dimanche 3 janvier 2010

Le droit sur l'agression sexuelle

R. c. J.M. , 2008 QCCQ 428 (CanLII)

[35] L'infraction d'agression sexuelle se compose de deux éléments constitutifs.

[36] Le premier élément, l'actus reus, comporte lui trois éléments, soit un attouchement, un geste qui se doit d'être de nature sexuelle, puis finalement, un geste qui est fait sans le consentement de la victime présumée. En résumé, il s'agit d'attouchements sexuels non désirés. Je note immédiatement ici que seul le troisième élément, soit le consentement, fait l'objet d'un débat.

[37] L'autre élément constitutif de l'infraction d'agression sexuelle est la mens rea. La Cour suprême dans l'affaire de R. c. Ewanchuk, a défini ainsi ce second élément, comme étant l'intention de se livrer à des attouchements sur une personne tout en sachant que celle-ci n'y consent pas, en raison de ses paroles ou de ses actes, ou encore en faisant montre d'insouciance ou d'aveuglement volontaire à l'égard de cette absence de consentement.

[38] Toujours dans ce même arrêt, la Cour suprême du Canada a bel et bien répété que l'absence de consentement est purement subjective et déterminée par rapport à l'état d'esprit subjectif dans lequel se trouvait en son for intérieur la plaignante à l'égard des attouchements, lorsqu'ils ont eu lieu. Donc, si comme juge du procès je crois la plaignante lorsqu'elle dit qu'elle n'a pas consenti, le ministère public se sera donc acquitté de son obligation qu'il avait de prouver l'absence de consentement chez la plaignante. Il est important de rappeler que la perception qu'avait l'accusé de l'état d'esprit de la plaignante n'est pas du tout pertinente. Cette perception n'entre en jeu que dans le cas où la défense de croyance sincère mais erronée au consentement est invoquée à l'étape de la mens rea de l'enquête.

[40] (...) Je souligne cependant que la jurisprudence est à l'effet que même s'il n'y a pas usage de violence ou de force, ou même absence de résistance, cela ne signifie aucunement que la plaignante a consenti à des gestes sexuels. D'ailleurs la jurisprudence canadienne et en particulier dans la R. c. Ewanchuk, précité, a établi qu'il n'existe pas de défense de consentement tacite en matière d'agression sexuelle.

[41] On sait que cet élément constitutif de l'actus reus d'une infraction d'agression sexuelle doit être démontré par la poursuite hors de tout doute raisonnable. Mais dans un premier temps, le tribunal doit, avant de pousser l'analyse plus loin, se demander s'il donne foi au témoignage de la plaignante X.

[43] Le tribunal n'a pas à discuter de la crédibilité à accorder dans un premier temps au témoignage de l'accusé tel que prescrit dans R. c. W.(D.), puisqu'il considère que dans l'ensemble de la preuve il n'y a pas, dans le présent dossier comme tel, de versions contradictoires. Bien sûr il y a quelques différences entre le témoignage de la plaignante et celui de l'accusé, mais pas pour les qualifier de contradictoires.

[44] Comme j'ai conclu que la plaignante n'a pas consenti, je dois me demander maintenant s'il y a matière à un doute raisonnable, doute qui pourrait exister si le tribunal retient la défense de croyance sincère mais erronée au consentement de la plaignante de la part de l'accusé.

[45] La Cour suprême dans R. c. Park a établi le principe pour qu'un moyen de défense soit soumis à l'appréciation d'un jury, il doit être «vraisemblable». Le test de la «vraisemblable» est une norme juridique et non pas factuelle. Le juge du procès doit déterminer si la preuve produite est susceptible, si elle est acceptée, de permettre à un jury raisonnable ayant reçu des directives appropriées de prononcer l'acquittement.

[46] Voici comment s'exprime la juge Claire L'heureux-Dubé à la page 846 de l'arrêt:

La common law reconnaît depuis longtemps qu'un juge du procès n'est pas tenu de soumettre à l'appréciation du jury des moyens de défense qui n'ont aucun fondement réel factuel ou probant. Il incombe aux tribunaux d'écarter tout moyen de défense non pertinent ou spécieux, puisqu'il aurait principalement pour effet
non pas d'aider à découvrir la vérité lors du procès, mais bien de semer la confusion dans l'esprit du juge des faits et de détourner son attention de la détermination des faits pertinents quant à l'innocence ou à la culpabilité.

[47] Et puis loin à la page 847, la juge L'Heureux-Dubé reprenait les propos du juge McIntyre dans R. c. Pappajohn , pages 126 et 127, où le juge McIntyre explique ainsi le test de la «vraisemblable» :

Pour qu'une obligation naisse à cet égard, la preuve doit contenir des éléments qui puissent appuyer le moyen de défense et ce n'est que dans ce cas que le juge doit le soumettre.

[48] Puis elle poursuit à la page 851 et je la cite:

Je dois, en toute déférence, aller encore plus loin. Lorsque l'accusé affirme que la plaignante était vraiment consentante, il est alors factice de s'enquérir plus avant s'il a aussi dit croire qu'elle était consentante. L'existence ou l'absence de déclaration spécifique faisant état d'une croyance au consentement ne porte à conséquence que dans les cas les plus inusités. Présumant que l'accusé allègue effectivement une telle croyance, la question plus fondamentale est de savoir s'il est question d'une croyance sincère, susceptible de justifier la défense de croyance sincère mais erronée au consentement.

[49] Puis finalement à la page 853 du même arrêt, la juge L'Heureux-Dubé s'exprime ainsi:

Essentiellement, pour que la défense de croyance sincère mais erronée au consentement soit «vraisemblable», il faut que l'ensemble de la preuve produite pour l'accusé soit, d'une manière raisonnable et réaliste, susceptible d'étayer ce moyen de défense. Bien qu'il n'y ait, à vrai dire, aucune exigence de corroboration de la preuve, celle‑ci doit être plus qu'une simple assertion. Les circonstances doivent l'appuyer de quelque manière. La recherche d'un appui dans l'ensemble de la preuve ou des circonstances peut, sur le plan juridique, suppléer à toute carence du témoignage de l'accusé. L'existence d'une preuve «indépendante» appuyant le témoignage de l'accusé n'aura pour effet que d'améliorer les chances de la défense. Le rôle du juge ne consiste qu'à vérifier si l'accusé s'est acquitté du fardeau de preuve que lui impose le par. 265(4) du Code.

[50] Puis un peu plus tard dans R. c. Esau, la majorité s'exprime ainsi, page 786 et je cite:

La question principale qui se pose lorsque la défense de croyance sincère mais erronée est invoquée est de savoir si, compte tenu de toutes les circonstances de l'affaire, elle a quelque vraisemblance.

[51] Puis à la page 787, la cour s'exprime ainsi:

Le témoignage de l'intimé constitue davantage qu'une simple affirmation de croyance au consentement. Il a rapporté des paroles et des actes précis de la plaignante qui l'ont amené à croire qu'elle était consentante. À lui seul ce témoignage peut donner ouverture au moyen de défense. Cependant, il y a plus. Le témoignage de la plaignante n'a pas contredit celui de l'intimé, car elle ne peut pas se rappeler ce qui s'est passé après qu'elle fut entrée dans sa chambre. De plus, il n'y a aucune preuve de violence, de lutte ou d'emploi de force.

[52] Les témoignages des parties sont généralement les éléments de preuve les plus importants dans les affaires d'agression sexuelle et souvent les seuls.

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