R. c. Fortin, 2006 QCCQ 2519 (CanLII)
[90] Dès lors, bien qu’elle soit dépourvue de corruption, la conduite du défendeur n’est pour autant exempte de reproche; bien au contraire, elle viole la loi.
[91] Il est utile de rappeler le contexte juridique dans lequel se situe l’article 122 du Code et en quoi les transactions relatives au Kubota et la pose de tourbe constituent dans les circonstances des actions prohibées par la loi.
[92] L’article 122 énonce :
« 122. Est coupable d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de cinq ans tout fonctionnaire qui, relativement aux fonctions de sa charge, commet une fraude ou un abus de confiance, que la fraude ou l’abus de confiance constitue ou non une infraction s’il est commis à l’égard d’un particulier. ».
[93] Cette disposition se trouve dans cette partie du Code consacrée aux infractions contre l’application de la loi et de l’administration de la justice en général; plus particulièrement, et avec les articles 121 et 123, elle forme un groupe créant un régime d’actes prohibés dans les relations d’affaires avec le gouvernement.
[94] L’inconduite dont il est question à l’article 122 se démarque notamment des infractions prévues à l’article 121 par sa vaste portée.
[95] Il existe une jurisprudence abondante sur les éléments essentiels de l’infraction d’abus de confiance ainsi que sur la finalité poursuivie à cet égard par le législateur dont Me Jean-Claude Hébert dans un ouvrage récent[3] fait une recension et une analyse complète.
[96] Dans R. c. Perreault, monsieur le juge Baudouin, au nom de la majorité de la Cour d’appel, écrit :
« De cette brève revue de la jurisprudence sur la question, il me semble claire que les éléments essentiels de l’infraction prévue à l’article 122 C.Cr. sont les suivants :
1º que l’accusé ait le statut de fonctionnaire ;
2º que l’acte reproché ait été commis dans le cadre général de l’exécution de ses fonctions ;
3º que l’acte constitue une fraude ou un abus de confiance.
Pour identifier maintenant les conditions nécessaires à ce troisième élément constitutif lorsqu’il s’agit d’abus de confiance, il me paraît que les conditions suivantes doivent être suivies :
1º L’accusé a posé un geste d’action ou d’omission contraire au devoir qui lui est imposé par la loi, un règlement, son contrat d’emploi ou une directive relativement à sa fonction.
2º L’acte posé doit lui rapporter un bénéfice personnel (par exemple une compensation pécuniaire, un avantage en nature, en services ou autres) ou dérivé (par exemple, un avantage à son conjoint, un membre de sa famille ou même, dans certains cas, un tiers). Ce bénéfice peut être direct (par exemple, le paiement d’une somme d’argent) ou indirect (par exemple, l’espoir d’une promotion, le désir de plaire à un supérieur).
L’existence d’un préjudice réel au public ou à l’État n’est pas un élément de l’infraction, selon une jurisprudence unanime. Le contraire est nécessaire pour établir la fraude, puisqu’il faut obligatoirement l’existence d’une privation.
Pourquoi faut-il, comme condition de l’abus de confiance par un fonctionnaire, la présence d’un bénéfice réel ou escompté direct ou indirect pour l’accusé ? J’y vois plusieurs raisons.
La première est que le crime d’abus de confiance, s’il n’implique pas nécessairement l’idée de corruption, implique au moins celle de réception d’un bénéfice quelconque. Accepter qu’un entrepreneur de travaux publics asphalte gratuitement l’entrée de la maison d’un fonctionnaire municipal n’est probablement pas un acte d’une grande malhonnêteté ou d’une turpitude morale importante de la part de ce dernier. Toutefois, c’est un avantage qui résulte directement du statut même de sa personne et de sa fonction de représentant du public. Le fonctionnaire, comme la femme de César, doit être au-dessus de tout soupçon.
La seconde est que ne pas requérir cet élément reviendrait à faire intervenir le droit pénal et sa répression dans des domaines où il n’y a rien à faire. Comme l’a bien dit la Commission de réforme du droit du Canada, dans ce document fondamental Notre droit pénal :
« Si le rôle du droit pénal est de réaffirmer les valeurs fondamentales, il doit donc s’occuper uniquement des « crimes véritables » et non de la pléthore « d’infractions réglementaires » qu’on trouve dans les lois. Notre Code criminel ne devrait contenir que des actions qui sont non seulement punissables, mais aussi mauvaises, des actions qui vont à l’encontre des valeurs fondamentales. Aucune autre infraction ne devrait figurer au Code.
[…]
Pour être qualifiée de crime véritable, une action doit être moralement mauvaise. Cependant, ceci n’est qu’une condition nécessaire et non pas une condition suffisante, comme nous l’avons dit plus tôt. Ce ne sont pas toutes les mauvaises actions qu’on devrait qualifier de crimes. Le véritable droit pénal ne devrait porter que sur les actions mauvaises qui menacent ou qui violent gravement les valeurs sociales fondamentales. […] »
[97] Ainsi, dans R. c. Chrétien, la Cour d’appel du Québec infirme le verdict d’acquittement du juge d’instance et déclare coupable d’abus de confiance le défendeur, un fonctionnaire municipal ayant la charge de surintendant des travaux publics, qui a accepté un cadeau, en l’occurrence le pavage de sa résidence, provenant d’un entrepreneur dont il avait charge de surveiller les travaux. Bien qu’il n’y ait aucune preuve de la motivation de ce don ni de quelque avantage indu obtenu par l’entrepreneur, la Cour d’appel souligne qu’il s’agit d’une conduite à tout le moins équivoque mettant en péril la loyauté du fonctionnaire et susceptible de discréditer l’administration municipale.
[98] C’est dans ce registre que se situe l’inconduite reprochée au défendeur.
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