jeudi 21 janvier 2010

Délit de fuite - défense - l’état de panique dont il est question ne se limite pas à une simple affirmation de l’intimée quant à un tel état

R. c. Poulin-Chénard, 2007 QCCA 342 (CanLII)

[2] En matière de délit de fuite, la poursuite doit démontrer que l’accusé a omis d’arrêter son véhicule dans l’intention spécifique d’échapper à sa responsabilité. À cet égard, la présomption de l’art. 252 (2) C.cr. peut être repoussée en soulevant un doute raisonnable. Or, le juge de première instance a conclu que la défense soulevait un tel doute et cette conclusion, qui relève de l’appréciation de la preuve, ne saurait constituer une question de droit.

[3] Le juge de première instance a cru la déclaration de l’intimée de sorte que l’erreur de droit qu’il a commise, en affirmant que la poursuite ne pouvait attaquer la véracité de cette déclaration parce qu’elle l’avait elle-même mise en preuve, n’est pas une erreur déterminante. Par ailleurs, cette conclusion sur la crédibilité de la déclaration distingue la présente affaire de l’arrêt R. c. Carignan, REJB 2003-39278 (C.A.), cité par l’appelante. En effet, dans Carignan, l’accusé, qui était l’appelant, a présenté une nouvelle preuve en rapport avec son comportement après l’accident. Or, la Cour a rejeté son explication, ce qui rendait illusoire toute défense d’automatisme ou d’absence d’intention spécifique. De plus, Carignan avait tenté de camoufler son implication dans un accident, ce qui était de nature à contredire son affirmation selon laquelle il n’avait pas l’intention de fuir sa responsabilité. Dans le présent dossier, le juge de première instance a cru la déclaration de l’intimée et cette preuve pouvait supporter la théorie de la défense qui niait que l’intimée ait eu la capacité de former l’intention spécifique requise.

[4] De plus, le juge a cru le psychiatre qui a témoigné pour la défense. Or, selon ce dernier, l’intimée était incapable de former l’intention de fuir sa responsabilité. Il a fait état d’un ensemble de circonstances dont l’intensité l’a amené à conclure ainsi. Il mentionne notamment :

- l’état de panique dans lequel fut plongée l’intimée, état accompagné de symptômes tant physiologiques que psychologiques,

- les troubles de mémoire et d’organisation de la pensée causés par l’accident,

- la vue de la victime sur la chaussée que l’intimée a associée à son propre enfant (au moment de l’accident, l’intimée, alors âgée de 19 ans, avait elle-même un fils de trois ans alors que la victime en avait quatre),

- l’état de dissociation temporaire,

- le caractère totalement inattendu et imprévu de l’accident, l’intimée ne s’en étant rendu compte qu’après l’impact et sans avoir commis quelque infraction que ce soit, ceci ayant pour conséquence l’impossibilité de s’y préparer ne serait-ce qu’une fraction de seconde; or, selon le psychiatre, une telle situation peut avoir un effet multiplicateur sur les impacts psychologiques dans pareil cas,

- I’idée de fuir sa responsabilité ne «faisait pas partie de la pensée» de l’intimée, qui était d’ailleurs encore sous les soins d’un psychiatre au moment du procès, plusieurs mois après l’accident.

[5] Il ne s’agissait donc pas vraiment, comme le plaide l’appelante, d’une défense d’automatisme, qui requiert une preuve prépondérante, mais plutôt d’un ensemble d’éléments factuels et de circonstances qui, conjugués les uns aux autres, ont amené le juge de première instance à entretenir un doute raisonnable que l’intimée ait formé l’intention spécifique requise par la loi. Le juge de première instance n’a d’ailleurs pas limité son analyse à une défense d’automatisme. En effet, même s’il a mentionné que la défense était basée sur l’automatisme, il a conclu ainsi, après avoir résumé l’ensemble de la preuve et avoir indiqué qu’il croyait le psychiatre :

«…selon le psychiatre cet état de panique était à un point tel qu’elle, pendant un certain temps, ne pouvait former cette intention nécessaire […] et elle reprend ses esprits suite aux conseils de ses parents à la fin de l’après-midi, et à ce moment-là elle fait la chose qui est légalement prévisible ou que toute personne doit faire, c’est qu’elle avise les autorités en conséquence avec le délai que l’on connaît. Je dois conclure qu’à ce moment-là la défense s’est déchargée de renverser la présomption sur laquelle la preuve de la couronne était basée.»

[6] Tel que mentionné précédemment, l’état de panique dont il est question ne se limite pas à une simple affirmation de l’intimée quant à un tel état. Au contraire, la défense était fondée à la fois sur la déclaration de l’intimée, qui n’a pas limité son explication à un état de panique, et sur une preuve scientifique, déclaration et preuve que le juge a retenues dans leur entièreté et qui ont soulevé, dans son esprit, un doute raisonnable quant à l’existence de l’intention spécifique. Ceci distingue le présent dossier des arrêts R. v. Emery, 61 C.C.C. (2d) 84 (B.C. C.A.) et R. v. Brautigam, 6 M.V.R. (2d) 135 (B.C. C.A.), cités par l’appelante.

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