.

[183] Selon la Cour, la bonne foi des policiers n'était pas pertinente pour décider du sort de l'article 25 du Code criminel qu'ils invoquaient.

[189] Dans un premier temps, l'honorable juge Lamer répond comme suit à cette objection, en distinguant les faits en cause de ceux concernés dans l'arrêt Landry savoir :

« À mon avis, la question ne se présente pas tout à fait ainsi. Bien que les juridictions inférieures aient tranché l'affaire sur la base de l'applicabilité de l'arrêt Landry à une infraction provinciale, la question posée à notre Cour est en réalité plus étroite. Il est admis en effet que l'entrée des policiers dans la demeure de Mlle Pack a eu lieu dans le contexte d'une prise en chasse, qui est une exception traditionnellement reconnue par la common law au principe de l'inviolabilité de la demeure, et par conséquent un cas où il existe, en vertu de la common law, un droit d'entrer aux fins d'une arrestation sans mandat. Notre Cour doit donc déterminer uniquement s'il y a lieu d'étendre l'exception que constitue la prise en chasse aux arrestations relatives à des infractions provinciales. Toutefois, avant de passer à cette question, il y a lieu de faire quelques commentaires de nature plus générale sur le concept de prise en chasse. » » (par. 12)

[190] Il dispose par la suite de cet argument, en référant notamment aux principes de common law :

«Selon les auteurs W.F. Foster et Joseph E. Magnet ("The Law of Forcible Entry" (1977) 15 Alta. L. Rev. 271), la common law reconnaissait aussi de façon plus générale un droit d'entrer en cas de prise en chasse relativement à toute infraction mineure (misdemeanour), à la condition qu'elle ait été commise en présence du policier. Ils affirment, à la p. 279: [TRADUCTION] "Un agent de la paix peut entrer de force, sans mandat, dans le cas d'un méfait commis en sa présence. L'entrée ne serait pas justifiée si le méfait n'était pas commis en sa présence". (par. 29)

Il est intéressant de noter qu'en l'espèce l'infraction a été commise en présence des policiers conformément à l'exigence mentionnée par Foster et Magnet. Je ne crois toutefois pas qu'il soit opportun d'imposer strictement cette condition au droit d'entrer dans le contexte d'infraction autres que des actes criminels. Cette condition est trop restrictive. Les policiers qui arrivent peu après la perpétration de l'infraction, et voient fuir le contrevenant, devraient en effet pouvoir le suivre jusque dans des locaux privés, tant dans le contexte d'une infraction provinciale que dans celui d'un acte criminel. Ce pouvoir d'entrer devrait également être donné aux policiers qui continuent une poursuite déjà engagée. L'exigence qu'il y ait véritablement une prise en chasse est à mon avis suffisante et permet de répondre aux préoccupations qui sont à l'origine de la condition décrite pas Foster et Magnet. Cela suppose en effet, comme je l'ai dit plus haut, une continuité réelle entre la perpétration de l'infraction et la poursuite entreprise par les policiers. (par. 30)

Toutefois cela ne signifie pas que les policiers pourront entrer dans des locaux résidentiels, dans le cas d'une prise en chasse, afin de procéder à une arrestation relativement à n'importe quel type d'infraction. Mais en l'absence de mandat, il devra toujours s'agir d'une infraction ou de circonstances qui permettent par ailleurs aux policiers de procéder à une arrestation sans mandat. Cette condition, qui n'a pas été discutée dans le contexte du présent pourvoi parce que le pouvoir de procéder à une arrestation sans mandat n'était pas contesté, est essentielle. Elle permet d'assurer que le droit d'entrer s'applique uniquement aux infractions ou aux circonstances que le législateur a jugées suffisamment graves pour justifier un pouvoir d'arrestation sans mandat. Je note à cet égard, à titre d'illustration, que la Highway Traffic Act, auquel l'appelant a contrevenu en l'espèce, ne prévoit un pouvoir d'arrestation sans mandat qu'à l'égard d'un nombre limité d'infraction. (p. 33)

Je conclus en résumé que même sans mandat d'arrestation, il existe, en cas de prise en chasse, un droit d'entrer dans des locaux résidentiels aux fins de procéder à une arrestation tant à l'égard des infractions provinciales que des actes criminels, dans la mesure, cependant, où les circonstances justifient par ailleurs une arrestation sans mandat. L'entrée des policiers était donc autorisée en l'espèce. » (par. 34)

[191] Par contre, l'honorable juge Lamer limite la portée de cette décision au cas de « prise en chasse », au paragraphe 35, il écrit :

«Nous n'avons pas à nous prononcer aujourd'hui sur l'existence d'un pouvoir général d'entrer dans des locaux privés, aux fins de procéder à une arrestation sans mandat relativement à une infraction provinciale, dans des situations autres que les cas de prise en chasse. »

[193] Dans une autre décision citée par la défense, la Cour d'appel de l'Ontario a discuté de la notion d'intrus, concernant un policier qui procède à l'arrestation d'un individu pour une infraction provinciale débutant à l'extérieur de la résidence pour se poursuivre à l'intérieur. S'ensuivit à l'intérieur une altercation entraînant le décès de l'individu.

[196] Les faits sont bien résumés dans le mémoire du procureur en défense :

« L'agent Tricker avait constaté qu'un individu à bord d'un véhicule circulait à une vitesse supérieure à la limite permise. Il l'a suivi sur une courte distance. Le véhicule a finalement tourné dans l'entrée privée d'une résidence et est entré dans un garage. L'agent s'est engagé dans l'entrée privée, est sorti de son véhicule et est allé à la rencontre de l'individu à l'extérieur du garage. Le policier a informé l'individu de l'infraction reprochée et lui a demandé ses documents. L'individu a refusé de les présenter et a également refusé de s'identifier. Il a de plus ordonné au policier de quitter son terrain. Toutefois, les faits ne sont pas clairs quant à l'ordre où ces paroles ont été prononcées, c'est-à-dire avant ou après l'ordre de s'identifier. Suivant ce refus, le policier a mis l'individu en état d'arrestation. Il a tenté de maîtriser physiquement l'individu et ce dernier a résisté. L'altercation a débuté à l'extérieure de la résidence et s'est poursuivie à l'intérieure. L'individu est décédé suite à l'emploi de la force par le policier à son endroit. (sic)

Un point litigieux dans cette affaire était la détermination de la légalité de l'arrestation exécutée par l'agent Tricker. Ce point avait donc comme sous question:

Whether the appelant was at all times a trespasser on the deceased's property, or whether he may have legally come onto the property but could have become a trespasser because he was ordered off of the property before he had legal grounds to arrest the deceased without warrant.

Il était incontestable en l'espèce qu'un agent ne pouvait arrêter sans mandat un individu commettant un excès de vitesse. L'arrestation sans mandat devenait possible une fois que l'individu avait refusé d'exhiber son permis de conduire et de s'identifier. » (p. 13, 14, par. 39, 40 notes et autorités)

[197] Dans cet arrêt, la Cour a noté qu'un agent n'avait pas le pouvoir d'arrêter sans mandat pour excès de vitesse. Il pouvait y avoir arrestation uniquement suite au refus de l'individu d'exhiber son permis de conduire et de s'identifier.

[198] Voici les principes énoncés par la Cour d'appel de l'Ontario, traduits dans le pamphlet LE CONSEILLER JURIDIQUE, service des affaires juridiques, no 49, janvier 2005 :

« La personne avait le droit de retirer son invitation implicite. Si elle a retiré son invitation avant que l'appelant (le policier) n'acquière les motifs raisonnables de croire à la commission d'une infraction, celui-ci était alors tenu de quitter les lieux, au risque de devenir un intrus. Mais si ce policier avait acquis les motifs nécessaires pour procéder à une arrestation sans mandat avant que l'invitation ne soit retirée, il pouvait alors légalement arrêter la personne et il était autorisé à utiliser la force nécessaire à cette fin.

La question cruciale à laquelle le jury doit répondre est de savoir si les motifs raisonnables pour procéder à une arrestation sans mandat ont été acquis avant que la permission implicite de se trouver sur la propriété ne soit retirée. Dans l'affirmative, l'arrestation était légale et l'argument de l'intrusion ne serait pas pertinent. Par contre, si la permission a été retirée avant que le policier acquière les motifs pour arrêter, il devenait un intrus s'il refusait de quitter la propriété. Dans ce cas, tout recours à la force par le policier constituait un acte illégal. »

[199] Ces principes de l'arrêt Tricker ont été réitérés substantiellement en 2006 par la Cour d'appel de l'Ontario, dans l'arrêt La Reine c. Lotozky cité également par la défense.

[200] Cette affaire concernait une accusation de nature criminelle, soit la conduite en état d'ébriété.

[201] Dans l'arrêt Cotnoir c. La Reine, la Cour d'appel du Québec a reconnu au policier le droit de pénétrer sur une propriété privée, dans le but de remplir leur obligation de maintenir la paix, de prévenir les crimes et de protéger les citoyens.

[204] L'honorable juge Pidgeon fait état d'abord des pouvoirs généraux conférés aux agents de la paix :

« Les pouvoirs conférés aux agents de la paix afin d'exercer utilement leurs fonctions sont énumérés dans le Code criminel, dans les diverses lois créant les corps policiers ainsi que dans certaines lois provinciales spéciales telles que le Code de la sécurité routière. De plus, certains pouvoirs leurs sont octroyés par la common law. Toutefois, ces derniers pouvoirs ne sont pas définis avec précision. » (par. 11)

[205] Dans le cas où une conduite policière porte prima vacie atteinte à la liberté ou à la propriété d'une personne, comme le fait de pénétrer sur un terrain privé d'un citoyen, M. le juge Pidgeon propose un test en 2 étapes exposé par l'honorable juge Lamer dans l'arrêt R. c. Godoy :

« Le critère reconnu pour évaluer les pouvoirs et les devoirs des agents de police en common law a été exposé dans l'arrêt Waterfield, précité que notre cour a suivi dans R. c. Stenning, 1970 CanLII 12 (C.S.C.), [1970] R.C.S. 631, Knowlton c. La Reine, 1973 CanLII 148 (C.S.C.), [1974] R.C.S. 443 et Dedman c. La Reine 1985 CanLII 41 (C.S.C.), [1985] 2 R.C.S. 2. Si la conduite policière constitue de prime abord une atteinte à la liberté ou à la propriété d'une personne, le tribunal doit trancher deux questions : premièrement, la conduite entre-t-elle dans le cadre général d'un devoir imposé par la loi ou reconnu par la common law? Deuxièmement, la conduite, bien que dans le cadre général d'un tel devoir, comporte-t-elle un exercice injustifiable des pouvoirs découlant de ce devoir? ». (par. 12)

[206] Concernant la 2e étape de ce test, monsieur le juge Pidgeon écrit à ce propos aux paragraphes 19 et 20 de la décision :

« Dans l'arrêt R. c. Simpson le juge Doherty, cité avec approbation par le juge Lamer dans l'affaire Godoy a défini de la façon suivante ce que l'on devait entendre par l'exercice "justifié" des pouvoirs conférés aux agents de police. »

[…] the justifiability of an officer's conduct depends on a number of factors including the duty being performed, the extent to which some interference with individual liberty is necessitated in order to perform that duty, the importance of the performance of that duty the public good, the liberty interfered with, and the nature and extent of the interference.

À la lumière de ces facteurs, je suis d'avis que la conduite des agents Gougeon et Bélanger n'équivalait pas à un exercice injustifiable des pouvoirs conférés aux agents de la paix. D'une part, les soupçons de l'agent Gougeon étaient suffisamment sérieux et, d'autre part, la présente affaire ne met pas en question les pouvoirs d'arrestation des agents de la paix. Elle soulève uniquement la question de leurs pouvoirs d'enquête à titre de pouvoirs accessoires à leur obligation de secours et de prévention du crime. Ici, la seule façon pour la policière de vérifier l'identité de la personne dans le véhicule automobile consistait à pénétrer sur cette propriété. En outre, cette intrusion dans la cour de l'appelant ne portait pas atteinte de façon démesurée à l'inviolabilité de la propriété privée et était nécessaire dans les circonstances. L'atteinte pourrait même être qualifiée de purement technique. D'autre part, les agents pouvaient présumer détenir une autorisation implicite du propriétaire de pénétrer sur son terrain afin de prévenir la perpétration d'une infraction contre ses biens. Enfin, comme l'a mentionné le juge Sopinka dans l'arrêt Belnavis "il existe une différence marquée en matière d'atteinte raisonnable en matière de vie privée selon que la personne qui l'invoque se situe dans sa résidence ou dans une automobile".

b) LE POLICIER A AGI SOUS LA FOI DE MOTIFS RAISONNABLES, SANS FORCE EXCESSIVE

[207] Il s'agit donc de deux autres conditions requises pour qu'un agent de la paix puisse bénéficier de cette immunité relative.

[208] Quant aux motifs raisonnables, le juge doit se demander si le policier avait des motifs raisonnables d'utiliser la force, lors de son intervention. La Cour réfère particulièrement à l'arrêt précité Crampton c. Walton, Cour d'appel d'Alberta.

[209] Quant à la qualification de la force afin de déterminer si elle est excessive ou non, dans l'arrêt Crampton c. Walton, la Cour d'appel d'Alberta précise les critères applicables. Au paragraphe 21, page 7 des notes et autorités de la défense, on résume bien l'énoncé de la Cour d'appel, savoir :

«La Cour d'appel d'Alberta a réitéré que le critère applicable était le critère objectif modifié et qu'on ne peut exiger de l'agent qu'il évalue le degré précis de la force requis. Dans ce même arrêt, la Cour a ajouté qu'un agent ne sera pas privé de la protection de l'article 25(1) s'il n'utilise pas la force minimale requise pour arriver au résultat désiré. À l'instar de l'affaire Asante-Mensah, on y souligne que les policiers sont souvent placés dans des situations où ils doivent prendre des décisions difficiles rapidement. Considérant ceci, on doit leur accorder une certaine latitude. »

[211] La finalité de l'article 25 est de prescrire une immunité relative lors de l'utilisation d'une force non excessive, bénéficiant généralement à ceux qui appliquent la loi comme citoyen, officier public, agent de la paix ou simple citoyen assistant un agent de la paix ou un officier public.

[212] Pour être protégé, ces catégories de personnes doivent toutefois agir, étant alors obligées ou autorisées à poser un geste, dans l'application ou l'exécution de la loi. Pour ce faire, ils doivent agir légalement, de façon prudente et avec diligence, en s'appuyant sur des motifs raisonnables justifiant l'intervention.

[213] Les policiers, pour leur part, accomplissant légalement ces gestes conformément aux prescriptions du paragraphe 1 de l'article 25 du Code criminel, seront donc protégés contre toutes responsabilités pénales ou criminelles.

[214] Si l'arrestation n'est pas justifiée, est illégale, le recours à la force au sens de l'article 25 du Code criminel n'est pas justifié et toute force employée est pour ainsi dire inappropriée et illégale.

[215] Malgré tout, même si les policiers sont justifiés à employer la force, s'ils le font de manière excessive, leur responsabilité doit être engagée

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