jeudi 11 mars 2010

Risque hypothétique que le conducteur décide de mettre en marche le véhicule est insuffisant - risque réaliste que l’appelant peut mettre le véhicule

R. c. Duchesne, 2009 QCCQ 13675 (CanLII)

[34] Or, il y a indéniablement une certaine utilisation du véhicule et de ses accessoires. Mais il ne s’agit pas d’un comportement quelconque à l’égard du véhicule qui comporte le risque de le mettre en mouvement de sorte qu’il puisse devenir dangereux. Il n’y a aucun risque de le mettre en mouvement et de le rendre dangereux au sens de l’arrêt R. c. Penno, 1990, 2 RCS 865.

[35] Or, le risque hypothétique que le conducteur décide de mettre en marche le véhicule est insuffisant. Une affaire semblable a fait l’objet d’une décision de l’Honorable Pierre Béliveau, J.C.S. dans Marcotte c. R., REJB 2001-22425.

[36] Dans cette affaire où l’accusé avait pris place derrière le volant d’un véhicule à moteur, la clef dans le contact, il avait fait démarrer le véhicule et utilisé la radio. Il désirait y dormir, sur le terrain de sa résidence.

[37] Comme dans la présente affaire, celui-ci n’avait pas, lui non plus, conduit son véhicule au préalable, ce qui aux yeux du Tribunal, aurait constitué un élément de contrôle (voir le para. 13).

[38] L’Honorable juge Pierre Béliveau écrivait :

« Certes, l’appelant en l’espèce (il avait été condamné en première instance des accusations d’avoir eu la garde et contrôle du véhicule moteur avec la capacité de conduire affaiblie par l’alcool et avec une alcoolémie supérieure à la limite permise) a fait plus que dans les arrêts R. c. Rioux et R. c. Toews en ce qu’il a fait démarrer le véhicule à un certain moment, mais il ne l’a pas utilisé et il n’en a pas utilisé les accessoires, tout au moins pas plus que dans l’affaire R. c. Olivier, alors qu’il avait mis la radio en marche. En d’autres termes, l’appelant n’a à aucun moment pertinent à l’accusation, utilisé son automobile en tant que véhicule ».

(para. 13)

[39] L’Honorable juge Pierre Béliveau formulait la question en jeu comme « … s’il y avait un risque réaliste que l’appelant peut mettre le véhicule en mouvement et devenir dangereux ».

[40] Il rappelle que dans l’arrêt R. c. Olivier, la Cour d’appel a « … explicitement mentionné que n’était pas suffisant le fait que l’accusé ‘aurait pu, avant de s’endormir ou en se réveillant, décider plus ou moins consciemment de faire rouler la voiture’. ».

[41] En exigeant un risque réaliste de danger, le juge Pierre Béliveau se met au diapason de certaines cours d’appel du reste du Canada. Cette observation n’est pas la mienne mais celle de l’auteur en la matière, Me Karl-Emmanuel Harrison dans son ouvrage Capacités affaiblies, principe et application, CCH, 2006, Brossard, Québec, p. 229 :

« Malgré une hésitation de la jurisprudence à le reconnaître dans certaines provinces canadiennes, dont la Nouvelle-Écosse, le risque de danger pour le public constitue un élément essentiel de l’infraction, comme suggéré par les cours d’appel de Saskatchewan, du Manitoba, d’Ontario et de Terre-Neuve-et-Labrador (…)

(de nombreuses autorités soutiennent l’énoncé)

… Dans l’arrêt R. c. Wren, le juge Feldman s’exprimait ainsi :

The requirement of some risk of danger in order to establish the actus reus of “care or control” is consistent with the basis for a finding of criminal liability under the impaired driving/care or control offences. As the Supreme Court stated in Saunders, supra, the object of the offence is to protect persons and property from danger. When the presumption has been rebutted and it has been shown that there is no potential danger either to any person or any property from the combination of the impaired person and the motor vehicle, there is no need for the protection is the object of the offence.

[…] In my view, the cases from the Surpeme Court of Canada and from this court can be reconciled on the issue of the actus reus of care or control. The issue to be determined on the facts of each case is whether any acts by the accused could cause the vehicle to become a danger whether by putting it in motion or in some other ways.

La Cour d’appel du Québec ne s’est jamais prononcée formellement sur la question de la nécessité de l’existence d’un risque de danger pour le public. Toutefois, l’arrêt R. c. Olivier, [1998] A.Q. no 1954 (QL) (C.A.) soutient le second courant jurisprudentiel en notant la souplesse que confère le texte de loi aux juges d’instance. »

[42] Il y a vraisemblablement acquiescement à ce courant canadien de jurisprudence en ce que notre Cour d’appel a rejeté la requête pour permission d’appeler (le 18 avril 2001, C.A. Montréal, 500-10-002060-018) de la décision du juge Pierre Béliveau.

[43] L’Honorable juge Jean-Pierre Plouffe de la Cour supérieure s’exprime aussi clairement à l’égard de la nécessaire notion de risque dans l’affaire Lauzon c. R., 2003, J.Q. no 2621, 550-36-000042-018 en appel d’une décision de première instance reconnaissant la dame d’avoir eu la garde ou le contrôle : « … j’estime… que le premier juge confond risque hypothétique et risque réaliste de mettre le véhicule en marche ». (para. 25)

[44] Il écrit aussi : « … une conclusion mécanique à la culpabilité de l’appelante. Comme le mentionne l’arrêt Olivier, c’est trop absolu ». (para .24)

[45] Or, dans l’arrêt bien connu, Olivier de notre Cour d’appel (REJB 1998-06554, JE 98-1410) le jeune homme qui n’avait pas de permis de conduire, qui dormait dans la voiture en attendant le conducteur tout en écoutant la radio, n’avait aucunement l’intention de conduire le véhicule.

[46] Après avoir rappelé le principe de l’arrêt Toews voulant que : « Chaque affaire sera décidée en fonction de ses propres faits et les circonstances où l’on pourra conclure qu’il y a des actes de garde ou de contrôle varieront beaucoup ». (R.c. Toews 1985 CanLII 46 (C.S.C.), [1985] 2 R.C.S. 119), la Cour d’appel entérinait les décisions antérieures eu égard à Monsieur Olivier en s’exprimant ainsi :

«… les juges… ont refusé de conclure mécaniquement à la culpabilité de l’intimé et vu les circonstances, ont usé de cette souplesse que le texte de loi le leur permettait ».

et,

… le fait pour un conducteur d’être assis derrière le volant d’une voiture, avec la clef dans le contact, entraîne nécessairement la conclusion que ce conducteur a le contrôle de la voiture est trop absolu; dans la très grande majorité des situations on pourra conclure que c’est le cas, mais devant un jeu de circonstances donné, le Tribunal pourra sans errer en droit, conclure que ce n’est pas le cas ». (l’emphase apparaît dans la décision de la Cour d’appel)

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